(Balika, je vais essayer de te répondre sans "agacement", sarcasmes, etc., mais pour moi, c'est assez dur parce que j'ai eu ce débat quelques dizaines de fois -parfois avec des personnes qui étaient intéressées par la réflexion mais souvent avec des personnes totalement bouchées- depuis deux ans. Si mon ton dérape, je m'en excuse d'avance.)
Commençons par une vue d'ensemble :
Dans une société où l'abolition de l'exploitation animale aurait été atteinte, il n'y a qu'une configuration possible : Toutes les activités économiques, toutes les entreprises produisent sans exploitation animale. Donc toutes les entreprises d'agroalimentaires ne produisent que du végane (avec ou sans l'appellation... mais lorsque l'abolition aura été atteinte, en toute logique, l'appellation disparaîtra).
Donc déjà, il est impossible d'imaginer, dans une société où l'exploitation animale aurait été abolie, que Herta continue à produire de la viande. Donc dans cette société, on n'a que deux possibilités :
- Herta existe encore, elle produit uniquement du végane.
- Herta n'existe plus.
Le raisonnement est valable pour toutes les entreprises agroalimentaires qui existent aujourd'hui. Dans cette nouvelle société :
- Une bonne partie d'entre elles existe encore, et elles ne produisent plus que du végane.
- Toutes ont disparu.
Actuellement, ces entreprises, ça représente quoi ? 75% des enteprises d'agroalimentaires ? Plus ? Des dizaines/centaines de millions de chiffres d'affaire ? Beaucoup plus ?
En tout cas, actuellement, ces entreprises ne sont pas en train de couler. Elles continuent à grossir. Il n'y a absolument rien qui permette de croire qu'elles soient sur le point de disparaître.
Ce qui est assez logique, puisque de toute façon, une grosse entreprise/multinationale/etc., ça ne coule pas. Ca ne peut pas couler, en fait. Parce que quand un gros truc comme ça commence à perdre de l'argent dans un de ses secteurs, elle n'a qu'une seule chose à faire : Elle investit ailleurs, elle déplace son argent là où elle peut en gagner. Et il n'existe aucun moyen d'empêcher ça. A part peut-être des mesures politico-économiques, mais alors là, ça n'est plus aucun rapport avec le choix des consommateurs, ça dépend des politiques.
C'est bien là, la grosse, l'énorme erreur, l'énorme mécompréhension des consommateurs qui pensent que le boycott est l'arme ultime pour transformer le monde.
Le boycott ne fait pas disparaître une entreprise méchante. (Coca Cola, Nike, etc. n'ont pas disparu malgré tous les scandales divers et variés et les vagues de boycott qu'ils ont subis. Ils continuent à faire des milliards. Même chose pour la SNCF qui a quand même été collabo pendant la deuxième guerre mondiale, bon...)
Le boycott sert à faire pression, à un instant donné, sur un point donné, pour amener une entreprise à modifier sa politique à court ou moyen terme sur le sujet. Ca s'intègre dans des stratégies plus larges, généralement menées par des ONG, qui vont aussi utiliser d'autres leviers pour y parvenir. Et ça implique donc en général d'offrir une porte de sortie à l'entreprise. Une action positive qu'il lui est possible de faire à court terme pour contrebalancer une perte financière immédiate (désagréable mais pas mortelle).
Parce que s'il n'y a aucune porte de sortie, si la seule alternative qu'on propose à l'entreprise, c'est que le boycott va la faire disparaître... ben elle n'a qu'une seule chose à faire : Elle attend que ça passe. Et si elle est suffisamment puissante (suffisamment de pouvoir économique), ça passe, très facilement. Et elle reprend son train-train, tranquille. Et les boycotteurs n'ont absolument rien gagné dans l'affaire.
Si on se met à croire que le boycott est l'alpha et l'oméga de tout, l'objectif ultime, alors on perd tout...
Revenons sur Herta. Herta n'est pas en train de perdre de l'argent. (J'avais trouvé un document qui montrait l'évolution de leur chiffre d'affaire, il y a un an dans un de mes débats, mais là, j'ai la flemme.) Les véganes ne sont pas en train de ruiner Herta.
