Quelques articles d'un dossier récent du Monde sur les usages thérapeutiques des animaux. Ces usages prennent leur sens évidemment dans une société spéciste où l'intérêt thérapeutique des humains prime sur toute autre considération. Prendre pleinement en compte la condition des animaux, l'apport réciproque de la situation thérapeutique en terme de bien-être, supposerait une égalité au moins formelle. Ce qui est loin d'être le cas. Les recherches sur le effets des dispositifs thérapeutiques sur les animaux sont embryonnaires et insatisfaisantes, comme le montre notamment le premier article...
Animal thérapeute : leur bien-être à l’étude
Les animaux utilisés dans des programmes de thérapie en souffrent-ils ? Le sujet commence à être exploré.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 04.12.2017 | ParNathalie Picard
Interdira-t-on un jour les thérapies avec les animaux ? A l’heure où cirques et élevages sont vivement critiqués, où des militants dénoncent toute forme d’exploitation animale, la question pourrait se poser. En tout cas, le bien-être animal est l’une des préoccupations grandissantes des professionnels de la médiation. Une séance de thérapie génère-t-elle du stress pour le cheval ? Comment aménager l’emploi du temps d’un chien ? « Ces réflexions font écho à une évolution de la population, toujours plus sensible à la cause animale. Elles sont nécessaires pour que ces pratiques gardent leur place dans la société », estime Véronique Servais, professeure à l’université de Liège.
Pour l’heure, les recherches s’avèrent sporadiques tant pour le chien que pour le cheval, les plus utilisés. D’après les études menées sur les équidés, l’équithérapie ne serait pas plus stressante que l’équitation, l’activité principale de la plupart des chevaux employés. Ces travaux s’appuient sur des paramètres physiologiques (niveau des hormones de stress) ou des données comportementales. Dans le cadre de sa thèse de doctorat ¬vétérinaire (2015), la vétérinaire Julie ¬Potier a mesuré sur huit chevaux une baisse de certains paramètres du stress lors de séances d’équithérapie, par rapport aux cours d’équitation. Sa conclusion : il n’y aurait « pas de contre-indication à cette pratique du point de vue du bien-être du cheval ».
Règle des 3R
Pourtant, dans un environnement naturel, le cheval aime pâturer pendant des heures avec ses congénères. D’après l’association Equi-Liance, certaines pratiques pourraient aller à l’encontre de son bien-être. Des séances trop longues, un milieu aménagé (carrière, rond de longe) et un faible degré de liberté (longe tendue) induiraient des comportements de frustration ou d’opposition. C’est la ¬conclusion d’une étude d’observation de 36 séances de médiation avec 19 chevaux. « Nous proposons des pistes d’amélioration : ne pas mobiliser le cheval plus d’une heure, lui laisser une certaine liberté et privilégier les séances dans un environnement naturel. En médiation animale, il faut connaître les besoins du cheval et parler son langage, car rien n’est possible sans une vraie collaboration », souligne Patricia Faure, présidente d’Equi-Liance. Pas question d’instaurer un rapport de force. William Lambiotte, infirmier cynothérapeute à l’hôpital d’Amiens, confirme : « Je veux que mes chiens aient du plaisir au travail. Jamais ils n’ont refusé une séance. Ma priorité est leur bien-être et leur ¬sécurité. Notre journée à l’hôpital est ponctuée de promenades et de moments de détente. » Peu de travaux étudient ¬l’impact d’une séance pour les canidés. Certains concluent à une absence de stress, d’autres à sa présence chez les chiens les moins expérimentés.
« Les données existantes constituent de premières pistes, mais il manque des études transversales, portant sur de larges échantillons et reposant sur des paramètres à la fois physiologiques et comportementaux », note Marine Grandgeorge, ¬enseignante-chercheuse à l’université Rennes-I. Preuve que la question devient prégnante, ces enjeux furent abordés lors de la dernière conférence triennale de ¬l’Association internationale des organisations consacrée aux interactions humain-animal en 2016 à Paris. Parmi les interventions remarquées, celle d’un groupe de -recherche italien, qui propose d’appliquer la règle des 3R (réduire, raffiner, remplacer), démarche éthique et réglementaire de l’expérimentation animale, à la médiation. Quelles lignes de conduite définirait-elle ? Entre autres, choisir les espèces et les individus les plus appropriés, réduire la fréquence et la durée des sessions, veiller aux besoins de l’animal… Un quatrième R concernerait la relation humain-animal, dans l’objectif de « bénéfices réciproques en termes de santé et de bien-être ». L’occasion, aussi, de souligner l’asymétrie de cette relation, qui engage la responsabilité de l’homme vis-à-vis de l’animal.
