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  • Auteur de la discussion Anonymous
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Un article de Mediapart sur la condition ouvrière et animale dans les abattoirs. C'est une interview de l'auteur de Steak Machine, qui s'est infiltré dans un abattoir et y a travaillé pendant 40 jours.

L'enfer de la condition ouvrière et animale à l'abattoir

À l'été 2016, le journaliste Geoffrey Le Guilcher s'est fait embaucher durant 40 jours dans un abattoir breton. Il livre aujourd'hui Steak Machine, une enquête de terrain édifiante décrivant la condition ouvrière et animale sur les chaînes d'abattage. Entretien avec l'auteur et bonnes feuilles.

Geoffrey Le Guilcher était un « viandard ». Pas de bonne journée sans tailler une énorme bavette ou un kebab. Peu importe l’origine du morceau. Pourvu qu’il nourrisse. En tête, l’adage de ses grands-parents qui le suit depuis l’enfance : « Mieux vaut manger de la viande tous les jours plutôt que de partir en vacances. » La viande « comme un symbole de réussite et de pleine santé ». 40 jours d’immersion dans un abattoir industriel auront vacciné à vie ce journaliste indépendant, collaborateur à Mediapart, Les Jours, Streetpress ou encore Le Canard enchaîné, devenu à 30 ans flexitarien, un végétarien flexible qui mange encore un peu de viande, mais très peu.

De ce voyage au bout de la viande saignante dans l’antre qui a donné naissance au travail à la chaîne et inspiré Ford, Geoffrey Le Guilcher a rapporté des articulations endolories et un récit édifiant, à la première personne, qui étourdit le lecteur tant il décrit justement la violence d’un système : Steak Machine, le premier livre d’une toute nouvelle maison d’édition spécialisée dans la littérature d'immersion, les éditions Goutte d’Or. Il y raconte ces 40 jours à la chaîne d’abattage d’un monstre de métal qui broie les hommes et les bêtes jusqu’à l’os, un abattoir industriel qui génère près d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires et abat deux millions d’animaux par an. C’est un abattoir industriel qu’il appelle “Mercure” « car il y fait chaud, on s’y bousille la santé, et c’est une petite planète », sis en Bretagne, la région-abattoir de la France, qui emploie 30 % des salariés de la filière viande.

Geoffrey Le Guilcher tait le nom de l’usine pour protéger l'identité des collègues rencontrés. Il a modifié les prénoms, les lieux, « seul moyen de raconter sans voile la vie à l'intérieur et à l'extérieur de l'usine ». C’est la souffrance animale qui l’a conduit à s’intéresser à la vie, à la mort derrière les murs des abattoirs. Mais aussi les nombreux scandales de maltraitance dévoilés par l’association L214, qui s’infiltre dans les abattoirs pour dénoncer la violence faite aux animaux et le non-respect des législations. « Depuis deux ans, leurs vidéos ne cessent de tourner. Et à chaque fois, les directions des abattoirs réagissent en minorant les faits et en accablant des salariés, des brebis galeuses qui auraient pété un plomb. J’ai eu envie d’aller voir ce qui se passait vraiment. Et comme les abattoirs sont des lieux plus fermés qu’un sous-marin nucléaire, est née cette idée de s’infiltrer », raconte le journaliste.

Au fil des pages de cette enquête de terrain saisissante, dans ce complexe industriel où la cadence est infernale, absurde, transpire la souffrance animale. Et plus encore, la souffrance humaine d’un monde ouvrier qui n’a droit qu’à vingt minutes de pause en huit heures. « Les deux sont indissociables », rappelle le journaliste, qui dévoile dans Steak Machine un rapport, enterré sous la pression des patrons de la viande, sur les conditions de travail épouvantables dans les abattoirs bretons. Dans ce rapport Stivab, pour « Santé et travail dans l’industrie de la viande », déterré avec la journaliste Virginie Vilar et qui fera l’objet d’un « Envoyé spécial » diffusé le 16 février sur France 2, des chiffres, des témoignages et des expertises viennent éclairer une réalité, l’enfer du travail à la chaîne en abattoir et les risques pour la santé des travailleurs. Cette réalité est connue depuis des décennies, mais les pouvoirs publics et les industriels n’ont jamais rien fait pour la modifier. À commencer par le drame des TMS, troubles musculo-squelettiques qui peuvent entraîner des handicaps définitifs : 89 % des hommes et 92 % des femmes travaillant en abattoir en ont souffert. Mais pas seulement… C'est aussi l'emprise des cachets pour « tenir », des pratiques managériales très dures.

Tiré à 5 000 exemplaires, Steak Machine a été en rupture de stock trois jours après sa sortie. 5 000 nouveaux exemplaires viennent d'être réimprimés. Mais ce ne sont pas les hypermarchés Leclerc qui auront contribué au succès de l'ouvrage. Comme l'a rapporté Ouest France, le livre n’a jamais figuré dans les magasins de l'enseigne et a très vite disparu du site internet où l’on pouvait le commander. Et pour cause : l'abattoir en question serait Kermené, à Collinée dans les Côtes-d'Armor, une filiale des centres distributeurs Leclerc depuis 1978…

Entretien avec l’auteur suivi d‘un extrait du livre en page 2, « Si tu te drogues pas, tu ne tiens pas ».

Les abattoirs sont des lieux extrêmement fermés. Comment avez-vous réussi à vous infiltrer ?

Geoffrey Le Guilcher : Les abattoirs sont non seulement des lieux clos, cachés mais aussi totalement paranos. Depuis la médiatisation des vidéos de L214, ils craignent des infiltrations de militants. Il ne fallait pas que je sois repéré en tant que journaliste. Ce qui aurait été le cas en donnant mon identité. Autre contrainte : comme ce sont des agences d’intérim qui embauchent, il me fallait une carte d’identité, un compte bancaire, un numéro de Sécu. Du coup, j’ai donné mon deuxième prénom, Albert. Quand on tapait mon nom et mon deuxième prénom sur Google, rien ne sortait. J’ai pu ainsi donner mes vrais papiers d’identité. L’agence d’intérim a tiqué et m’a demandé pourquoi Albert et pas Geoffrey. J’ai expliqué que depuis tout petit, on utilisait mon deuxième prénom.

Les conditions de travail désastreuses dans les abattoirs sont bien connues. Vous rappelez combien ces lieux créent des handicapés, broient les individus jusqu’à l’os. Mais c’est la condition animale qui vous a conduit à vous intéresser à la condition sociale des salariés…


Un abattoir, c’est une somme de tabous. Et L214 a levé le premier d’entre eux : la souffrance animale. Mais ce n’est que le début de la chaîne. Et la maltraitance animale est intimement liée à la maltraitance humaine. Dans l’abattoir, la souffrance humaine est partout. Elle est physique, psychologique, mais avant tout physique. L’une des principales causes en est la cadence, des journées de huit heures avec une seule pause de vingt minutes. Dans l’abattoir où j’étais, on tue une vache par minute, deux millions d’animaux par an. La cadence dans ces abattoirs industriels est telle qu’on ne cesse de courir après le temps, une course contre soi-même. On est souvent en retard, car chaque animal est différent et cela complique la tâche. Il peut être trop gros, ce n’est pas pareil si c’est un taureau ou un veau. Moi, j’étais sur une chaîne d’abattage dite chaîne-bœuf, affecté au dégraissage, un poste pas facile où tu dois dégraisser au couteau une demi-carcasse de vache par minute.

