Réformer le droit des animaux - itw Will Kymlicka

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Une interview très éclairante du coauteur de Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux (Alma Editeur, 2016), parue dans Libération il y a quelques jours.

Will Kymlicka: «Nos pratiques impliquent une souffrance animale immense pour un bénéfice humain négligeable»
Par Cécile Daumas, Recueilli par — 7 juillet 2017 à 19:06
http://www.liberation.fr/debats/2017/07 ... ig_1582418

Pour le philosophe canadien, le droit animal est dans l’impasse : non seulement il n’évite pas la souffrance provoquée par l’élevage industriel, mais il ne reflète pas non plus la réalité des relations entre hommes et bêtes. Et si chiens et chats devenaient membres légaux de la famille ?

Il ne mange plus de viande ni de poisson depuis trente ans et porte des chaussures en cuir vegan : malgré la cause qu’il porte au plus près de sa chair, Will Kymlicka est avant tout un professeur de philosophie politique, éminent spécialiste du multiculturalisme. Avec sa femme Sue Donaldson, ce Canadien de 54 ans a conçu une théorie des droits des animaux dont la version française, Zoopolis, a été publiée cet hiver (Alma Editeur). Il y a urgence, disent-ils, à réformer le cadre légal absurde par essence : les hommes ont le droit d’exploiter ou de tuer les animaux mais sans cruauté ! Un chat ou un chien est considéré comme une chose, propriété de son maître, même si ce dernier entretient avec lui des relations bien plus intenses qu’avec une table ou une lampe. Présent en juin au Festival de philosophie de Monaco où son ouvrage a été sélectionné, Will Kymlicka imagine une nouvelle place pour les animaux à partir des catégories politiques classiques : qui fait partie réellement de notre société ? Comment intégrer dans le droit la diversité des êtres humains et des animaux ?

Pourquoi la cause animale est-elle si populaire ?
Nous avons hérité d’un système légal centré autour du principe de non-cruauté envers les bêtes. Cette idée est au cœur des lois animales depuis cent cinquante ans : nous avons le droit de nous servir des animaux, de les blesser et de les tuer, mais il ne faut pas le faire de manière cruelle. Cette logique a échoué car ce cadre n’impose pas de vraies limites à une maltraitance systématique des animaux. La seule chose que ce système permet, c’est de poursuivre un individu qui se montre sadique. La société dans son ensemble traite les animaux comme une ressource dont on peut abuser sans considération et rien dans la loi ne l’interdit. Nous avons hérité de nombreuses pratiques qui impliquent une souffrance animale immense pour un bénéfice humain tout à fait négligeable : les animaux sauvages prisonniers des cirques ou bien l’élevage industriel.

C’est bien cette souffrance que de plus en plus d’individus ne supportent plus ?
Les attitudes du public envers les animaux sont en train de changer depuis environ cinquante ans. C’est un processus long et progressif, en partie à cause de nouvelles avancées scientifiques, de nouveaux éléments sur l’intelligence des animaux, le fait qu’ils ont une vie émotionnelle, mais aussi parce que les gens qui ont des animaux domestiques, chiens ou chats, voient bien qu’ils ont une personnalité, que leur vie peut se dérouler bien ou mal. Mais rien de tout ça n’est reflété dans la loi. La loi reste fondée sur ce modèle du XIXe siècle dans lequel les animaux ne sont que des possessions, des ressources à exploiter et à jeter.

La loi est donc en retard par rapport aux pratiques ?
C’est exactement cela. L’opinion publique a changé, progressé, la loi, elle, est toujours à la traîne. Et lorsque la loi change, elle ne change que pour des situations très particulières. Par exemple, dans le cas de l’élevage industriel, elle va se préoccuper d’interdire les cages vraiment trop petites pour les poulets. C’est bien, mais ils sont toujours en cage, la grande majorité ne voit jamais la lumière du jour, ils ne vivent à aucun moment une vie de poulet normale. Nous n’avons pas encore eu de discussion d’ensemble sur le statut des animaux dans la société. Nous n’avons pas encore eu de grand débat public autour des règles.

Vous dites qu’il faut se mettre à la place des animaux…
On pourrait se demander quelles relations les animaux veulent entretenir avec nous ! Une des difficultés dans le cas des droits des animaux, c’est qu’ils ne sont pas capables de s’organiser - s’ils pouvaient brandir des pancartes et manifester, les politiques en la matière seraient très différentes… Donc les partisans de la cause des animaux sont tout le temps dans une position où ils doivent défendre leur légitimité, leur droit de parler au nom des animaux. De nombreux défenseurs des droits des animaux se décrivent eux-mêmes comme des gens qui tentent de «donner une voix à ceux qui n’en ont pas», c’est une expression très courante. En fait, les animaux ne sont pas réellement sans voix ; ils essaient de communiquer avec nous - pas avec des manifs et des affiches ! Faire avancer la question animale, c’est essayer d’encourager les gens à vraiment écouter les animaux, à prêter attention à ce qu’ils essaient de nous dire. Qu’il s’agisse d’un chat ou d’un chien, ou que vous ayez passé du temps dans une ferme ou un abattoir - ils ne manquent pas de voix ! Souvent ils crient de douleur, ils sont visiblement terrifiés. Je pense qu’en tant que société, il faut que nous trouvions de quelles manières on peut écouter ce que les animaux essayent de nous dire.