L’animal, thérapeute au banc d’essai
Au centre hospitalier de Tours, des enfants atteints de troubles du développement suivent une thérapie avec des chevaux. Ces pratiques de médiation animale se développent partout en France, et la recherche s’organise pour accroître leur légitimité scientifique.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 04.12.2017 | ParNathalie Picard (Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), envoyée spéciale)
Coiffé d’un casque bordeaux, Lorik observe les chevaux installés dans une enfilade de boxs. Le garçonnet de 5 ans tient sagement la main de l’infirmier Patrice Delavous, qui n’en revient pas : « En trois séances, sa progression est spectaculaire. Avant, il ne supportait pas l’attente. » Depuis le mois de septembre, Lorik suit une thérapie avec le cheval aux écuries d’Anadé, un centre équestre de Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire). Chaque année, l’hôpital de jour du centre universitaire de pédopsychiatrie du CHRU de Tours propose cette prise en charge à trois personnes, sur la centaine d’enfants et d’adolescents suivis pour des troubles neuro¬développementaux. Ces pathologies hétérogènes, dont l’autisme fait partie, se caractérisent par des troubles du comportement, des difficultés à communiquer et à établir des interactions sociales. A part la phobie des chevaux, il y a peu de contre-indications. Le choix s’avère donc difficile : « Nous favorisons les enfants scolarisés en école maternelle pour lesquels les difficultés de communication sociale et le comportement ¬posent problème », explique Joëlle Malvy, pédo¬psychiatre et responsable de l’hôpital de jour.
Prescrite par un médecin, l’équithérapie s’intègre dans une prise en charge individualisée, en lien étroit avec les familles et d’autres partenaires comme l’école. Un soin hors de l’hôpital, où chaque enfant est encadré par un adulte. La séance commence par la préparation du cheval. Ce jeudi-là, Lorik brosse Etoile, un shetland au corps massif et court sur pattes, à l’aide d’une étrille rose. L’infirmier lui montre le geste. Devant le box adjacent, la monitrice ¬Marion Tessier guide le jeune Sofiane, 6 ans. « Brosser le poney, c’est s’intéresser à un autre être, utiliser et manipuler un objet, imiter une action, coordonner la main et le regard… Préparer le cheval est une suite d’actions porteuses de sens, car elles permettent d’atteindre un but. Cela exerce les capacités de planification de ¬l’enfant », décrypte Laurence Hameury, la pédo¬psychiatre – désormais retraitée – à l’origine de ces ateliers lancés en 2003.
Ecoute et attention à l’autre
Les deux enfants commencent à montrer des ¬signes d’impatience. Lorik tape du pied : il veut monter sur le poney. Une fois la selle installée, il se laisse porter par Etoile. En route vers le grand manège ! Une main sur la longe, Sofiane le suit avec Rigolo. L’enfant guide le poney sur un ¬parcours et suit méticuleusement les consignes : une pause dans le cerceau vert, des zigzags entre les plots rouges et jaunes… Enfin, il monte sur le poney. S’allonge sur lui, l’enlace, l’embrasse… Un grand sourire aux lèvres. Le plaisir et la détente se lisent sur son visage. « Ici, Sofiane est plus relaxé et attentif. Il accepte les consignes, remarque Anne Jolivet, infirmière au centre de pédopsychiatrie. Nous travaillons sur l’écoute, l’attention à l’autre et la régulation des émotions. »Bercé par les pas de son poney, Lorik se penche en avant puis en arrière, à l’invitation de l’infirmier Patrice Delavous, avec qui il échange des regards complices. Qu’est-ce qui se joue dans cette relation à trois ? « Le poney fait preuve d’empathie et favorise l’attachement. Il a peu de mimiques faciales, ce qui le rend, pour une personne autiste, moins complexe qu’un humain. Entre lui et l’enfant s’instaure une communication sur un mode non verbal. Il favorise ainsi la -relation entre l’enfant et le thérapeute », précise Laurence Hameury.