Comment votre corps a-t-il réagi à cette cadence ?

Le premier jour est un test. Tu sais si tu vas tenir ou pas. Des gens vomissent à cause de l’odeur, des images, du bruit, des carcasses de vaches accrochées au plafond à perte de vue et suspendues par une patte. Tu découvres un univers très difficile. Tu es immédiatement confronté à un deuxième problème, qui devient principal : la réaction physique de ton corps à la cadence effrénée. Dès les premiers jours, j’ai mal au dos, aux doigts, aux bras, partout. Parce qu’on ne m’a pas formé, me jetant sur la chaîne à l’arrache, la paire de gants que j’utilise n’est pas la bonne et me provoque des cloques. Heureusement, il y a une grosse solidarité entre ouvriers. On me donne des conseils, m’explique ce qu’il faut faire. Le plus problématique, c’est tes articulations. Jusqu’à une demi-heure après mon réveil, mes doigts restaient bloqués. Certes, je suis journaliste, je n’exerce pas un métier manuel, mais j’ai déjà été manœuvre sur des chantiers. La violence n’est pas comparable. Ici, aucun poste n’est épargné, car tout le monde est soumis à la même cadence.

Comment s’est passée votre intégration au sein du collectif des ouvriers ? Vous racontez avoir pris les mêmes drogues, alcool, LSD, que vos collègues pour « tenir »…

La solidarité sur la chaîne n’est pas une légende. Dès qu’un ancien ou même un jeune voit que tu ne suis pas le rythme, il vient te filer un coup de main, prendre ton couteau. Mais il peut aussi y avoir une mauvaise ambiance, mise en place par la hiérarchie pour diviser et mieux régner, créer une concurrence entre équipes de travail sur le chiffre, etc. Très vite, j’ai rencontré des collègues de mon âge ou des anciens qui m’ont pris en sympathie, « passe à la maison, après le boulot ». Certains consacrent leurs week-ends entiers à prendre des drogues pour aller au bout d’eux-mêmes et reprennent le travail le lundi sans avoir dormi. En les suivant, j’ai réalisé la dureté et la violence de la chaîne. C’est leur manière de décompresser de l’enfermement pendant une semaine à la chaîne. D’ailleurs, les vendredis, quand les « tueurs » traversent les ateliers, un brouhaha monte et ils passent comme des rock stars. Cela veut dire que la fin de journée est proche, que le nombre de bêtes à tuer a été atteint.

Votre récit s’ajoute aux nombreux travaux qui démontrent combien la cadence infernale créée par l’outil industriel est source de cruauté pour les animaux…

Les gros abattoirs ont plus de moyens que les petits abattoirs. Donc ils sont plus aux normes que les petits. Mais la cadence y est beaucoup plus élevée et la pression plus grande. Dans ce contexte où l’on met une contrainte gigantesque sur les hommes, on crée les conditions pour que les hommes qui travaillent sur les animaux les tuent mal. Quand on n’a qu’une minute pour tuer une vache et vingt secondes un cochon, on a déjà du mal à le faire dans le temps imparti. L’animal n’est pas une chose, il te rappelle sans cesse qu’il est un être vivant. Il lutte, se débat, parfois des veaux s’échappent et sortent sur la chaîne, créant un gros bordel. C’est à ce moment-là qu’il risque de donner des coups, peut blesser le salarié ; quand tu as un chef qui t’engueule et t'ordonne de ralentir, l’animal peut devenir ton ennemi. Autre phénomène : le tabou. Les abattoirs sont des lieux cachés, construits en périphérie ou à la campagne depuis plus d’un siècle. À la fin du XIXe siècle, on estime qu’on ne peut plus tuer les animaux en plein centre-ville pour des raisons d’hygiène et parce que cela peut donner des envies de meurtre aux hommes, tant les scènes sont violentes. Avant, on appelait cela la tuerie. Maintenant, la tuerie est à l’intérieur de l’abattoir. Et en plus, ils ont été industrialisés. Ce n’est pas une entreprise classique, ce n’est pas un abattoir mais dans sa conception, c’est plutôt à rapprocher de l’univers des prisons. C’est pour cela qu’il faut une législation particulière.

L’Assemblée nationale a examiné mi-janvier en première lecture la proposition de loi « relative au respect de l’animal en abattoir ». Portée par le député Olivier Falorni (Charente-Maritime, divers gauche), elle doit lutter contre la maltraitance animale et renforcer la transparence et le contrôle dans les abattoirs. C’est le premier texte du genre, mais il a été vidé de sa substance…

Olivier Falorni a fait un gros travail d’enquête. Mais il ne reste plus grand-chose de sa proposition de loi, en effet. Outre qu’elle a été votée par 28 députés sur les 577, car il n’y en avait que 32 de présents, ce qui démontre le désintérêt ou le fait que personne n’ose prendre position sur le sujet pour ne pas avoir de problèmes dans sa circonscription, les bonnes mesures ont disparu : expérimenter les abattoirs mobiles – un camion vient près de la ferme et l’animal n’a pas à subir une semaine d’horreur avant de finir à l’abattoir ; créer des comités locaux, comme dans le nucléaire, rassemblant élus, directeurs d’abattoir, associations ; ouvrir les abattoirs davantage aux députés, aux journalistes, comme les prisons ; rendre obligatoire la présence permanente de vétérinaires à la tuerie pour voir si un animal est mal tué… Mais qui est responsable de cette situation ? Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. Avant le vote de la loi, il a mis la pression sur Falorni : « Si tu veux que ta loi passe, choisis soit la vidéosurveillance, soit le vétérinaire permanent à la tuerie. » Falorni a choisi le contrôle vidéo, mais les images ne seront accessibles qu’au vétérinaire et au RPA, le responsable de la protection animale, l’un des chefs de chaîne, cela veut dire que la tuerie sera uniquement visible par la hiérarchie et les vétérinaires, deux catégories qui ont déjà le droit d’accéder à cette zone sensible. On reste ainsi dans la même logique de tabou. Le Foll a montré qu’il était incapable de faire fi des pressions des éleveurs et de l’industrie agroalimentaire pour prendre une décision et permettre de réduire la souffrance animale en abattoir. Il faudrait créer un secrétariat d’État à la condition animale ou un vrai contre-pouvoir au ministère de l’agriculture.

Comment réduire l’autre souffrance majeure dans les abattoirs, celle des ouvriers ?