Si Herta perdait de l'argent avec la viande, tout ce qu'ont à faire les actionnaires, les propriétaires, les gens qui gagnent de l'argent avec Herta, c'est de créer une autre marque, avec un autre nom, qui produit autre chose dans un secteur plus prometteur. Les gens qui gagnent de l'argent avec Herta ne perdront jamais d'argent, parce qu'ils ont déjà l'argent pour investir ailleurs. La justice n'ira pas les poursuivre et leur faire payer les millions de cochons qu'ils ont tués.
Et d'ailleurs, le raisonnement est exactement similaire pour la totalité des consommateurs de viande en France :
Les 95% / 90% de gens qui mangent encore de la viande, et qui financent l'exploitaiton animale, et qui commanditent la mort de millions de cochons (et qui soutiennent donc Herta et les autres) ne seront jamais puni par la loi. Ils ne paieront jamais d'amendes, ils n'iront jamais en prison. Et ça vaut également pour les 99% de véganes actuels qui ont mangé de la viande au cours de leur vie. Personne ne sera jamais puni.
Bref, qu'on parle de coupables consommateurs ou des coupables producteurs (qui sont des situations comparables, dans des responsabilités comparables), il ne sera jamais possible de les punir.
Et les boycotter ou les snober en tant que véganes, n'est pas non plus une énorme punition pour eux. Il leur suffit de nous ignorer.
Maintenant revenons à nouveau sur Herta et ce qu'on peut obtenir, l'intérêt de les voir se mettre à développer des similicarnés :
En développant des similicarnés, Herta, qui produisait majoritairement de la viande, voit un nouvel intérêt financier dans le développement des alternatives véganes.
De fait, pour pouvoir investir dans ce nouveau secteur, il deviendrait absurde de dénigrer ce secteur. Ca veut alors dire que les pubs végéphobes, c'est fini. Ca veut dire qu'Hera va se mettre à tenir un discours clairement en faveur des protéines végétales, au lieu de déclarer que les protéines n'existent que dans la viande (c'est déjà ce qu'elle fait, maintenant). Ca veut que Herta, marque que tout le monde a identifiée comme liée à la viande, va tenir un discours positif en faveur des protéines végétales (nutrition, goût, et probablement arguments écologiques aussi), face à des consommateurs carnistes qui y étaient très opposés. Une marque à laquelle ils accordent du crédit quant au discours sur la viande (la bonne vieille viande traditionnelle), une marque qui ne peut pas être suspecte d'être une espèce de "lobby végane biaisé, radicale et extrémiste et toute la panoplie de clichés" se met à briser leurs croyances carnistes.
Réussir à faire en sorte qu'un discours pro-végé provienne d'un symbole de la viande, c'est à mon humble avis, gigantesque.
Ca veut également dire qu'au niveau du lobbying politique, économique, etc. de toutes les mesures qui sont mises en place pour maintenir l'élevage, la pêche, et freiner l'avancée du végétarisme, parce qu'il y a des intérêts financiers en jeu... Herta va se voir beaucoup moins effrayée par l'avancée du véganisme, tout à fait ouverte à proposer des choses pour son développement puisqu'elle peut y retrouver ses billes... et donc faire beaucoup moins de lobbying carniste. (C'est pas du blanc ou noir, bien sûr. L'intensité de son lobbying dans un sens ou dans l'autre va évoluer à mesurer que son chiffre d'affaire va progresser vers le végane.)
Ca veut également dire que TOUTES les autres entreprises agroalimentaires qui profitent actuellement de l'exploitation animale, vont voir une menace dans l'évolution de leurs concurrents agroalimentaires qui faisaient majoritairement de la viande et qui se mettent à faire du végane... et TOUTES vont réfléchir à la possibilité de suivre la même issue, pour atténuer les risques. TOUTES vont participer au même mécanisme, suivre le même processus que les précurseurs. (TOUTE la force de lobbying va évoluer du "Tout viande, berk le végétarisme." vers le "les protéines végétales, pourquoi pas ?")
Et à terme, on peut totalement se retrouver avec quasiment toutes les entreprises agroalimentaires qui reposent actuellement sur l'exploitation animale, qui auraient toute un pied dans le développement de l'alimentation végétale. Et un lobbying anti-végétarien quasiment nul. Ce qui veut également dire qu'absolument tous les acteurs de la société deviendront réceptifs aux arguments éthique et écologique. Tous seront capables d'envisager l'abolition de la viande.