En 2010, la pédopsychiatre a publié une évaluation quantitative de cette thérapie sur six ¬enfants de 5 à 7 ans, à l’aide d’échelles de mesure. Les résultats montrent des améliorations sur toutes les fonctions impliquées dans le développement, avec des effets marqués sur le tonus, l’imitation, la régulation des émotions, la communication… « Depuis la fin des années 2000, ce type d’études se multiplient. J’en ai analysé ¬25 publiées entre 2009 et 2016. Si les protocoles sont variés, toutes montrent une amélioration ¬significative des symptômes ciblés », note Laurence Hameury, auteure du livre L’Enfant autiste en thérapie avec le cheval (Editions Connaissances et savoirs, 98 p., 16,50 €).
D’après Marine Grandgeorge, maître de conférences au laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’université Rennes-I, la littérature scientifique démontre un bénéfice majeur : l’amélioration des compétences sociales. « L’enfant communique mieux avec l’animal et l’adulte intervenant. Les résultats sont également probants pour la ¬réduction des troubles du comportement : il y a moins de stéréotypies [comportements répétitifs anormaux] pendant les séances. En revanche, les données manquent de robustesse concernant les bénéfices en dehors d’une séance. » L’objectif de la prise en charge étant bien sûr que les progrès se généralisent à la vie de tous les jours.
Aujourd’hui, les recherches s’étendent à des contextes variés : addictions, infirmités motrices, traumatismes psychologiques, troubles alimentaires, démences… Comment expliquer un tel ¬engouement pour les thérapies avec l’animal ? Depuis les travaux précurseurs, dans les années 1960, du psychologue américain Boris Levinson, considéré comme le père de ces pratiques, cinquante ans de recherches ont mis au jour les ¬bénéfices de la présence animale. D’abord sur le plan psychologique (estime de soi, soutien social, confiance en soi…), puis physiologique : moindre anxiété, meilleure santé cardio-vasculaire…
Une légitimité pas encore acquise
Dans les années 1980, des chercheurs reprochent à ces premiers résultats, reposant principalement sur des études de cas, leur faible rigueur scientifique. La recherche s’oriente alors vers le modèle pharmacologique : il s’agit de mesurer des effets à l’aide de protocoles standardisés, où il n’y a de place ni pour le hasard ni pour l’effet placebo. A la fin des années 1990, des critiques émergent dans le champ des sciences sociales : « Penser que l’animal produirait un effet thérapeutique dans n’importe quel contexte, avec n’importe quel humain, est illusoire. L’animal n’est pas un médicament », relève Véronique Servais, professeure à l’université de Liège. Dans le cadre de sa thèse sur une thérapie avec les dauphins auprès d’enfants autistes, l’anthropologue belge montrait que la standardisation des pratiques gommait les bénéfices.
« Pour mettre à distance l’effet placebo, le ¬modèle pharmacologique efface ce qui relève du contexte de soins. Or le bénéfice thérapeutique se joue dans la relation patient-soignant-animal et dans les représentations que l’humain a de l’animal. Les preuves scientifiques apportées par le modèle pharmacologique sont difficiles à transposer dans les pratiques de soins, qui ne relèvent pas de l’administration simple d’un traitement », analyse le sociologue Jérôme Michalon, auteur du livre Panser avec les animaux (Presses des ¬Mines, 2014). Mais, dans le milieu de la recherche, ces réserves ne remettent pas en cause le modèle pharmacologique, seul capable de donner une légitimité médicale à la médiation animale. Une légitimité qui, aujourd’hui encore, n’est pas totalement acquise. Des chercheurs pointent les faiblesses méthodologiques des études : échantillons de petite taille, absence de groupe contrôle, protocoles insuffisamment standardisés, influences d’autres thérapies associées, absence d’évaluation à long terme, faiblesses statistiques… Selon Laurence Hameury, il faudrait poursuivre les études scientifiques de haut niveau méthodologique sur des populations suffisantes, afin de permettre une reconnaissance officielle de la thérapie avec le cheval en tant que thérapie complémentaire.
Pour autant, l’animal est le bienvenu dans ¬nombre d’établissements sanitaires et médico-sociaux. Une médiation à vocation soignante, mais aussi sociale ou éducative. Ses objectifs ? Améliorer le bien-être des personnes âgées, ¬réduire l’anxiété des patients hospitalisés, renforcer l’estime de soi des détenus et favoriser leur réinsertion, rééduquer des personnes atteintes de la sclérose en plaques, améliorer l’observance au traitement des malades souffrant d’addiction… Bien souvent, il s’agit d’une approche complémentaire, dans le cadre d’un accompagnement plus global. D’après un sondage OpinionWay réalisé pour la Fondation Adrienne et Pierre Sommer en 2016, 92 % des Français pensent que les interactions avec des animaux -domestiques ou familiers peuvent être bénéfiques aux personnes âgées, handicapées ou ¬atteintes de troubles du développement.