Le travail à la chaîne est né dans les abattoirs industriels de Chicago, il y a un siècle et demi. Ford s’est appuyé dessus pour créer le fordisme et l’appliquer aux usines automobiles. Sauf que ces chaînes-là sont aujourd’hui robotisées, ce qui est impossible dans les abattoirs, où chaque animal est différent. L’homme reste indispensable. Pour réduire la souffrance, il faudrait déjà commencer par multiplier par quatre le nombre de pauses dans une journée. Aujourd’hui, c’est inhumain mais légal, ils n’ont que vingt minutes pour huit heures. Il faut aussi réduire la cadence pour mieux tuer les animaux et ainsi améliorer les conditions de travail des salariés.

Comment les salariés vivent-ils leur travail ? Sont-ils là car ils n’ont pas le choix, dans une région ébranlée par la fin du « miracle agricole breton » et confrontée à des plans sociaux en série dans l’agroalimentaire, et notamment dans les abattoirs ?

Il y a plusieurs catégories. Il y a ceux qui ont connu des conditions de travail beaucoup plus trash : les anciens, qui trouvent l’outil moins violent que par le passé, ceux qui étaient dans l’agriculture comme ce porcher qui m’expliquait qu’il travaillait jour et nuit, pour moins d’argent qu’ici. Là, il a des horaires, un salaire, une mutuelle, un treizième mois, une forme de luxe. Il y a ceux qui étaient dans le bâtiment, dans d’autres secteurs et qui arrivent là car ils sont au chômage, des gens qui n’ont pas le choix, ont besoin de bosser pour manger, nourrir la famille, payer les crédits. Puis il y a des jeunes de 18 à 22 ans qui veulent un salaire très vite et pouvoir se barrer de chez eux.

Vous n’avez pas vraiment menti sur votre identité en donnant votre deuxième prénom. En revanche, vous avez menti sur votre qualité en cachant que vous étiez journaliste. Condition pour pouvoir vous immerger. Comment avez-vous vécu ces contraintes de l’immersion au quotidien dans l’usine, avec ceux qui vous ont fait confiance ?

Ce qui me pesait le plus à la fin de mon immersion, c’est d'être devenu ami avec trois salariés et d’être dans le mensonge avec eux. Eux ne savaient pas qui j’étais. Moi je savais qui ils étaient. J’avais peur que le jour où ils découvriraient ma qualité réelle, ils le vivent comme une trahison. Je les ai appelés avant la sortie du livre. Le premier m’a félicité ; le deuxième m’a invité à passer le voir ; le troisième s’était fait virer et avait un nouveau boulot.


CHAPITRE 6 : « SI TU TE DROGUES PAS, TU TIENS PAS »

Je retrouve Kevin à deux pas de chez lui, en train de boire une bière sur un banc. Sa chienne « Clan » – pour Clan Campbell, sa marque de whisky préférée – lui rapporte sa balle de tennis tandis que le petit « Kro » – pour Kronenbourg – tente d’attraper une oreille de sa mère adoptive. Dès que le petit beauceron sera en âge de procréer, sa maman Clan deviendra sa femme et Kevin vendra la portée de chiots. Le collègue m’aperçoit, il se lève, fait monter les chiens dans sa voiture et m’envoie : « Suis-moi avec ta caisse. »

La route se transforme en un fossé de bitume entre deux grands murs de fougères. Sa Clio s’enfonce dans un lieu de plus en plus féerique, isolé, planqué. Nous nous garons au pied d’une maison en pierre qui domine toute une vallée avec, dans le jardin, une petite piscine hors-sol et un trampoline. Charles est sur le balcon-terrasse de l’entrée, il allume la sono installée en extérieur. « Bienvenue les frères, faites comme chez vous ! » On a loupé « madame » qui est infirmière de nuit et vient de partir au boulot, il est 20 h 30. Ses enfants viennent nous saluer : Paul, le grand de 15 ans, très maigre et pâle et Jade, 9 ans, souriante et plus charnue. Il y a aussi un petit chien et deux chats.

Nous nous asseyons autour d’une table en bois dans le jardin, j’ouvre une bière. J’ai apporté un rhum dans lequel marinent depuis deux jours du piment et de la cannelle. Kevin goutte une gorgée et me traite de « baisé de la tête ». Nous nous mettons d’accord en passant au Clan Campbell. Kevin précise pourquoi il tourne toujours à cette marque : « Le Clan te rend plus nerveux que le William (William Peel), c’est vrai, mais le William te fait plus mal à la tête le lendemain. »

Il y a du saucisson, Kevin refuse qu’on en donne à ses chiens. Il me ressort la théorie entendue en salle de pause : « Un chien ne doit pas goûter au sang, sinon c’est foutu. »

Très vite, le boulot s’impose dans la conversation. Kevin insiste sur sa théorie de la douleur permanente : personne ne peut éviter d’avoir mal, il faut apprivoiser la douleur, tel est le secret du job. Charles me dit qu’il y a un kiné dans le bled où j’habite et résume : « T’es fossoyeur, tu te mets à côté d’un champ de bataille. T’es kiné, tu te mets à côté de Mercure. »

Puis Charles me raconte l’événement qui l’a transformé lui, le meilleur ouvrier de la chaîne, du moins le meilleur videur il n’y a aucun doute, en quasi-légume pendant plusieurs mois.

Le videur, c’est l’ouvrier qui enlève la panse, le plus gros des quatre estomacs des ruminants. Il dispose pour cela d’un écarteur géant qu’il installe dans le ventre fendu de la vache. L’instrument permet d’ouvrir l’intérieur de la bête morte et d’y passer une tête et un couteau pour travailler.

La difficulté consiste à ne pas « souiller » la carcasse. « Souvent, quand tu décroches la panse, de la merde ou de l’herbe tombe ici ou là. Dans ce cas, il faut envoyer la vache à la consigne pour découper un grand bout de viande tout autour de la souillure. » Ça coûte cher à l’entreprise et ça fait passer Charles pour un saltimbanque. Enfin, une souillure non repérée peut contaminer un grand nombre de personnes. « C’est une responsabilité importante, martèle Charles, avec les millions d’animaux qu’on tue chaque année, on touche un nombre de consommateurs astronomique. » D’ailleurs, si les vétérinaires avec leur casque vert font des pauses chaque demi-heure, c’est que leur vue doit être excellente et leur vigilance, parfaite. Il ne faut rien laisser passer.

Un videur, s’il est doué, provoque sept ou huit souillures en trois heures de travail. Charles peut élever le niveau à zéro souillure. Parfois il en fait deux, éventuellement trois. C’est pour ça qu’il crie et se marre sur la chaîne, il surfe sur cette cadence infernale.

Un jour, Charles se tourne vers un collègue pour lui dire un mot. À ce moment précis, son écarteur, lourd cadre métallique suspendu à un câble auto-enrouleur, le cogne violemment derrière l’épaule. « Je laisse échapper un cri et une grimace. » Son collègue a vu le choc, il s’inquiète. « J’avais mal, mais c’est normal, un coup ça fait mal. » Le soir, à la maison, l’ouvrier souffre. Le lendemain, « je retourne quand même au boulot. Mais là, je commence à vraiment douiller. » Il force, il a toujours été courageux au travail. Pour lui, c’est comme un défi. Tu regardes la montagne à gravir, tu te concentres, puis tu fonces en t’appliquant. Le second soir en rentrant chez lui, la douleur se fait plus forte. Il va se coucher tôt.

