Xav":3viuag4p a dit:
Je ne crois pas que tous les avis s'équivalent au motif qu'ils enferment une dimension subjective. Tous les avis ne sont pas également légitimes et recevables et rien, à mon sens, n'est plus dangereux que ce relativisme a priori. C'est le débat rationnel qui doit permettre de trancher sur la pertinence des idées échangées.
Tu surinterprètes mes propos. Ce n'est pas parce que j'essaye de comprendre ton point de vue que je suis d'accord avec. Ça me paraît juste être une base saine de dialogue, d'échange et de rencontre.
Sur la rationalité des débats, on est d'accord, je le dis même dans mon précédent post. Tu adoptes un point de vue universitaire, qui n'est pas féministe, sur un ouvrage traitant de domination masculine. Tu n'évalues cet ouvrage qu'au regard de critères dominants ; ça me semble tout tranché en fait. Si tu ne souhaites pas essayer de venir à ma rencontre à ton tour pour comprendre un point de vue féministe (un parmi d'autres), je trouve cela dommage mais c’est ton problème et échanger avec toi reste intéressant (et chronophage) en ce qui me concerne. Je n’aborde pas l’échange d’idées comme un combat, ni un concours à vrai dire, mais comme une rencontre.
Je trouve ton approche un peu circulaire en ce qu’elle semble n’accepter de valider que les critiques relevant de critères universitaires/scientifiques alors que c’est justement un des reproches fait à Bourdieu : d’adopter une pseudo-neutralité scientifique qui ne peut pas exister compte tenu, précisément, de son parcours, dans le champ féministe, avec les termes du/es débat/s féministe/s. Tu réponds à côté de la critique faite à Bourdieu. Peut-être ne cautionnes-tu pas les postulats du féminisme ? Dans ce cas, la rencontre ne se fera jamais effectivement.
Xav":3viuag4p a dit:
Une citation n'est pas, en tout cas de mon point de vue, une contextualisation. Pour contextualiser la Domination masculine il faudrait reconstituer en partie la trajectoire de l'auteur, montrer en quoi l'ouvrage fait continuité (ou discontinuité) avec cette trajectoire, quels sont les enjeux d'une telle prise de position, à ce moment là plutôt qu'à un autre, montrer quelles sont ses sources, avec qui Bourdieu travaille (le sociologue Didier Eribon que tu connais peut-être, pour ne citer que lui) pour se familiariser avec certaines problématiques qui, sans être éloignées intellectuellement de ses recherches anthropologiques, le sont par le style de la formulation (parfois une forme de radicalisme chic de campus que Bourdieu exécrait) et par des affirmations contestables (une radicalisation du pouvoir du performatif qui nie les résistances de la réalité aux entreprises de re-catégorisation de la réalité: il ne suffit pas de nommer pour faire, de renommer le monde pour le changer, même si les luttes sur les mots, et l'arbitraire qu'ils recouvrent, sont essentielles...). Je prends le billet de Crêpe Georgette comme il se donne: un billet d'humeur. Pas un texte d'analyse.
Encore une fois, raisonnement circulaire : tu donnes des bons et mauvais points à Crêpe Georgette sur des critères universitaires. Mais (j'ose parler en son nom), il y a de fortes chances pour que Crêpe Georgette se contrefiche de la socio-genèse de la théorie bourdieusienne. Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Elle, la contextualisation qu'elle fait, est celle de l'inscription de cet ouvrage dans une lutte féministe.
Deux citations ne font pas une contextualisation, on est d'accord. Mais ce n'est pas parce que CP ne fait pas la contextualisation que tu jugerais pertinente, toi, qu'elle n'en fait pas. Moi je trouve qu'elle contextualise pas mal la posture de Bourdieu, écrivant
La Domination masculine, quand elle dit "Les hommes sont une classe dominante. Qu'ils le veuillent ou non. Ils en font partie qu'ils le souhaitent ou pas" et qu'elle développe. Parce que c'est bien dans ce contexte là qu'est produit ce livre.