Si certaines entreprises font les frais de la transition, font faillite, se seront certainement les plus petites, celles qui ont tout axé sur un seul type de viande, non transformée, qui sont directement liées à des élevages. (Et qui auront zéro poids en lobbying.) Pas Herta. Pas Fleury Michon. Et pas Charal (parce que oui, Charal peut aussi se mettre à faire la transition végétale, ils proposent déjà quelques produits transformés).
Et tout ça n'empêche évidemment pas de voir se développer considérablement, en parallèle, des marques/entreprises qui étaient dédiées à l'alimentation végane depuis leur origine.
Et j'ajoute que l'image de Herta totalement liée à la viande, qui cause du rejet par les véganes actuelles, elle pourrait bien avoir totalement disparu dans 10 ans, si leur gamme végétale devient majoritaire dans leurs produits (Ou si ça devient une marque totalement végane. En 10 ans, tout est possible.). Le rejet est d'ailleurs déjà beaucoup moins fort pour les mangeurs de viande intéressés, ou pour les nouveaux végétariens. Pour eux, l'image "pro-végé" de Herta est déjà en train de prendre.
Et quand on sera dans cette situation-là, ou une situation proche (que je ne peux pas prévoir précisément - il y a aussi d'autres acteurs de la société à faire évoluer, mais tout est en interaction), il n'y aura plus aucune difficulté à faire voter des lois concrètes pour organiser explicitement la sortie de l'exploitation animale.
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La seule alternative à ce scénario, c'est de croire qu'il est possible, avec 10% de la population qui soit végane, de faire la révolution, de détruire les abattoirs, de libérer tous les animaux (et trouver comment en prendre soin ensuite) et de faire en sorte que 90% de la population ne réussisse pas à écraser cette "rébellion" et reconstruire les abattoirs par derrière.
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Maintenant des liens pour illustrer ce que j'ai dit plus haut.
Herta qui tient un discours en faveur des protéines végétales :
https://www.herta.fr/herta-bon-vegetal
Ils ont dû faire des pubs à la télé pour "Le Bon Végétal", mais je la trouve plus...
Le directeur marketing de Fleury Michon (Bon, c'est pas Hera, j'ai confondu... mais ça revient au même) qui déclare que dans 20 ans, il est tout à fait possible qu'on ne mange plus de viande, "et ça ne sera pas un problème" :
https://www.facebook.com/iamvegan.tv/vi ... 820041302/
On se dit effectivement, qu'à horizon 20 ans, 30 ans, peut-être qu'on commercialisera absolument plus de viande. [...] peut-être que dans 20 ans, il n'y aura plus de viande sur ce plat principal et ça sera pas un problème."
Le fait que les entreprises qui profitent de l'exploitation animale voient une menace en ceux de leurs concurrents du même secteur qui se mettent à développer des protéines végétales. (Parce que ça va les forcer à en faire autant, et finalement abandonner la viande.) :
http://www.foodnavigator.com/Market-Tre ... -companies
Sensing a shift in consumer eating habits and attitudes, several German meat companies are leading the way in innovation and NPD for meat substitutes: “We will be the first and last generation that eats meat every day,” says one.
When the director of German meat giant, Rügenwalder Mühle, called sausages ‘the cigarette of the future’ in an interview with Die Welt and said he wanted at least 30% of the company’s sales to come from its vegetarian range by 2019, he provoked the ire of his colleagues in the meat industry, who had already called him a traitor.
Le fait que même les plus improbables se mettent à être intéressés par les produits véganes (et qui pourraient tout à fait, à terme, ne faire plus que du végane) :
http://www.processalimentaire.com/Ingre ... ents-31029
On notera Le Gaulois, jusqu'alors exclusivement spécialisé dans la chair d'oiseaux, qui se met à faire des nuggets végétariens/véganes. (Si leur but était de maintenir coûte que coûte l'élevage d'oiseaux, ça serait la dernière chose à faire...)
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Et en ce qui concerne Herta, pour revenir au sujet initial du post, après avoir reçu les centaines de réactions, ils vont probablement revenir à des recettes sans produits animaux.
Réponse au mp d'un végane, le 16 juin, sur facebook :
https://www.facebook.com/photo.php?fbid ... 9261620195
Bonjour,
Pour garantir la qualité et le goût de nos produits, nous avons longuement travaillé sur nos recettes. Toutefois, nous souhaitons lancer de nouvelles références vegans, merci pour vos suggestions, nous les transmettons à notre service R&D.