Le lendemain matin, Charles ne peut plus bouger le bras gauche. Sa femme, « qui est du métier », aime-t-il rappeler fièrement, lui fait un massage de la main. « Il y avait un truc qui clochait, j’avais le bout des doigts violets, et au bout de vingt minutes de soins, je ne pouvais toujours pas bouger le bras. » Direction l’hôpital. Il a la clavicule cassée.

Mais ce n’est pas ce premier coup qui a failli rendre Charles définitivement fou. C’est le second, qu’il reçoit l’après-midi même.

Sa radio et ses certificats médicaux sous le bras, l’ouvrier modèle retourne à l’abattoir. L’infirmier lui dit qu’il le met en arrêt de travail immédiatement, il doit simplement en informer le chef présent, un certain Jean-Jacques. Je ne sais pas grand-chose de ce Jean-Jacques, si ce n’est qu’il habite dans le même immeuble que moi, l’Hôtel de la Roche noire. À la chaîne-bœuf, il est au-dessus de Didier, mais en dessous de Fougères, le numéro un. Jean-Jacques est considéré par les ouvriers comme quelqu’un de dur.

Lorsque l’infirmier appelle Jean-Jacques, à l’autre bout du fil, ce dernier s’énerve d’emblée. Il n’a pas vu, il y a deux jours, l’écarteur percuter Charles. Par conséquent, il conteste l’accident de travail. « Quand j’entends ça, je pète un câble, je me mets à insulter Jean-Jacques depuis l’infirmerie. » L’infirmier lui dit que l’avis du chef ne change rien, il lui signe un arrêt de travail car il a une clavicule cassée.

Rien n’y fait, Charles a été profondément touché par ce doute posé sur l’origine de sa fracture. Il se réveille toutes les nuits. Dans ses cauchemars, il se voit descendre de sa nacelle avec son couteau et trancher la gorge du chef. Car, il s’en persuade de plus en plus, si Jean-Jacques conteste son accident, Mercure va peut-être aussi le contester et lui réclamer le coût des soins. Peut-être 3 000 ou 4 000 euros, une fortune.

Ça le rend fou, comment peuvent-ils lui faire ça ? Lui qui adhère à 100 % aux slogans de l’entreprise ? Lui qui veille sans cesse à exécuter le geste parfait ? Face à ce casse-tête, pendant ses trois mois de convalescence, Charles se fait justice dans ses rêves. La journée, il tourne en rond.

Un jour, sa femme l’emmène consulter un médecin. Le docteur lui dit qu’il est tombé en dépression. C’est plus grave qu’il ne le pense. Il ne doit plus jamais, sous aucun prétexte, retourner travailler à l’abattoir. Le docteur lui prescrit un traitement de cheval, il ne se rappelle plus la marque, mais il a encore les boîtes à l’étage. En disant cela, Charles me montre le toit de sa maison avec son petit doigt tandis que le reste de sa main tient son verre de whisky-Coca.

Sous l’emprise des cachets, l’ouvrier devient comme absent, il perd la notion du temps. Il ne rêve plus de Jean-Jacques, il ne rêve plus du tout d’ailleurs. De cette période, il se souvient juste qu’il entend au loin ses enfants poser des questions à leur maman. Est-ce que papa va redevenir normal ? Quand est-ce que papa va arrêter de passer ses journées sans parler sur une chaise de la cuisine ? Maman répond que papa est malade, qu’il faut encore un peu de patience.

Kevin hoche la tête, il est passé voir son pote-légume pendant sa convalescence. Un sous-chef est aussi passé le voir ici : Pascal-le-gueulard. Lui sait comment parler aux gars, sans détour. Quand il a vu l’état de Charles, il a dit aux grands chefs que ce n’était pas du bluff, pas l’un de ces arrêts de travail pendant lequel l’ouvrier se paie des vacances sur la boîte. Car c’est le soupçon qui prime, toujours.

Mentalement, Charles revient petit à petit parmi les vivants. Kevin confirme, « le mental, c’est la clef. Comme pour tenir sur la chaîne ». Contre l’avis de son psy et de son médecin, Charles retourne travailler à l’abattoir, au même poste. Le jour de son retour, les chefs se réunissent avec lui, Jean-Jacques est là. Charles obtient un semblant d’excuses. Depuis, Jean-Jacques ne lui parle plus et c’est mieux ainsi.

Kevin occupe un poste collé à celui de Charles, il manie lui aussi un écarteur. Il enlève d’autres organes, notamment les poumons. Leurs tâches sont dures, peu de gens veulent se retrouver « à la vide ». Pourtant, à cause de son embrouille avec Didier, le numéro trois de la chaîne, Kevin est toujours intérimaire depuis trois ans dont un an et demi sans aucune coupure. Le maximum légal étant normalement d’un an.

Mes deux collègues ont conscience de la rudesse avec laquelle ils sont traités. Cela étant, Charles est formel : si Mercure ferme, « cherche pas, c’est Hiroshima. Je ne sais même pas combien de familles ça toucherait, mais il y aurait 2 600 personnes licenciées directement. Et je ne te parle pas des sous-traitants, des intérimaires, ni des commerçants autour ».

Avec la nuit qui s’installe, le froid tombe à son tour. Charles me passe une grosse doudoune noire. Au bout de vingt minutes, nous rentrons manger du poulet et du riz dans la cuisine. Le Clan Campbell terminé, notre hôte ouvre une seconde bouteille.

L’aîné de Charles, Paul, est planté devant son ordinateur dans un coin de la cuisine, il ne parle pas. Quand il joue, il plisse le nez et se mord les lèvres. Charles en a marre qu’il reste cloîtré du soir au matin, marre de ses mauvaises notes. L’an prochain, c’est décidé, Paul ira en internat à 50 km d’ici. « 60 km », le reprend sa jeune fille, Jade qui ne s’éloigne jamais de son papa. Elle reste là, avec de grands yeux fascinés, même quand papa Charles raconte ses histoires d’adulte.

En Martinique, Charles était gigolo et avait fini par tomber sur une millionnaire. Il avait tout, les costumes, la voiture décapotable, les cigares… Un beau jour, une envie de liberté le fait quitter sa poule aux œufs d’or et son île. Fidèle à lui-même, il monte ivre dans l’avion pour Paris, alors que tous ses amis – 156 personnes, précise-t-il – sont venus lui dire au revoir avec des bières et du rhum à l’aéroport.

Nous avons terminé nos assiettes de poulet. « On peut passer au sous-sol », Charles se frotte les mains. Dans le garage, je m’accoude à un bar où deux symboles bretons – une hermine et un triskel – ont été graffés. Il y a aussi un billard, un baby-foot et un congélateur immense rempli à ras bord de morceaux de viande. Kevin roule un énième joint. Je passe à la bière, tout comme Charles. Kevin reste au whisky.