« Les maisons de retraite ont fait connaître la médiation animale au grand public. Depuis les ¬années 2000, son développement est remarquable », indique Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, une organisation à but non lucratif soutenant le développement de ces pratiques. Dans le cadre de son appel à projets, l’organisation reçoit de 180 à 200 demandes de financement chaque année. Fin 2016, l’Institut français du cheval et de l’équitation lançait lui aussi un appel d’offres, pour soutenir des projets de recherche sur la médiation équine. Parmi les initiatives retenues, celle du pôle de santé mentale du centre hospitalier de Dreux ¬devrait débuter en janvier 2018, une fois les dernières autorisations obtenues.
Le but du projet Pégase : « Valider scientifiquement une approche originale de la médiation par le cheval pour améliorer l’adaptation psychosociale des patients », explique Anne Héron, enseignante-chercheuse à l’université Paris-Descartes et directrice scientifique du projet. En partenariat avec les écuries du Sagittaire dans le Perche, les patients, par groupes de six, suivront trois séances au ¬contact du cheval, à pied. La méthode utilise des techniques de la thérapie brève de Palo Alto. La -recherche clinique inclura 96 patients hospitalisés en psychiatrie et rencontrant des difficultés sociales. Un suivi sur six mois permettra de mesurer les relations avec la famille, l’insertion professionnelle, l’estime de soi, la stratégie d’adaptation au stress… Premiers résultats prévus en 2018.
Deux ans, de l’idée au projet
« Malgré cet engouement, il ne faut pas croire que l’animal peut résoudre toutes les difficultés, avertit Boris Albrecht. La médiation ne saurait être une réponse unique à un problème. Si les modalités ne sont pas clairement définies, la présence d’un animal peut cristalliser les problèmes et faire imploser une structure. » Comment choisir l’animal ? Qui s’en occupera ? Comment sera intégrée la médiation dans le projet de l’établissement ? Le personnel sera-t-il formé ? Autant de questions qu’il vaut mieux anticiper, dans le cadre d’un projet doté d’un cadre, d’objectifs, d’outils d’évaluation… De l’idée au projet, deux ans de maturation ne sont pas de trop, glisse le directeur. Une telle démarche, l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu l’a menée à Lyon. Depuis 2013, l’établissement héberge des chevaux. « La médiation équine constitue un outil de soins à ¬disposition des équipes, prescrit par les médecins. C’est un projet institutionnel auquel sont associés les agents des espaces verts et les professionnels de santé », souligne Patricia Faure, enseignante-chercheuse à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu jusqu’en juillet 2017, et présidente de l’association Equi-Liance, qui a formé le personnel dans le ¬cadre du plan de formation de l’hôpital, afin qu’il acquière une meilleure connaissance du cheval et de la pratique de médiation animale.
La qualification des intervenants est un autre enjeu de la médiation animale. En France, ce n’est pas un métier. Seul celui d’« équicien » est inscrit au répertoire national des certifications professionnelles dans le secteur médico-social : il consiste à guider des personnes handicapées avec des équidés. Sinon, il n’y a ni statut ni réglementation spécifique. D’après la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, il existe une soixantaine de formations en médiation animale et en zoothérapie : « Elles durent d’une semaine à plus d’un an et sont très disparates, tant par les thèmes abordés que par le coût et la qualité », remarque Boris Albrecht. Conséquence : une personne sans qualification ayant suivi une courte formation en zoothérapie peut se décréter « zoothérapeute » et toquer à la porte des établissements afin de proposer ses services.
Un tel amateurisme pourrait causer du tort. « Il ne faut pas qu’un intervenant non thérapeute présente sa pratique comme thérapeutique, pointe Didier Vernay, neurologue et responsable du ¬diplôme universitaire Relation d’aide par la médiation animale à Clermont-Ferrand. Dans l’idéal, la thérapie avec l’animal est plutôt une compétence associée à une profession de référence. » Un outil de plus à la disposition des orthophonistes, infirmiers, médecins, psychomotriciens, ergothérapeutes… Pour éviter les dérives, les réseaux professionnels ont adopté des chartes de bonnes pratiques. Serait-ce un premier pas vers une ¬réglementation ? Pour Didier Vernay, elle pourrait déjà voir le jour dans les secteurs les mieux connus, comme les maisons de retraite. L’objectif : donner à l’usager les garanties d’une pratique encadrée, sécurisée et respectueuse.
