Le pardon est crucial, il faut pardonner aux êtres qui font du mal. C'est difficile mais il faut le faire. D'ailleurs, il l'a déjà dit, dans de meilleurs termes certainement, et les évangiles retracent des propos de Jésus qui iraient dans le même sens.
puisqu'on scinde le sujet ... sur le pardon et la (non)violence, très beau et lumineux commentaire de R.Girard de Mt 5, le fameux passage du tendre l'autre joue ... :
" Pour sortir de la violence, il faut, de toute évidence, renoncer à l’idée de rétribution; il faut donc renoncer aux conduites qui ont toujours paru naturelles et légitimes. Il nous semble juste, par exemple, de répondre aux bons procédés par de bons procédés et aux mauvais par de mauvais, mais cela, c’est ce que toutes les communautés de la planète ont toujours fait, avec les résultats que l’on sait... Les hommes s’imaginent que pour échapper à la violence, il leur suffit de renoncer à toute initiative violente, mais comme cette initiative, personne ne croit jamais la prendre, comme toute violence a un caractère mimétique, et résulte ou croit résulter d’une première violence qu’elle renvoie à son point de départ, ce renoncement-là n’est qu’une apparence et ne peut rien changer à quoi que ce soit. La violence se perçoit toujours comme légitime représaille. C'est donc
au droit de représailles qu’il faut renoncer et même à ce qui passe, dans bien des cas, pour légitime défense. Puisque la violence est mimétique, puisque personne ne se sent jamais responsable de son premier jaillissement, seul un renoncement inconditionnel peut aboutir au résultat souhaité :
Si vous faites du bien à ceux qui vous en font, quel gré vous en saura-t-on ? Même les pécheurs en font autant. Et si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on ?
Même les pécheurs prêtent à des pécheurs pour en recevoir l’équivalent. Au contraire, aimez vos ennemis, faites du bien et prêtez sans rien attendre en retour (Lc 6, 33-35).
Si nous interprétons la doctrine évangélique à partir de nos propres observations sur la violence, nous verrons qu’elle énonce de la façon la plus concise et la plus claire tout ce que les hommes doivent faire pour rompre avec la circularité des sociétés fermées, tribales ou nationales, philosophiques ou religieuses. Rien ne manque et rien n’est superflu. Cette doctrine est d’un réalisme absolu. Elle voit parfaitement tout ce qu’implique la sortie hors de la « clôture métaphysique » et elle ne tombe jamais dans les erreurs jumelles du fanatisme moderne qui méconnaît l’ambiguïté et l’universalité de la violence, et qui s’en prend toujours soit au désordre seulement, soit au contraire à l’ordre, soit au seul dérèglement, soit à la seule règle, croyant toujours qu’il suffit, pour triompher de la violence, de se débarrasser par la violence soit de ceci soit de cela, en réprimant plus encore que par le passé les impulsions individuelles, ou au contraire en les libérant dans l’espoir absurde que cette libération est capable à elle seule
d’établir la paix entre les hommes.
Parce qu’ils ne connaissent pas la violence, et le rôle qu’elle joue dans la vie humaine, les interprètes s’imaginent tantôt que les Evangiles prêchent une espèce de morale naturelle que les hommes, parce qu’ils sont naturellement bons,respecteraient d’eux-mêmes, s’il n’y avait pas les «méchants » pour les en empêcher, tantôt que le Royaume de Dieu est une espèce d’utopie, un rêve de perfection inventé par quelque doux rêveur, incapable de comprendre sur quelles bases l’humanité a toujours fonctionné et continuera à fonctionner.
Personne ne voit que c’est de la nature vraie de la violence que se déduit, par une logique implacable, la règle simple et unique du Royaume. Personne ne voit pourquoi la désobéissance ou l’obéissance à cette règle unique engendre deux Royaumes qui ne peuvent pas communiquer l’un avec l’autre, séparés par un véritable abîme. Les hommes peuvent franchir cet abîme; pour cela il suffit que tous ensemble, mais par une décision qui relève de chaque individu en particulier puisque les autres, pour une fois, n’y sont pas impliqués et ne devraient pas être capables de l’infléchir, ils adoptent la règle unique du Royaume de Dieu. "
A mettre en relation avec ce texte de K.Lorenz sur les analogies entre les comportements instinctuels empêchant les meurtres chez les loups, avec les gestes de soumissions chez les humains (déposer les armes, s’agenouiller, présenter sa poitrine, se décoiffer ... ou incliner la tête pour saluer = soumission réciproque)
" Il va sans dire que les inhibitions héréditaires et instinctives qui empêchent un animal d'utiliser sans réserves ses armes contre ses semblables ne constituent qu'une analogie fonctionnelle, tout au plus une pâle aube, et pour ainsi dire un précurseur phylogénétique de la morale sociale des hommes. L'éthologiste devra donc se montrer très prudent dans ses jugements éthiques sur le comportement animal. Je vais, malgré cela, porter un de ces jugements entâchés de sentiments : je trouve émouvant et admirable de voir que le loup ne veut pas mordre, mais plus encore de voir l'autre se fier à cette inhibition ! Un animal remet sa vie à la vertu chevaleresque de l'autre ! L'homme devrait bien en prendre de la graine. J'en ai, pour ma part, tiré une nouvelle et plus profonde connaissance d'une parole magnifique et souvent méconnue de l'Évangile qui n'éveillait en moi qu'un mouvement de contradiction : « Si on te frappe sur la joue droite… » Un loup m'a instruit : ce n'est pas pour que ton ennemi te frappe à nouveau que tu devras tendre l'autre joue, mais pour qu'il lui devienne impossible de le faire ! "