Vers 7 heures du matin, je comprends que je suis devant deux incouchables. Je demande un temps mort et vais m’allonger dans une chambre d’amis au rez-de-chaussée.

Deux heures plus tard, Charles me réveille comme je le lui avais demandé. Je prends un café puis les rejoins, ils n’ont pas bougé, toujours au sous-sol. Kevin se prend une bière. Je traîne encore une heure avec eux, participe au débat sur l’aspect du sexe féminin. Charles ne comprend pas pourquoi des hommes tuent « pour ce truc ». Kevin, raconte qu’un de ses potes s’est fait un piercing sur la langue parce que sa nana lui a assuré que « c’était le meilleur truc du monde quand il lui léchait la chatte ». « Mon pote est désormais convaincu qu’une meuf qui voit son piercing peut pas s’empêcher de vouloir un cunnilingus. »

Je monte en voiture pour aller me recoucher chez moi. Kevin et Charles, eux, prennent un pack de bières et s’en vont réveiller un collègue de l’équipe B.

Après deux petites heures de sommeil, il est midi, l’heure d’aller au barbecue d’Elliot. Mon collègue guadeloupéen occupe un petit pavillon résidentiel qui appartient à la sœur de sa compagne, planté dans la banlieue de la plus grosse ville du coin. J’ai sorti le brassard anti-tendinite du congélateur. Je le mets dix minutes autour du coude, dix minutes derrière le côté droit de mon cou et enfin dix minutes autour de ma main droite. Quand le froid a terminé de me soulager, me voilà arrivé.

Le pavillon où vit Elliot est tout petit. J’en fais le tour et arrive dans un jardin où des mômes jouent autour d’une piscine vide en plastique. Il y a les deux premiers enfants de la compagne d’Elliot et le petit garçon de sa sœur. Une petite table ronde surmontée d’un parasol accueille une bouteille de Jack Daniel’s, j’y dépose un pack de bières. Elliot sort par une porte du garage. Il me tend sa main libre. De l’autre, il fume un énorme joint. Elliot ne le fait pas tourner car il est dans la culture du « perso », il fume l’intégralité de ce qu’il a roulé. Dès qu’il apprend que je fume aussi, il me lâche un bout de shit, de quoi rouler quatre ou cinq joints. Du super shit jaune qui s’effrite sans briquet. Cette remarque le fait marrer. « T’inquiète tonetone, je connais les gars qu’il faut connaître ici. »

Elliot a mis du gros son dans le garage. Les basses alternent entre rap et dance hall. Lui aussi fait de la musique, du « conk », une sorte de rap créole. Il rêve d’installer un studio ici, dans le garage de sa belle-sœur.

Le collègue intérimaire a mis à mariner une quantité phénoménale de cuisses de poulet dans un grand seau de plastique noir, une recette de son île. Pour allumer le barbecue, il a aussi une technique bien à lui, que je n’avais jamais vue avant. Elliot étale le charbon puis émiette quantité d’allume-feu – une quinzaine – jusqu’à ce qu’une fine couche de neige recouvre le charbon. Il enflamme le tout. L’odeur de station-service mise à part, il faut admettre que c’est efficace.

Amine, l’intérimaire que j’ai déjà croisé à l’abri fumeur, arrive avec sa femme Claudine et les deux enfants qu’elle a eus avec un précédent compagnon. Elle est en train de divorcer. Contrairement au vrai père des deux gosses, Amine les a tout de suite adoptés, m’explique Claudine, préparatrice en pharmacie. Elle cherche du travail dans les parages, mais il n’y en a pas. Amine lâche à sa femme : « Tiens, occupe-toi d’eux, laisse-moi un peu tranquille. » Il en profite pour se rouler un joint.

Dès qu’Amine s’est installé dans le coin, il s’est inscrit en intérim. Comme Elliot, il est cariste de formation. Mais voilà, en Bretagne, c’est dans l’agroalimentaire qu’il y a du travail. « J’aime pas rester sans rien faire, m’explique Amine. Après, t’as des mauvaises idées. » Au bout de quelques secondes de silence, il ajoute le simple mot « dépression », comme quelque chose de honteux, d’à peine dicible. « On est fait pour bosser quoi, quand tu veux bosser, tu trouves toujours du travail. »

Elliot entre dans la discussion en allant directement à la punchline. « C’est quoi l’intérim ? C’est des lingettes ! On est des lingettes jetables. Quand t’as fini, on te jette… Le CDI, c’est autre chose. » « C’est clair ! », commente Marie, la compagne d’Elliot. Elle songe certainement au dernier CDI qui pointait le bout de son nez dans une autre usine et qu’Elliot a envoyé balader pour une histoire d’orgueil mal placé.

Marie est enceinte et bloquée à la maison. Avant ça, elle a aussi travaillé à Mercure, à la salaison. D’après elle, la chaîne-bœuf est sans doute l’un des pires endroits. Marie a une dent de devant légèrement de travers, ça lui donne un air angélique.

« Dès que je rêve de bœufs, j’arrête, jure Elliot. Ah oui, tu vois du sang toute la journée, heureusement que t’as le robinet à côté quand tu prends un flash (de sang) dans la tête. On va nous transformer en bouchers, Frère, c’est la misère. Cela dit, je préfère recevoir du sang dans le visage que de la merde. »

La chanson préférée d’Elliot retentit. Il s’arrête de disserter, ferme les poings, rentre les coudes comme s’il prenait une garde de boxe et se met à chanter par-dessus la rappeuse américaine Bre-Z. La chanson s’intitule Trillest et, comme dans le clip en noir et blanc, Elliot tient un verre de Jack Daniel’s. Devant le barbecue, les yeux fermés, le collègue enchaîne le refrain à voix haute et en anglais.

I say this here for the trillest

Them so bad bitches

Yeah you the realest

They screaming bloody murder

Yeah when we kill it

So this right here right here is for the realest 

Pour Amine, si tu acceptes un CDI à Mercure, t’es foutu, dans trente ans tu y es encore. Elliot nuance. Lui pourrait signer un CDI là-bas à deux conditions : rester à 11 euros de l’heure comme en ce moment avec son statut d’intérimaire, et s’inscrire dans une salle de musculation, pour tenir le coup. Elliot vit un peu dans un monde fantasmé. Son orgueil en délimite les contours. Ça lui permet de garder une plus grande distance critique avec l’abattoir que la plupart des collègues. Son caractère de cochon aiguise sa lucidité.

Je passe un coup de téléphone à Kevin, il est 18 heures et il m’avait dit de venir vers 17 heures. Je prétexte une lessive pour le faire patienter jusqu’à 19 heures. Je dois me mettre à jour dans mes notes. Depuis vendredi, je consigne les phrases marquantes, des mots-clefs et quantité de détails dans des mails que je m’envoie depuis mon téléphone. Avantage : on croit que je suis en train de textoter. Kevin m’embrouille en me disant que 19 heures, c’est trop tard. Il me passe Charles : « Je croyais que t’étais un vrai ! » Je leur promets que je ne vais pas tarder.