Animal thérapeute : leur bien-être à l’étude
Les animaux utilisés dans des programmes de thérapie en souffrent-ils ? Le sujet commence à être exploré.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 04.12.2017 | ParNathalie Picard
Interdira-t-on un jour les thérapies avec les animaux ? A l’heure où cirques et élevages sont vivement critiqués, où des militants dénoncent toute forme d’exploitation animale, la question pourrait se poser. En tout cas, le bien-être animal est l’une des préoccupations grandissantes des professionnels de la médiation. Une séance de thérapie génère-t-elle du stress pour le cheval ? Comment aménager l’emploi du temps d’un chien ? « Ces réflexions font écho à une évolution de la population, toujours plus sensible à la cause animale. Elles sont nécessaires pour que ces pratiques gardent leur place dans la société », estime Véronique Servais, professeure à l’université de Liège.
Pour l’heure, les recherches s’avèrent sporadiques tant pour le chien que pour le cheval, les plus utilisés. D’après les études menées sur les équidés, l’équithérapie ne serait pas plus stressante que l’équitation, l’activité principale de la plupart des chevaux employés. Ces travaux s’appuient sur des paramètres physiologiques (niveau des hormones de stress) ou des données comportementales. Dans le cadre de sa thèse de doctorat ¬vétérinaire (2015), la vétérinaire Julie ¬Potier a mesuré sur huit chevaux une baisse de certains paramètres du stress lors de séances d’équithérapie, par rapport aux cours d’équitation. Sa conclusion : il n’y aurait « pas de contre-indication à cette pratique du point de vue du bien-être du cheval ».
Règle des 3R
Pourtant, dans un environnement naturel, le cheval aime pâturer pendant des heures avec ses congénères. D’après l’association Equi-Liance, certaines pratiques pourraient aller à l’encontre de son bien-être. Des séances trop longues, un milieu aménagé (carrière, rond de longe) et un faible degré de liberté (longe tendue) induiraient des comportements de frustration ou d’opposition. C’est la ¬conclusion d’une étude d’observation de 36 séances de médiation avec 19 chevaux. « Nous proposons des pistes d’amélioration : ne pas mobiliser le cheval plus d’une heure, lui laisser une certaine liberté et privilégier les séances dans un environnement naturel. En médiation animale, il faut connaître les besoins du cheval et parler son langage, car rien n’est possible sans une vraie collaboration », souligne Patricia Faure, présidente d’Equi-Liance. Pas question d’instaurer un rapport de force. William Lambiotte, infirmier cynothérapeute à l’hôpital d’Amiens, confirme : « Je veux que mes chiens aient du plaisir au travail. Jamais ils n’ont refusé une séance. Ma priorité est leur bien-être et leur ¬sécurité. Notre journée à l’hôpital est ponctuée de promenades et de moments de détente. » Peu de travaux étudient ¬l’impact d’une séance pour les canidés. Certains concluent à une absence de stress, d’autres à sa présence chez les chiens les moins expérimentés.
« Les données existantes constituent de premières pistes, mais il manque des études transversales, portant sur de larges échantillons et reposant sur des paramètres à la fois physiologiques et comportementaux », note Marine Grandgeorge, ¬enseignante-chercheuse à l’université Rennes-I. Preuve que la question devient prégnante, ces enjeux furent abordés lors de la dernière conférence triennale de ¬l’Association internationale des organisations consacrée aux interactions humain-animal en 2016 à Paris. Parmi les interventions remarquées, celle d’un groupe de -recherche italien, qui propose d’appliquer la règle des 3R (réduire, raffiner, remplacer), démarche éthique et réglementaire de l’expérimentation animale, à la médiation. Quelles lignes de conduite définirait-elle ? Entre autres, choisir les espèces et les individus les plus appropriés, réduire la fréquence et la durée des sessions, veiller aux besoins de l’animal… Un quatrième R concernerait la relation humain-animal, dans l’objectif de « bénéfices réciproques en termes de santé et de bien-être ». L’occasion, aussi, de souligner l’asymétrie de cette relation, qui engage la responsabilité de l’homme vis-à-vis de l’animal.
