l'INRA et le CIRAD au secours de la viande

kerloen

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un petit article persoissu de la lecture d'une dépêche AFP pour la sortie de la "réflexion stratégique sur une alimentation durable" publiée par l'INRA et le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement)

Ou comment démontrer ce qu'on a envie pour faire plaisir au CIV et à INTERBEV...

pour la dépêche AFP, c'est là
 
À vrai dire, après avoir lu la dépêche AFP, je me demande si elle résume bien l'étude en question. Si c'est le cas, c'est bourré d'incohérences. Sinon, eh bien il faut lire le bouquin.

Parce qu'il y a qq perles, là, quand même :

"Il apparaît ainsi que les hommes ont un impact carbone supérieur à celui des femmes (4,7kg équivalent CO2/j pour les hommes contre 3,7 pour les femmes), particulièrement parce qu'ils mangent davantage. Ils consomment aussi davantage de viandes rouges ou de charcuteries, dont l'impact carbone est dix fois plus élevé que celui des fruits et légumes.

Les chercheurs ont comparé ensuite l'impact de l'alimentation nutritionnellement adéquate - riche en certains nutriments et à faible densité énergétique, où les produits végétaux constituent une grande part de la consommation - et celui d'une alimentation à base de viande.

Ils ont dû constater que la qualité n'avait pas à voir avec l'impact carbone.

Ainsi, chez les hommes, l'impact carbone est le même quelle que soit la qualité de la nourriture. Quant aux femmes, celles qui mangent le mieux ont l'alimentation qui entraîne le plus d'impact carbone, a souligné Nicole Darmon devant la presse."

Donc les hommes ont un impact carbone + important que les femmes parce qu'ils mangent plus et aussi parce qu'ils mangent plus de viande sous toute ses formes. Mais changer leur alimentation n'a aucune incidence sur leur impact carbone. Attention, pour les hommes uniquement, parce que pour les femmes, au contraire ça l'augmente. Alors que l'impact de la viande est, toujours d'après la dépêche, 10 fois plus important que celles des végétaux. Arf.

En prime, s'ils ne prennent en compte que l'impact carbone...

Bref, cette dépêche me semble complètement absurde... :rolleyes:
 
Bon, après avoir lu le chapitre 3 du rapport (celui qui concerne l'impact carbone de l'alimentation, Impact carbone de l'alimentation et qualité nutritionnelle des choix alimentaires en France. Une étude de cas.), je suis assez agacée.
La dépêche AFP nous présente comme irréfutables des résultats qui sont pour le moins chancelants.

En vrac :
- C'est tout à fait souligné dans l'étude, mais on ne parle ici que d'impact carbone (et y a pas 2 études qui sont d'accord sur comment calculer ça), en laissant de côté tout ce qui concerne l'eau, les sols, la biodiversité, la pollution autre que GES.

- L'étude était basée sur une enquête, Inca 2, effectuée en 2006-2007 sur 1918 individus âgés de + de 18 ans, 776 hommes et 1142 femmes. Une semaine d'enquête, c'est très bien, mais on ne mange pas de la même façon en hiver ou en été, on n'a pas les mêmes besoins non plus. Et l'impact carbone d'une tomate fraîche consommée en août ne doit pas être le même que celui d'une tomate fraîche consommée en mars, même si les 2 viennent de France. Bref.

- 1312 aliments ont été consommés au cours de cette semaine, et la première partie de l'étude, celle qui calcule l'impact carbone de l'alimentation, les ramène à 73 considérés comme représentatifs. Je cite :
Dans la mesure du possible, nous avons sélectionné des aliments consommés au moins une fois pendant la semaine d’enquête par au moins 10 % des adultes. La disponibilité réelle ou supposée des données environnementales sur ces produits a été également un des critères de choix, ainsi que les qualités nutritionnelles spécifiques de certains aliments (ex. noix, lentilles, sardine).
Donc certains de ces aliments "représentatifs" n'ont même pas été consommés 1 fois dans la semaine par 10% des sondés, et à représentativité équivalente, ils ont préféré celui pour lequel des données environnementales étaient disponibles (ou supposées disponibles) - ce qui peut se comprendre, mais ça n'est pas en faveur du côté représentatif de la chose. Plus loin dans le chapitre, ils précisent que ces 73 aliments ne représentent que la moitié des quantités consommés, et 1/3 de l'énergie ingérée. On y reviendra.