À 19 h 45, je débarque chez Kevin. Il y a une berline gris clair garée à l’arrache devant sa porte. À mesure que je m’approche de la porte d’entrée, j’entends sa musique hardtek à fond. Je sonne. Kevin m’ouvre, il n’a pas l’air frais, il n’a pas fermé un œil depuis qu’il s’est levé vendredi pour aller sur la chaîne. Ça ne l’empêche pas de se mettre en condition pour ce samedi soir et le feu d’artifice à deux pas de chez lui.

Kevin me fait signe de le suivre jusqu’au jardin. Il y a Maxence, un jeune dont l’oncle bosse à l’abattoir et Arthur, un roux aux yeux marron-jaune, assez carré, qui bosse également chez Mercure. Je demande où est passé Charles qui me beuglait dans les oreilles au téléphone il y a encore deux heures. Kevin, totalement ivre, m’explique que Charles est parti en traître. Lui est toujours debout, c’est ça l’essentiel.

Arthur, en dépit de sa tendance à regarder par terre, n’est pas timide du tout. C’est même un nerveux qui a l’air de parler avec ses poings. Il n’a que 19 ans, travaille à la chaîne-porc, au parage des jambons. Dans son bâtiment, ils font 15 000 jambons par jour. Arthur a un diplôme de mécanicien, mais le salaire ne suivait pas, donc il est venu à l’abattoir. « Je compte rester là un an, deux maximum. Comme je vis chez mes parents, je mets des sous de côté, puis je trace vers le Sud. » Ce sera soit Biarritz, soit La Réunion. Il a entendu qu’on y cherchait des chauffeurs privés, ça pourrait lui convenir.

Arthur a aussi pensé à faire gigolo. Ça lui plairait ça. Kevin me confirme qu’Arthur est « un queutard », il saute sur tout ce qui bouge. Par exemple, l’année dernière, au même feu d’artifice où l’on se rend ce soir, il est reparti avec une dame de 55 ans. « Sa tête était hardcore », jure un nouveau type qui vient d’arriver et qui s’appelle Jacquot. Jacquot roule un joint de shit car Kevin ne semble pas décidé à faire tourner le sien.

Arthur se sert un William Peel sans Coca. Kevin tourne aussi avec sa bouteille personnelle de la même marque. Trop ivre, Kevin se renverse tout doucement sur la jambe une bonne moitié de son verre de whisky-Coca. Arthur le lui signale. Kevin s’en fout. Solennel, il affine sa théorie préférée.

— Faut avoir le mental pour bosser à Mercure.

— Oh oui, confirme Arthur en regardant toujours le sol.

— Si tu bois pas, que tu fumes pas, que tu te drogues pas, tu tiens pas à Mercure, tu craques.

La révélation alcoolisée de Kevin ressemble trait pour trait à celle de Martin Eden, héros semi-autobiographique de l’écrivain-aventurier Jack London : « Il oublia, revécut, et, revivant, visualisa dans une illumination la bête qu’il était en train de devenir – non à cause de la boisson, mais à cause du travail. La boisson n’était que l’effet, ce n’était pas la cause. Elle suivait le travail aussi inévitablement que la nuit suivait le jour. Ce n’était pas en se transformant en bête de somme qu’il atteindrait les cimes, tel était le message que lui murmurait le whiskey. Et le whiskey était plein de sagesse, le whiskey révélait Martin à lui-même. »

Jacquot est un peu plus rondouillard que ses collègues. Il a 18 ans et – comme Arthur – ça lui arrive de revendre du shit autour de lui. Arthur deale aussi un peu de coke. De quoi se payer sa consommation. Nous tardons à aller au feu d’artifice parce qu’Arthur ne cesse de vouloir prendre un dernier rail. Au bout de deux heures, sa mâchoire se crispe toute seule. Même Kevin, qui n’est pas un saint, lui dit de se calmer, que ça ne sert à rien. Jacquot se marre. « Avant, m’explique-t-il, on prenait de la coke nous aussi et Arthur nous disait que c’était de la merde. On n’y touche plus depuis le début de l’année, c’était ma résolution 2016 : plus de drogues dures. Et c’est le moment qu’Arthur choisit pour s’y mettre, quel bouffon ! »

Tout à l’heure, à 4 heures du matin, Jacquot part en vacances à Paris. Il compte passer à Marne-la-Vallée pour s’acheter une paire de basket à 40 euros au centre commercial Val d’Europe. « Des Requins ou des Air Max, celles du marché, pas les vraies, trop chères. » Il me dit qu’ils doivent rejoindre ce soir des potes roumains qui bossent à l’abattoir. Depuis peu, il y a plein de Roumains à Romulus et à Rémus. Ils forment la vague migratoire récente, la seconde en importance après les Sénégalais. « Quand tu vois une Passat, me dit Jacquot, c’est que c’est un Roumain. La voiture des Roumains, c’est la Passat mon gars ! » Je lui assure que je vais y être attentif.

On finit par aller voir le feu d’artifice. Il est gigantesque, disproportionné pour un village de mille habitants. Il ressemble à une démonstration de force de Mercure qui, via la contribution économique territoriale, sponsorise la petite mairie. Ce cérémonial collectif inscrit dans le ciel des deux villages-abattoir un message. Le même que celui diffusé dans la note de service pondue par le numéro un de la chaîne-bœuf cette semaine : même ivres, n’oubliez jamais « l’entreprise qui assure nos salaires en fin de mois ».
 
... est passé au Parlement européen, maintenant les 38 parlements nationaux et régionaux concernés sont appelés à se prononcer, y'en a bien un qui va dire non !
En France, l'Assemblée Nationale a décidé qu'il n'y aurait pas de référendum à ce sujet, mais un vote du Parlement. Mais bon, comme y'a l'élection présidentielle dans 2 mois, ça fera office de référendum, espérons ...
 
C'est déjà une honte qu'il soit passé comme ça, il aurait même pas dut aller plus loin alors qu'aucun citoyen n'en voulait...
 
Merci pour le résumé prolongé de Steak Machine, Vladimirov.
Je viens d'en finir la lecture et ça me sauve l'effort de refaire une synthèse!
Il me paraît que Le Guilcher a créé une apercu bien plus compréhensif des horreurs (pour la santé dégradée des employés d'abattoirs aussi bien que pour les pauvres animaux victimes) et de la cadence inexorable des chaines de travail (chaque opération du dépècement chronometrée pour conserver un allure de 60 carcasses par heure...) et puis le détail de la tuerie et ses accidents (vaches, boeufs et veaux toujours partiellement conscients au moment où on commence à leur couper les jambes, oter la peau et dépecer le corps qui reste.

On espère bien que l'emission d'Envoyé Spécial ce soir va avoir le courage de laisser s'exprimer réellement ces gens qui ont témoigné leur experience triste de cet univers sanglant et choquant !
 
/!\ Images dures de passages à tabac sur animaux, pour changer... /!\

Guillaume Meurice pour L214, sur un énième abattoir en roue libre... Et apparemment une récidive en plus !