L’animal, thérapeute au banc d’essai
Au centre hospitalier de Tours, des enfants atteints de troubles du développement suivent une thérapie avec des chevaux. Ces pratiques de médiation animale se développent partout en France, et la recherche s’organise pour accroître leur légitimité scientifique.
LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 04.12.2017 | ParNathalie Picard (Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), envoyée spéciale)
Coiffé d’un casque bordeaux, Lorik observe les chevaux installés dans une enfilade de boxs. Le garçonnet de 5 ans tient sagement la main de l’infirmier Patrice Delavous, qui n’en revient pas : « En trois séances, sa progression est spectaculaire. Avant, il ne supportait pas l’attente. » Depuis le mois de septembre, Lorik suit une thérapie avec le cheval aux écuries d’Anadé, un centre équestre de Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire). Chaque année, l’hôpital de jour du centre universitaire de pédopsychiatrie du CHRU de Tours propose cette prise en charge à trois personnes, sur la centaine d’enfants et d’adolescents suivis pour des troubles neuro¬développementaux. Ces pathologies hétérogènes, dont l’autisme fait partie, se caractérisent par des troubles du comportement, des difficultés à communiquer et à établir des interactions sociales. A part la phobie des chevaux, il y a peu de contre-indications. Le choix s’avère donc difficile : « Nous favorisons les enfants scolarisés en école maternelle pour lesquels les difficultés de communication sociale et le comportement ¬posent problème », explique Joëlle Malvy, pédo¬psychiatre et responsable de l’hôpital de jour.
Prescrite par un médecin, l’équithérapie s’intègre dans une prise en charge individualisée, en lien étroit avec les familles et d’autres partenaires comme l’école. Un soin hors de l’hôpital, où chaque enfant est encadré par un adulte. La séance commence par la préparation du cheval. Ce jeudi-là, Lorik brosse Etoile, un shetland au corps massif et court sur pattes, à l’aide d’une étrille rose. L’infirmier lui montre le geste. Devant le box adjacent, la monitrice ¬Marion Tessier guide le jeune Sofiane, 6 ans. « Brosser le poney, c’est s’intéresser à un autre être, utiliser et manipuler un objet, imiter une action, coordonner la main et le regard… Préparer le cheval est une suite d’actions porteuses de sens, car elles permettent d’atteindre un but. Cela exerce les capacités de planification de ¬l’enfant », décrypte Laurence Hameury, la pédo¬psychiatre – désormais retraitée – à l’origine de ces ateliers lancés en 2003.
Ecoute et attention à l’autre
Les deux enfants commencent à montrer des ¬signes d’impatience. Lorik tape du pied : il veut monter sur le poney. Une fois la selle installée, il se laisse porter par Etoile. En route vers le grand manège ! Une main sur la longe, Sofiane le suit avec Rigolo. L’enfant guide le poney sur un ¬parcours et suit méticuleusement les consignes : une pause dans le cerceau vert, des zigzags entre les plots rouges et jaunes… Enfin, il monte sur le poney. S’allonge sur lui, l’enlace, l’embrasse… Un grand sourire aux lèvres. Le plaisir et la détente se lisent sur son visage. « Ici, Sofiane est plus relaxé et attentif. Il accepte les consignes, remarque Anne Jolivet, infirmière au centre de pédopsychiatrie. Nous travaillons sur l’écoute, l’attention à l’autre et la régulation des émotions. »Bercé par les pas de son poney, Lorik se penche en avant puis en arrière, à l’invitation de l’infirmier Patrice Delavous, avec qui il échange des regards complices. Qu’est-ce qui se joue dans cette relation à trois ? « Le poney fait preuve d’empathie et favorise l’attachement. Il a peu de mimiques faciales, ce qui le rend, pour une personne autiste, moins complexe qu’un humain. Entre lui et l’enfant s’instaure une communication sur un mode non verbal. Il favorise ainsi la -relation entre l’enfant et le thérapeute », précise Laurence Hameury.
En 2010, la pédopsychiatre a publié une évaluation quantitative de cette thérapie sur six ¬enfants de 5 à 7 ans, à l’aide d’échelles de mesure. Les résultats montrent des améliorations sur toutes les fonctions impliquées dans le développement, avec des effets marqués sur le tonus, l’imitation, la régulation des émotions, la communication… « Depuis la fin des années 2000, ce type d’études se multiplient. J’en ai analysé ¬25 publiées entre 2009 et 2016. Si les protocoles sont variés, toutes montrent une amélioration ¬significative des symptômes ciblés », note Laurence Hameury, auteure du livre L’Enfant autiste en thérapie avec le cheval (Editions Connaissances et savoirs, 98 p., 16,50 €).