S’intéresser aux animaux, n’est-ce pas se détourner des humains ?
Les données empiriques nous montrent que les gens qui se soucient du sort des animaux se préoccupent aussi beaucoup des êtres humains, donc ce sont les mêmes qui se mobilisent pour la cause animale et qui soutiennent la cause des immigrés, des réfugiés et d’autres minorités, etc. La cause des animaux fait partie des causes progressistes. Si, demain, beaucoup plus de gens s’intéressaient aux droits des animaux, ce serait aussi très bon pour d’autres causes humaines. Ce n’est pas une situation à somme nulle. Et si les deux sont liés, c’est entre autres parce que cela recoupe cette question de la vulnérabilité. Depuis l’après-guerre, les sociétés occidentales ont espéré que les droits de l’homme allaient protéger tout le monde. Mais la réalité, c’est que les droits de l’homme s’occupent de certaines personnes, de certaines choses, mais que beaucoup d’autres individus restent sans protection malgré tout. Il existe donc de nombreuses formes de vulnérabilité que les droits de l’homme ne protègent pas. Nous sommes aussi des êtres de chair. Or ce système ne nous épargne pas forcément très bien au niveau de cette vulnérabilité physique. C’est très exactement la vérité en ce qui concerne des animaux : ils souffrent de leur vulnérabilité corporelle.

Vous avez beaucoup travaillé sur le multiculturalisme, comment passe-t-on de la diversité au droit animal ?
En travaillant sur le multiculturalisme, je me suis beaucoup intéressé à la question de l’appartenance. Un des objectifs du multiculturalisme est de permettre à des gens d’origines différentes, aux histoires et aux parcours différents, aux identités différentes, de se sentir chez eux dans un même pays. Cela implique d’avoir quelques pistes de la façon dont on peut créer une idée de société qui inclue la diversité. Il faut regarder autour de nous, il faut se demander : «Qui est effectivement là ?» Et dès qu’on pose cette question, pour beaucoup de gens, la réponse à «qui est là ?» inclut aussi leur chien ou leur chat. Une psychologue, qui étudiait les liens familiaux des enfants, a posé aux parents comme aux enfants la même question : «Qui sont les membres de la famille ?» Les enfants mentionnent immédiatement le chien ou le chat de la maison. Dans un coin de notre cerveau, nous avons une certaine idée de notre identité en tant que famille, en tant que groupe, qui inclut les animaux. Une partie de nous a accepté le fait que nous vivons dans une société qui comprend des espèces multiples. Mais il y a aussi cette autre partie de nous qui adhère à ce modèle légal du XIXe siècle et qui dit que la société est uniquement composée d’êtres humains, que seuls les humains prennent part à la démocratie et qu’on peut ignorer les animaux lorsqu’il s’agit d’édicter des lois : il y a donc là un conflit fondamental.

De quel ordre sont ces conflits ?
Prenons les animaux de compagnie, ils sont généralement considérés comme des membres de la famille, alors que, d’après la loi, ce ne sont que des possessions. Donc si des époux divorcent, surgit la question légale de savoir qui va prendre le chien. Si le chien est une possession, la réponse est alors : c’est la personne qui l’a acheté, qui a payé. C’est celui ou celle qui a le reçu. Alors qu’évidemment, dans le cas des enfants, des êtres humains, la question est : «Qu’est-ce qui vaut mieux pour l’enfant ?» Les palais de justice sont inondés de cas où des individus s’en plaignent - ils veulent que le chien soit considéré comme un membre de la famille. Un autre exemple : dans la police, des chiens policiers travaillent aux côtés des agents, dans les aéroports, etc. Ils sont propriété de la police. Il y a cinquante ans ou même trente ans, la police tuait tout simplement ceux qui étaient trop vieux. De nos jours, l’idée est choquante de supprimer un animal qui a passé sa vie au service de la communauté. Désormais, dans de nombreuses municipalités, dont plusieurs villes britanniques comme Norwich, les chiens ou les chevaux de la police ou de l’armée ont droit à une retraite. C’est un droit légal. L’armée américaine le respecte aussi.

Comment faire évoluer le droit des animaux domestiques ?
La première étape est de les faire sortir de ce statut légal de «possession». On ne peut pas progresser tant qu’on ne l’a pas fait. Ensuite, une des réponses qui existent dans la littérature sur la cause animale est de dire qu’ils devraient être considérés comme des personnes. Puisque c’est une catégorie qui existe déjà dans la loi, il n’y a qu’à les inclure dans cette catégorie. Je pense que dans un avenir lointain, ça marchera peut-être mais, aujourd’hui, la société n’est pas prête. Avant d’en arriver là, on peut faire progresser les choses en utilisant d’autres catégories qui existent. Par exemple, la loi devrait reconnaître les animaux de compagnie comme des membres de la famille. C’est une catégorie légale qu’on peut utiliser, et ce n’est pas une utopie, puisque c’est ce que les gens ressentent. Ce qui est intéressant, c’est que déjà des juges disent dans certaines affaires : «Je vais partir du principe que le chien est un membre de la famille.»

Vous pensez également que les animaux pourraient être inclus dans la catégorie des travailleurs…
Nous avons un cadre précis pour les droits des travailleurs, je ne vois pas ce qui s’oppose, en principe, à l’idée de dire que les animaux ont droit à ce qu’on détermine un temps de travail maximum, un droit à la retraite, etc. Les êtres humains qui travaillent avec ces animaux les considèrent comme des collègues. Ils ont pour la plupart la même formation, les mêmes horaires de travail, ils travaillent ensemble, ils sont exposés aux mêmes risques ; il est clair que les humains voient ces animaux comme des collègues. Exprimons donc ce fait dans la loi.

Traduction : Judith Strauser.

ZOOPOLIS de SUE DONALDSON et WILL KYMLICKA (octobre 2016). Ed. Alma 29€, 400 pp.
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http://www.alma-editeur.fr/zoopolis.html
 
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