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=1NhM2KPfESQ[/youtube]

On commence à avoir une belle collection de casseroles bien françaises et de moins de 2 ans, présentées par des personnalités de plus en plus connues, il serait temps que l'opinion publique se décolle la pulpe du fond, avant d'avoir de quoi de réaliser notre propre Earthlings à faire passer dans toute bonne salle de cinéma.

(excellente idée d'avoir repris le même ton que ses chroniques)
 
Ha pardon, je me suis contenté de vérifier vite fait sur ce fil-ci pour voir si elle avait déjà été postée.
 
Je viens de voir l'actualité France Tele qui confirme que Stephane Le Foll a autorisé la tuerie de TOUS les 600000 canards en élevages des Landes qui sont toujours en vie.
Si c'étaient des humains on aurait parlé de genocide, mais ce n'est qu'une mesure de contrôle "extreme" pour essayer de finir avec la grippe aviaire, puisqu'il s'agit des canards. C'est un "canard" bien noir et triste...
 
Mise à jour de mon message d'hier:

"AFP agence Mis à jour le 22/02/2017
Stéphane Le Foll, le ministre de l'Agriculture, a annoncé l'abattage de 360.000 canards dans le Sud-Ouest, et non 600.000 comme annoncé dans la matinée par le ministre. Les 240.000 restants iront «au bout de la production», avant la mise en place d'un vide sanitaire dans «la grande zone réglementée du Gers, des Landes, des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées», où se concentre la majorité des cas de grippe aviaire H5N8 «d'une virulence jamais vue», a précisé le ministre. «Comme l'année dernière, les animaux restant dans ces zones vont terminer leur cycle de production et pourront être valorisés dans la filière», précise le ministère de l'Agriculture dans un communiqué.
Les premières indemnisations des éleveurs interviendront à partir du mois de mars."
Sans commentaire(!)
 
:snif: Je me demande comment je faisais pour manger du foie gras avant. Pauvres canards. (Ils auraient été tués quand même, mais là c'pas pareil, c'est pas pour les bonnes raisons)
 
Ah que coucou ! Un petit post actualité spécial Allemagne !

En Allemagne, une municipalité tente d'imposer la vente de saucisses lors d'un festival vegan - Slate, publié le 23.02.2017

Bon dans les fait c'est un festival écologique, mais c'est assez ubuesque comme situation.

Mais c'est un cas isolé, puisque le ministère allemand de la biodiversité montre l'exemple en ne servant plus depuis février de cadavres à ses conférences.

L'article est en allemand, alors pour résumer en deux mots : Plus de cadavres lors des conférences et conférences de presses du ministère de l'environnement, et cela se justifie par l'impact environnemental de la consommation carnée. On privilégie, les aliments biologiques, locaux. Ah et on parle également de couverts réutilisables pour minimiser les déchets ! Les plats sont pour le moment végétarien mais c'est déjà un très bon début non ? :cool:

edit: Ah oui, il se passe aussi des trucs cool à San Francisco, ville toujours au summum en terme d'avancées ! San Francisco bannit la vente d'animaux de compagnie non issus de refuges. Kombini, publié le 21.02.17 par Jeanne Pourget
 
Merci pour ce lien, Skud
C'est la première fois que je découvre le site Slate, et cette histoire est assez hallucinante! <br /:><:br /> — Le 23 Fév 2017, 18:30, fusion automatique du message précédent — <br /:><:br />
yapuka":jy08m6tc a dit:
:snif: Je me demande comment je faisais pour manger du foie gras avant. Pauvres canards. (Ils auraient été tués quand même, mais là c'pas pareil, c'est pas pour les bonnes raisons)

Mes sentiments exactement Yapuka. Je crois que tout celles et ceux qui furent petits enfants dans les années 1950-80 et qui sont ensuite devenus végés ont passés par la conso sans question des trucs animal (je me souviens d'avoir consommé de foie gras début de années 1970 avant de faire le virement végé en j'en suis désolé, mais...) :popcorn:

Note sur ma "correction" maladroite: je ne m'en suis rendu compte que c'était des paroles de chanson, sinon, j'aurais laissé; c'est la liberté artistique des chanteuses et chanteurs...).
En effet, si ça te dit, je voudrais bien être un soutien positif pour tes efforts en anglais (et je promets de m'abstenir des corrections!)
 
Pas de soucis Taitino. C'est mieux si tu corriges mes fautes d'anglais, au moins tu peux m'expliquer où j'ai fait une erreur. Donc, surtout, n'arrête pas de corriger. :)
Si tu veux on peut créer un post spécial sur lequel on peut corriger les erreurs de grammaire, de vocabulaire ou de conjugaison, pour ne pas polluer tous les posts à chaque erreur.
 
Un rhinocéros abattu au zoo de Thoiry, sa corne tronçonnée

C’est du jamais vu en France, et même en Europe. Un rhinocéros blanc a été abattu de trois balles dans le parc zoologique de Thoiry (Yvelines) dans la nuit de lundi 6 à mardi 7 mars. Sa plus grande corne a été sciée, probablement à l’aide d’une tronçonneuse, et volée. « Notre soigneuse a découvert la dépouille de l’animal ce matin vers 9 heures lorsqu’elle a voulu le faire sortir dans le parc, explique Thierry Duguet, directeur général du groupe Thoiry. Tout le personnel est extrêmement choqué. C’est sidérant. »

L’animal tué, prénommé Vince, était un jeune mâle âgé de 4 ans, né aux Pays-Bas et arrivé à Thoiry en mars 2015. « Seule la corne principale, longue de 20 cm, a été volée », détaille Melisandre Durier, la commandante de la compagnie de gendarmerie de Mantes-la-Jolie, chargée de l’enquête et interrogée par l’AFP, en estimant sa valeur marchande à « 30 000 à 40 000 euros ». La seconde corne n’a été que partiellement tranchée « ce qui laisse imaginer que les criminels ont été dérangés ou que leur matériel s’est révélé défectueux », selon le zoo.

Les braconniers ont forcé l’une des grilles extérieures du zoo, avant de faire sauter le verrou du bâtiment des rhinocéros blancs, puis celui de leur box, où ils passaient la nuit. Et ce, malgré la présence de cinq personnels qui dorment sur place et de caméras de vidéosurveillance – qui ne filment toutefois pas la loge des animaux. Les deux autres rhinocéros blancs de Thoiry, Gracie, âgée de 37 ans, et Bruno, 5 ans, ont été épargnés. La gendarmerie de Mantes-la-Jolie a diligenté une enquête et le vaste parc animalier va porter plainte. La ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a quant à elle saisi le procureur de la République de Versailles.

Vince appartenait à la sous-espèce rhinocéros blanc du Sud, dont il ne reste que 20 000 spécimens, à 80 % en Afrique du Sud. Ces animaux sont victimes d’un intense braconnage en raison des vertus thérapeutiques et aphrodisiaques – infondées – dont sont parées leurs cornes, essentiellement en Chine et au Vietnam. De même que l’ivoire ou les os de tigres, elles sont réduites en poudre ou sculptées comme objets d’art. Résultat : sur le marché noir, le kilo de corne oscille aujourd’hui entre 40 000 et 60 000 euros, un prix bien plus élevé que celui de l’or (38 000 euros) ou du platine (43 000 euros).