D’après Marine Grandgeorge, maître de conférences au laboratoire d’éthologie animale et humaine de l’université Rennes-I, la littérature scientifique démontre un bénéfice majeur : l’amélioration des compétences sociales. « L’enfant communique mieux avec l’animal et l’adulte intervenant. Les résultats sont également probants pour la ¬réduction des troubles du comportement : il y a moins de stéréotypies [comportements répétitifs anormaux] pendant les séances. En revanche, les données manquent de robustesse concernant les bénéfices en dehors d’une séance. » L’objectif de la prise en charge étant bien sûr que les progrès se généralisent à la vie de tous les jours.
Aujourd’hui, les recherches s’étendent à des contextes variés : addictions, infirmités motrices, traumatismes psychologiques, troubles alimentaires, démences… Comment expliquer un tel ¬engouement pour les thérapies avec l’animal ? Depuis les travaux précurseurs, dans les années 1960, du psychologue américain Boris Levinson, considéré comme le père de ces pratiques, cinquante ans de recherches ont mis au jour les ¬bénéfices de la présence animale. D’abord sur le plan psychologique (estime de soi, soutien social, confiance en soi…), puis physiologique : moindre anxiété, meilleure santé cardio-vasculaire…
Une légitimité pas encore acquise
Dans les années 1980, des chercheurs reprochent à ces premiers résultats, reposant principalement sur des études de cas, leur faible rigueur scientifique. La recherche s’oriente alors vers le modèle pharmacologique : il s’agit de mesurer des effets à l’aide de protocoles standardisés, où il n’y a de place ni pour le hasard ni pour l’effet placebo. A la fin des années 1990, des critiques émergent dans le champ des sciences sociales : « Penser que l’animal produirait un effet thérapeutique dans n’importe quel contexte, avec n’importe quel humain, est illusoire. L’animal n’est pas un médicament », relève Véronique Servais, professeure à l’université de Liège. Dans le cadre de sa thèse sur une thérapie avec les dauphins auprès d’enfants autistes, l’anthropologue belge montrait que la standardisation des pratiques gommait les bénéfices.
« Pour mettre à distance l’effet placebo, le ¬modèle pharmacologique efface ce qui relève du contexte de soins. Or le bénéfice thérapeutique se joue dans la relation patient-soignant-animal et dans les représentations que l’humain a de l’animal. Les preuves scientifiques apportées par le modèle pharmacologique sont difficiles à transposer dans les pratiques de soins, qui ne relèvent pas de l’administration simple d’un traitement », analyse le sociologue Jérôme Michalon, auteur du livre Panser avec les animaux (Presses des ¬Mines, 2014). Mais, dans le milieu de la recherche, ces réserves ne remettent pas en cause le modèle pharmacologique, seul capable de donner une légitimité médicale à la médiation animale. Une légitimité qui, aujourd’hui encore, n’est pas totalement acquise. Des chercheurs pointent les faiblesses méthodologiques des études : échantillons de petite taille, absence de groupe contrôle, protocoles insuffisamment standardisés, influences d’autres thérapies associées, absence d’évaluation à long terme, faiblesses statistiques… Selon Laurence Hameury, il faudrait poursuivre les études scientifiques de haut niveau méthodologique sur des populations suffisantes, afin de permettre une reconnaissance officielle de la thérapie avec le cheval en tant que thérapie complémentaire.
Pour autant, l’animal est le bienvenu dans ¬nombre d’établissements sanitaires et médico-sociaux. Une médiation à vocation soignante, mais aussi sociale ou éducative. Ses objectifs ? Améliorer le bien-être des personnes âgées, ¬réduire l’anxiété des patients hospitalisés, renforcer l’estime de soi des détenus et favoriser leur réinsertion, rééduquer des personnes atteintes de la sclérose en plaques, améliorer l’observance au traitement des malades souffrant d’addiction… Bien souvent, il s’agit d’une approche complémentaire, dans le cadre d’un accompagnement plus global. D’après un sondage OpinionWay réalisé pour la Fondation Adrienne et Pierre Sommer en 2016, 92 % des Français pensent que les interactions avec des animaux -domestiques ou familiers peuvent être bénéfiques aux personnes âgées, handicapées ou ¬atteintes de troubles du développement.