- il n'y a pas le détail du calcul de l'impact carbone (de façon générale, le document disponible sur le site de l'INRA manque cruellement d'annexes, je trouve). Ils écrivent ceci :
Le terme « impact carbone » désigne le potentiel de réchauffement global des émissions des six gaz à effet de serre retenus par le Giec. L’impact carbone de l’alimentation est calculé à partir de l’impact carbone des aliments, lui-même estimé à partir d’analyses de cycle de vie des produits (ACV).[...] Ces gaz correspondent au dioxyde de carbone (CO2) qui résulte de la combustion des énergies fossiles, au méthane (CH4) issu de la fermentation entérique des ruminants et des déjections animales et au protoxyde d’azote (N2O) lié à la fertilisation azotée et à la gestion des déjections animales. [...]
Des données sur l’impact carbone de chaque aliment représentatif ont été recherchées en prenant pour périmètre les phases suivantes : production agricole, transformation, conditionnement/emballage, transport vers un magasin en France et distribution avec stockage au magasin. Les phases liées au transport entre le point de vente et le domicile du consommateur, à la consommation, à l’utilisation au stockage et à la préparation chez le consommateur, ainsi que la gestion de fin de vie du produit alimentaire n’ont pas été comptabilisées, par défaut de données fiables facilement mobilisables. L’unité fonctionnelle choisie pour le recueil des données carbone correspond à 100 g de produit alimentaire « tel qu’acheté » (i.e. disponible en magasin) en France.

Mais qu'ont-ils pris en compte pour calculer l'impact carbone des produits animaux ? Ont-ils pris en compte l'impact carbone nécessaire à la production, la transformation, le conditionnement / emballage, le transport et la distribution de l'intégralité de leur nourriture ? Je n'en ai pas l'impression à voir les chiffres de l'étude, et en tout cas le coup de l'impact de la viande 10 fois plus important que celui des végétaux dont parlait la dépêche, je ne l'ai pas vu dans ce chapitre.

-l'étude, et c'est logique quelque part (toutes choses égales par ailleurs), part du principe que tous les aliments représentatifs sont issus de l'agriculture conventionnelle et produits en France, sauf les produits exotiques style bananes.
Bon, je comprends bien pourquoi ils ont pris cette hypothèse. Mais d'une part ça me conforte dans l'idée que l'impact carbone des produits animaux est largement sous-évalué (une bonne partie de leur nourriture ne provenant pas de la France), et d'autre part c'est bien évidemment faux et ça ne prend pas en compte que les gens se nourrissant plus sainement mangent plus souvent bio et / ou local que les autres, ce qui est gênant pour une étude sur l'impact carbone, je trouve.

- La deuxième partie, qui concerne la relation entre qualité nutritionnelle et l'impact carbone me semble tellemet biaisée de partout que je ne sais même pas par où commencer.
Les auteurs se sont basés sur 3 indicateurs :
-> le MAR (mean adequacy ratio) qui estime le % moyen d'adéquation des apports en 20 nutriments essentiels par rapport aux apports recommandés en ces mêmes nutriments. Bien évidement, on ne nous donne ni la liste des nutriments en question, ni les apports recommandés. Ce qui me pose un pb : par ex, je suppose que le calcium figure au nombre des nutriments en question, et je suppose également que les apports recommandés en calcium ne rencontreraient pas l'unanimité parmi les végés, disons ça comme ça, car étant calculés pour des omnivores consommant religieusement leurs 3 produits laitiers par jour. Bref, premier indicateur trop vague et très sujet à caution à mes yeux.
-> la densité énergétique, DE, de l'alimentation, exprimée en kcal/100g, étant entendu qu'une alimentation à forte densité énergétique est considérée comme mauvaise nutritionnellement parlant. Ok, alors la salade c'est bon, mais les amandes et les noix (par exemple), c'est mauvais. On va aller loin avec ça.
-> le MER (mean excess ratio), estimant l'excès en nutriments dont il faut limiter la consommation, et là on nous dit que c'est le sodium, les acides gras saturés et les sucres ajoutés. Bon, pourquoi pas, même si on ne nous donne toujours pas les valeurs maximales recommandées.
À partir de ça, les auteurs vont diviser les hommes et les femmes de l'étude en 4 groupes chacun : mangeurs adéquats, qui ont un MAR > à la médiane et un MER+DE < à la médiane ; mangeurs intermédiaires + qui ont 2 des indicateurs ok ; mangeurs intermédiaires qui en ont 1 ; et mangeurs inadéquats, qui ont donc 0 indicateur ok, c-à-d un MAR < à la médiane et un MER+DE (j'adore l'écrire comme ça ^^) > à la médiane.
Bien bien bien. Il ne s'agit donc pas de catégories absolues, mais relatives, donc pas de gens qui mangent forcément sainement, mais de gens qui mangent moins mal que les autres sondés. D'ailleurs dans les perspectives, les auteurs indiquent qu'il serait intéressant de comparer des vrais régimes. Ouaip. Premier point. Deuxième point, je l'ai déjà dit, au moins 2 des 3 indicateurs sont plus que discutables à mon avis.
Et surtout, mais ça on l'apprend bien plus tard, là on est repassé sur les 1312 aliments et non les 73 de la première partie de l'étude, celle qui divisait les hommes et les femmes en 2 x 5 groupes d'impacts carbone différents. Maintenant on les divise en 2 x 4 groupes de qualités nutritionnelles différentes, mais plus sur les mêmes aliments, et on va nous corréler les 2 études. Ah, qu'ils sont forts ! ^^
Et on va en conclure que pour une quantité d'aliments donnée, les mangeurs adéquats ont un impact carbone moindre, mais que pour une quantité d'énergie donnée, les mangeurs adéquats ont un impact carbone supérieur. Quand on se rappelle qu'avec leurs hypothèses, un "mangeur adéquat" a forcément puisque par définition une alimentation d'une densité énergétique inférieure à la médiane, je dirais qu'il n'y a pas trop de surprise vu qu'à quantité d'énergie donnée, bien évidemment, le "mangeur adéquat" doit manger de bien plus grosses quantités que les autres. :rolleyes:

Plus loin, quand on nous apprend qu'on est repassé à 1312 aliments, on nous dit qu'il y a eu un test fait sur les 73 aliments du départ pour vérifier si ça collait quand même. Les auteurs constatent que les individus restent à 67% dans le même groupe nutritionnel, et concluent donc que oui, ça colle malgré la simplification.
2 rq :
1. pourquoi n'avoir pas gardé les 73 aliments de départ pour la 2e partie de l'étude, vu qu'on tente de corréler les 2 parties ? Je rappelle que ces 73 aliments ne représentaient que 1/3 de l'énergie ingérée...
2. 67%, ça veut dire quand même qu'1 mangeur adéquat sur 3 n'est plus adéquat si on reprend les paramètres de la première partie de l'étude, idem pour 1 mangeur inadéquat sur 3, etc. Ça me semble assez énorme. :rolleyes:



- Conclusion : En fait, ce document me donne l'impression que ses auteurs se sont attelés à une tâche titanesque voire impossible dans le temps qui leur était imparti et dans l'état actuel de nos connaissances (et surtout de la biblio disponible), et que du coup ils l'ont effectuée avec tellement de simplifications et de biais dans tous les sens que ça ne rime plus à rien.
 
Merci Mélodie pour ce gros effort de décorticage des données, mais tu te donnes beaucoup de mal, car démontrer que l'alimentation d'une personne qui consomme simplement moins de viande et "compense" par un grosse quantité d'autre chose moins "dense" produit autant de CO2 qu'un carnassier nous fait une belle jambe... en conclure :"Manger des fruits et légumes, c'est bon pour la santé, pas pour la planète", est tout simplement purement malhonnête.
Comme tu le dis, ça découle de 2 choses :
- la volonté d'avoir voulu rapporter tous les indicateurs environnementaux à un equivalent CO2, pour "simplifier". Mon petit doigts me dit que des thing thanks ont murement réfléchir depuis des dixaines d'années, avant de nous pondre ce joli financiero-indicateur vert.
- le plus gros biais de l'étude est la question de la "densité" des aliments. Evidemment qu'en étudiant l'alimentation d'omnivores occidentaux, car c'est bien de cela qu'il s'agit, on retrouve les mêmes classes d'aliments, exit légumineuses et noix... CC, cette étude n'a aucun intérêt, sauf à montrer que l'alimentation occidentale n'est pas énergétiquement rentable, et n'est pas "nutritionnellement adéquate". Bizarrement, ce n'est pas du tout la conclusion de cette jolie étude...
La preuve qu'on fait dire ce qu'on veut aux chiffres, et en l'occurrence, qu'il faut continuer à manger de la viande, c'est plus dense...
 
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