La demande explose tant que les braconniers multiplient les terrains de chasse : aux côtés des parcs nationaux africains, comme le célèbre et immense Kruger en Afrique du Sud, ils frappent également en Europe et aux Etats-Unis, dans les zoos, les musées, les salles de vente aux enchères ou chez les collectionneurs privés. En 2011, le Muséum de Rouen s’était fait dérober une corne de rhinocéros noir, tandis qu’en juillet de la même année, celui de Blois perdait une tête du mammifère. Depuis 2013, ce trafic s’est tari, notamment après l’arrestation par Interpol de membres du réseau criminel irlandais des Rathkeale Rovers, qui écumait toute l’Europe.

« Quatre ou cinq musées français ont fait les frais de voleurs ces cinq dernières années, mais c’est la première fois qu’un animal vivant est braconné sur le sol européen en vue de prélever ses organes, assure Céline Sissler-Bienvenu, la directrice du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) France et Afrique francophone. Personne ne pouvait être préparé car l’Europe était jusqu’à présent une zone de transit pour le trafic de cornes ou d’ivoire et non pas de braconnage. »

« Le prix des cornes de rhinocéros est très attrayant et les zoos plutôt mal gardés, ce qui en fait des profits à peu de frais. Ce qui est étonnant, c’est que ce type de braconnage ne soit pas déjà arrivé », juge un spécialiste de la criminalité environnementale.


En 2016, 1 054 rhinocéros blancs ont été tués en Afrique du Sud, selon le ministère de l’environnement, soit près de trois par jour ! Un chiffre toutefois en baisse depuis 2014 (1 215 individus avaient alors été abattus), après une forte hausse au cours de ces dix dernières années (13 animaux avaient été tués en 2007, 448 en 2011). « Cette amélioration est le résultat de la lutte contre le braconnage menée sur le terrain par l’Afrique du Sud, notamment l’augmentation du nombre de rangers, le renforcement des sanctions et la mise à l’abri de certains animaux dans d’autres pays, explique Céline Sissler-Bienvenu. Mais ce n’est pas suffisant : nous demandons la fermeture de tous les marchés domestiques. »

Actuellement, le commerce des rhinocéros est interdit à l’international au titre de sa protection par la Convention sur le commerce international des espèces menacées d’extinction (Cites). Mais il reste autorisé au sein de nombreux pays. En France, un arrêté du 16 août 2016, en cours de révision, a considérablement restreint le commerce des attributs de rhinocéros (et d’éléphants), mais autorise toujours la vente des cornes travaillées considérées comme des antiquités (antérieures à 1947) ou datant d’après mars 1947 et d’avant le 1er juillet 1975, sous certaines conditions. Le commerce des cornes brutes est, lui, totalement interdit.

« Le commerce d’antiquités alimente le trafic dans la mesure où les malfaiteurs peuvent écouler des cornes fraîchement braconnées sur ce marché, en falsifiant les documentations ou en maquillant les cornes pour les vieillir, détaille Céline Sissler-Bienvenu. La datation carbone, qui pourrait éviter ces fraudes, est coûteuse et non obligatoire. » L’IFAW pousse également à l’application rapide de nouvelles réglementations visant à sanctionner plus sévèrement les coupables. En France, la loi pour la reconquête de la biodiversité, d’août 2016, prévoit jusqu’à 4 ans de prison et 750 000 euros d’amende pour le trafic illicite d’espèces sauvages commis en bande organisée. De nouvelles peines que pourraient expérimenter les braconniers de Thoiry.

http://ecologie.blog.lemonde.fr/2017/03 ... ronconnee/
 
J'ai vu passer l'info hier. Quelle tristesse de vivre enfermé dans un zoo et de mourir comme ça.
Il n'y a aucune limite à la cupidité humaine.
 
On marche sur la tête...

Rhinocéros abattu au zoo de Thoiry: Peaugres envisage de couper les cornes de ses rhinos

Après la mort de Vince, ce rhinocéros du zoo de Thoiry (Yvelines) abattu par des braconniers qui lui ont scié un bout de corne, la sécurité va être renforcée au Safari de Peaugres. Dans ce zoo d’Ardèche, où une partie des animaux évolue en semi-liberté, une réflexion est en cours pour voir comment protéger au mieux les rhinocéros, victimes de braconnage dans la nature en raison de leurs cornes ultra-précieuses.

Pour dissuader d’éventuels malfaiteurs, le safari envisage notamment de couper la corne de ses rhinocéros. « On n’a pas encore pris la décision. Mais on se dit qu’entre voir un rhinocéros avec sa corne en moins mais vivant, et le retrouver mort un matin… Il faut se demander ce qui est le mieux pour la survie des rhinocéros », a indiqué à France Bleu Drôme-Ardèche Cécile Dubois, directrice adjointe du parc-animalier.

Cette mesure de protection, déjà utilisée en Afrique pour protéger les rhinocéros, serait sans douleur pour les animaux. « Le rhinocéros ne sent rien car la corne, c’est une touffe de poils agglomérés », ajoute la directrice adjointe.

Suite à la multiplication des vols de cornes observée il y a quelques années dans des musées, Peaugres avait déjà mis en place un système de sécurité pour protéger ses animaux. Le dispositif devrait être renforcé, avec de nouveaux moyens vidéos et humains déployés.

http://www.20minutes.fr/lyon/2027703-20 ... nes-rhinos
 
Vu à la TV,
fillon qui va draguer les chasseurs
et qui à la fin de son speech termine par un "vive la chasse !"

le gars me débecte... :tongue:

— Le 15 Mar 2017, 03:07, fusion automatique du message précédent —

idem pour macron,
aller draguer les chasseurs et défendre la chasse (au même endroit!)
grillé aussi pour ma part ! <br /:><:br /> — Le 15 Mar 2017, 03:33, fusion automatique du message précédent — <br /:><:br /> j'ai écouté le discours de macron sur la chasse et j'ai failli tomber de ma chaise...
il veut développer la chasse comme jamais !
développer l'économie de la chasse, développer le tourisme de la chasse, initier les jeunes dans les écoles...et...
ré-ouvrir les chasses présidentielle !!! :mmm:
p.. mais quel pays de cons rétrogrades !!! :mur:
 
Bonjour,

Je passe de temps en temps sur le forum en tant que simple lecteur mais je n'ai encore jamais participé à un topic. Cependant, comme vous j'ai suivi l'actualité de la semaine dernière où un rhinocéros du zoo de Thoiry a été braconné. Je tenais à vous partager une vidéo que j'ai trouvé intéressante que j'ai découvert en suivant sur twitter un groupe de vidéastes scientifiques. J'ai un peu mieux compris ce qu'il y avait derrière le braconnage, notamment la consommation d'animaux en voie de disparition dans certaines traditions.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=XfpTIivkBFA[/youtube]
 
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