« Les maisons de retraite ont fait connaître la médiation animale au grand public. Depuis les ¬années 2000, son développement est remarquable », indique Boris Albrecht, directeur de la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, une organisation à but non lucratif soutenant le développement de ces pratiques. Dans le cadre de son appel à projets, l’organisation reçoit de 180 à 200 demandes de financement chaque année. Fin 2016, l’Institut français du cheval et de l’équitation lançait lui aussi un appel d’offres, pour soutenir des projets de recherche sur la médiation équine. Parmi les initiatives retenues, celle du pôle de santé mentale du centre hospitalier de Dreux ¬devrait débuter en janvier 2018, une fois les dernières autorisations obtenues.
Le but du projet Pégase : « Valider scientifiquement une approche originale de la médiation par le cheval pour améliorer l’adaptation psychosociale des patients », explique Anne Héron, enseignante-chercheuse à l’université Paris-Descartes et directrice scientifique du projet. En partenariat avec les écuries du Sagittaire dans le Perche, les patients, par groupes de six, suivront trois séances au ¬contact du cheval, à pied. La méthode utilise des techniques de la thérapie brève de Palo Alto. La -recherche clinique inclura 96 patients hospitalisés en psychiatrie et rencontrant des difficultés sociales. Un suivi sur six mois permettra de mesurer les relations avec la famille, l’insertion professionnelle, l’estime de soi, la stratégie d’adaptation au stress… Premiers résultats prévus en 2018.
Deux ans, de l’idée au projet
« Malgré cet engouement, il ne faut pas croire que l’animal peut résoudre toutes les difficultés, avertit Boris Albrecht. La médiation ne saurait être une réponse unique à un problème. Si les modalités ne sont pas clairement définies, la présence d’un animal peut cristalliser les problèmes et faire imploser une structure. » Comment choisir l’animal ? Qui s’en occupera ? Comment sera intégrée la médiation dans le projet de l’établissement ? Le personnel sera-t-il formé ? Autant de questions qu’il vaut mieux anticiper, dans le cadre d’un projet doté d’un cadre, d’objectifs, d’outils d’évaluation… De l’idée au projet, deux ans de maturation ne sont pas de trop, glisse le directeur. Une telle démarche, l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu l’a menée à Lyon. Depuis 2013, l’établissement héberge des chevaux. « La médiation équine constitue un outil de soins à ¬disposition des équipes, prescrit par les médecins. C’est un projet institutionnel auquel sont associés les agents des espaces verts et les professionnels de santé », souligne Patricia Faure, enseignante-chercheuse à l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu jusqu’en juillet 2017, et présidente de l’association Equi-Liance, qui a formé le personnel dans le ¬cadre du plan de formation de l’hôpital, afin qu’il acquière une meilleure connaissance du cheval et de la pratique de médiation animale.
La qualification des intervenants est un autre enjeu de la médiation animale. En France, ce n’est pas un métier. Seul celui d’« équicien » est inscrit au répertoire national des certifications professionnelles dans le secteur médico-social : il consiste à guider des personnes handicapées avec des équidés. Sinon, il n’y a ni statut ni réglementation spécifique. D’après la Fondation Adrienne et Pierre Sommer, il existe une soixantaine de formations en médiation animale et en zoothérapie : « Elles durent d’une semaine à plus d’un an et sont très disparates, tant par les thèmes abordés que par le coût et la qualité », remarque Boris Albrecht. Conséquence : une personne sans qualification ayant suivi une courte formation en zoothérapie peut se décréter « zoothérapeute » et toquer à la porte des établissements afin de proposer ses services.
Un tel amateurisme pourrait causer du tort. « Il ne faut pas qu’un intervenant non thérapeute présente sa pratique comme thérapeutique, pointe Didier Vernay, neurologue et responsable du ¬diplôme universitaire Relation d’aide par la médiation animale à Clermont-Ferrand. Dans l’idéal, la thérapie avec l’animal est plutôt une compétence associée à une profession de référence. » Un outil de plus à la disposition des orthophonistes, infirmiers, médecins, psychomotriciens, ergothérapeutes… Pour éviter les dérives, les réseaux professionnels ont adopté des chartes de bonnes pratiques. Serait-ce un premier pas vers une ¬réglementation ? Pour Didier Vernay, elle pourrait déjà voir le jour dans les secteurs les mieux connus, comme les maisons de retraite. L’objectif : donner à l’usager les garanties d’une pratique encadrée, sécurisée et respectueuse.