En ramenant le débat au parcours de Bourdieu, tu effectues un déplacement et évites la critique politique de ce texte. Non, ce n’est pas une recension scientifique que fait CP (mais il n’y a que toi qui attend cela), ce n’est pas non plus un billet d’humeur, c’est un texte militant.
Tu peux reprocher à CP de ne pas être une scientifique, "nous" reprochons à Bourdieu de ne pas être féministe/pro-féministe et de produire un livre intimement lié à ces questions.
Xav":3viuag4p a dit:
Tous les savoirs sont situés (y compris les connaissances mathématiques ou physiques). Dire "ce point de vue est socialement situé, il n'est forcément pertinent que partiellement" est, je pense, une erreur, dans la mesure où on nie d'emblée la capacité d'un point de vue à transcender ses conditions d'énonciation. Rien ne s'oppose à ce que Bourdieu soit réapproprié dans des univers militants (mise à part cette posture qui refuse toute pertinence à un diagnostic, scientifiquement fondé ou non, qui aurait le défaut originaire d'être trop mâle ou universitaire, etc.).
Oui, j’ai même explicitement dit dans mon précédent post : "Plus exactement, il s'agit pour les féministes de savoir qu'en faire, comment le recevoir, l'utiliser, le récupérer même. Je crois d'ailleurs qu'on commence à rouvrir le débat, notamment chez les féministes, maintenant que l'homme et son poids symbolique font moins d'ombre à l'oeuvre (on va le formuler comme ça faute d'autre chose)."
Xav":3viuag4p a dit:
Bourdieu est critiqué partout, tout le temps. Critiqué mais pas réfuté. "Mandarin", "sectaire", "dominateur", "cynique" (on entend ça systématiquement) c'est le degré zéro de la critique. Et dans l'univers savant, les tentatives de réfutation de sa sociologie de la stratification des goûts (La Distinction) ou de sa vision de la reproduction des héritages culturels par exemple, sont de très mauvaise qualité. A l'étranger, notamment aux Etats-Unis, mais aussi en Allemagne, Bourdieu est discuté beaucoup plus sérieusement. Les deux sociologues américains les plus importants aujourd'hui (Andrew Abbott et Randall Collins) s'approprient et discutent Bourdieu tout en réservant à ses travaux une place de premier rang.
Il y a également l'aspect collectif de la recherche initiée par Bourdieu (une revue, un laboratoire, des thèses heuristiques reprises dans les travaux d'autres chercheurs, etc.) qui donne, de loin, l'image d'une secte. Mais fait-on le procès, à un siècle de distance, à l'école durkheimienne d'avoir fondé la sociologie en France? Non. Mais ce fut long (aussi) pour Durkheim... .
Ce débat-là m’intéresse beaucoup moins. Juste, sur la réception de Bourdieu aux USA : oui, il y a des gens qui font de chouettes choses avec. En France aussi. Et tu maîtrises de toute évidence mieux que moi ce champ.
Juste une précision, pour avoir vécu l'enseignement américain de l'intérieur : aux USA, justement, Bourdieu est enseigné en tant qu’un des membres de la French Theory, ce formidable mouvement de pensée défini à partir de la catégorique unitaire homogène et si exotique que constitue la « tradition française » du point de vue américain. Je ne suis pas certaine que ce soit plus profitable aux travaux de Bourdieu. La postérité met du temps à s’installer, c'est même sa raison d'être. Etre bourdieusien est malheureusement souvent une posture dans les deux pays, et heureusement ça ne l’est pas systématiquement.
Combien de grands penseurs ne sont re/découverts que tardivement ? Je ne parle que de ces dernières années : Blanqui, Fourier, etc. Elias a été ignoré voire méprisé de son vivant, et son oeuvre majeure n’a toujours pas été traduite en français ! Ellul commence à sortir de son trou ! C’est le rythme de l’histoire, de la recherche (bon en France on est paticulièrement lents).