La polarité « homme-femme » en question

  • Auteur de la discussion Anonymous
  • Date de début
Sur l'invention de l'hétérosexualité, il y a le livre antérieur de Jonathan Ned Katz.
Dans le cadre d'un cours de sociologie du genre, j'ai fait travailler sur des cas pratiques: la galanterie, la notion de normalité (et la norme hétérosexuelle), les sociétés sans domination masculine. Je mets les textes sur l'hétérosexualité et l'homosexualité ci-dessous, avec les questions. Vous avez déjà les réponses mais ça vous intéressera peut-être.




L’officialisation de l’hétérosexualité

La première apparition du mot « hétérosexuel » aux Etats-Unis remonte à la publication d’un article du Dr James G. Kiernan dans une revue médicale de Chicago en mai 1892. « Hétérosexuel » n’était pas l’équivalent de sexualité normale, mais de perversion […] On attribuait à ces hétérosexuels une disposition mentale appelée « hermaphrodisme psychique ». Les hétérosexuels éprouvaient périodiquement des « inclinations pour les deux sexes ».
Le nouveau terme « hétérosexuel »ne réapparut qu’au début de l’année 1893, aux Etats-Unis, dans la première publication en anglais de Psychopathia Sexualis, with Especial Reference to Contrary Sexual Instinct : A Medico-Legal Study, de Richart von Krafft-Ebing, professeur de psychiatrie et de neurologie à l’Université de Vienne. Ce livre paraîtra plus tard dans de nombreuses éditions, devenant ainsi l’un des ouvrages majeurs sur la « pathologie » sexuelle. Ses troublants exemples de pratiques sexuelles « maladives » établissaient, par opposition, les nouvelles prémices d’une notion de saine sexualité […] Quand, avec ce livre, de nombreux Américains découvrirent son terme hétéro-sexuel, la définition de cette notion recouvrait procréation, différenciation sexuel et « instinct sexuel » érotique. Chez Krafft-Ebing, le trait d’union entre « hétéro » et « sexuel » liait étroitement différence sexuelle et érotisme pour établir un plaisir défini par la différence de sexe des partenaires. Contrairement à Kiernan, son hétéro-sexuel ne désire pas deux sexes, mais un seul : son opposé. Bien qu’il implique toujours un désir de procréation, le terme hétéro-sexuel de Krafft-Ebing n’y fait pas explicitement référence. Par conséquent, son hétéro-sexuel signifie toujours implicitement normalité sexuelle, et son terme jumeau, homo-sexuel désigne un désir pour le même sexe, pathologique puisque non procréateur […] Ces distinctions entre les différents termes et définitions de la sexualité ont une importance historique, mais elles sont complexes et peuvent être difficiles à saisir. De plus, la norme hétérosexuelle propre à notre société contribue à nous fermer à d’autres classifications possibles des individus.
Jonathan Ned Katz, L’invention de l’hétérosexualité, 2001.
Questions : 1. A quels adjectifs les mots « hétéro-sexualité » et « homo-sexualité » sont-ils associés ? Qu’en concluez-vous ? 2. A quoi voit-on que l’on assiste à la naissance d’une idée en cette fin de XIXe siècle ? 3. Qu’est-ce qui explique la diffusion de cette nouvelle idée ? 4. Expliquez la phrase soulignée.




Une autre codification des identités sexuelles
Depuis l’Antiquité, rien ne suscite chez les admirateurs des Grecs autant de gêne ni de franche répulsion que la « pédérastie » (de pais, qui signifie « enfant », et erastès, « amant »), qui désigne la fait de prendre un jeune garçon pour amant […] L’auteur et homme d’Etat romain Cicéron (106-43 av. J.-C.), comme ses contemporains, voyait dans la pédérastie un phénomène exclusivement grec et se moquait des philosophes vantant la prétendue vertu qu’un amant plus âgé transmettait à son aimé. « D’où vient, écrivait-il, qu’on n’aime ni un jeune homme laid, ni un beau vieillard ? Il me semble que cette coutume a commencé dans les gymnases, où de telles liaisons étaient possibles et tolérées. » Le mot même de « gymnase » vient du grec gumnos, qui signifie « dévêtu ». Les opportunités pédérastes qu’offraient ces lieux expliquent d’ailleurs clairement la législation adoptée par des cités grecques pour contrôler l’accès aux jeunes garçons s’entraînant […] En Crète par exemple, il semble avoir été coutumier, pour un adolescent, de commettre un simulacre de viol sur un autre garçon, puis de vivre reclus avec lui pendant plusieurs mois avant de retourner au sein de la communauté. Nombre d’historiens voient là une forme d’initiation et ces usages permettaient manifestement de créer entre jeunes gens des liens fondateurs pour une armée efficace […]
Sur la transmission de la pédérastie jusqu’aux premiers siècles de notre ère, on peut affirmer qu’elle était discutée sans pour autant constituer une vogue. Ainsi, l’historien romain Plutarque (46-125 ap. J.-C.), a écrit tout un Dialogue sur l’amour, où il compare placidement les mérites respectifs de l’attachement pédérastique et du lien conjugal. Même s’il ne fait aucun reproche aux amateurs de garçons, sa propre préférence, qu’il défend avec ardeur, va au mariage avec une femme. Rien d’étonnant à ce que les Chrétiens aient tant apprécié Plutarque.
Glen Warren Bowersock, « Pour l’amour des garçons », The New York Review of Books – Booksmag, n°28, janvier 2012.
Questions: 1. En quoi les pratiques décrites par le texte se rapportent-elles à un modèle de socialisation ? 2. Pourquoi l’auteur ne parle-t-il pas d’homosexualité ? 3. Qu’est-ce qui explique le déclin de la pédérastie ? Appuyez-vous sur le texte pour répondre. 4. Ce texte confirme-t-il l’hypothèse d’une construction sociale des identités sexuelles ? Justifiez.
 
Retour
Haut