Je ne veux pas convertir le monde au véganisme, je veux qu'on abolisse la viande (chasse, pêche, élevage) et l'exploitation animale. Ce sont deux choses distinctes, même si ça n'apparaît pas immédiatement. Ce sont deux choses distinctes, déjà parce que dans un monde végane, le mot "végane" pourrait disparaître. Et ensuite parce que le véganisme se présente comme un dogme sur certains points, alors que l'abolition de l'exploitation des individus sensibles pourrait contrevenir à certaines de ses règles.
Exemples :
- La viande in vitro pourrait probablement être produite sans exploitation animale et pourrait considérablement accélérer l'abolition
- Les coquillages, ou en tout cas un certain nombre d'animaux (méduses, concombres de mer...) sont probablement non-sentients et pourraient faciliter certaines choses
Par ailleurs, je veux aussi qu'on s'intéresse à la souffrance des animaux sauvages, qu'on déconstruise tout sophisme d'Appel à la "Nature", et je pense que certaines interactions volontaires entre humains et animaux non-humains seraient bénéfiques aux deux (tel que le sujet est traité par les auteur/se/s de Zoopolis, par exemple), et beaucoup de véganes semblent bien loin de ces considérations.
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Ceci étant dit, pour abolir l'exploitation animale, il semble assez clair que l'élément central, sur lequel tout repose (financièrement, socialement, psychologiquement), qui tue 99% des victimes, c'est bien le carnisme, et c'est donc à l'industrie de la viande qu'il faut s'attaquer en premier.
Les acteurs du carnisme sont :
1) La chaîne d'exploitation (en version simplifiée)
les élevages et pêcheurs ===> les abattoirs ==> les entreprises agroalimentaires (ceux qui achètent les cadavres d'animaux et sous-produits, les conditionnent et les revendent + leur donnent le nom de leur marque) ==> la grande distribution (les supermarchés, les commerces) + la restauration ==> les consommateurs
2) Les acteurs "secondaires" qui forment l'ensemble de la société
- Les médias (télévision, journaux, internet => articles, documentaires et publicités)
- Les politiques (qui mettent en place des législations pour ou contre le bien être animal, pour favoriser ou défavoriser tel ou tel secteur économique, pour agir sur l'alimentation des restaurations collectives, pour agir sur les institutions médicales, etc.)
- Le secteur médical (qui va transmettre un discours pro ou contre le végétarisme, qui va aider ou faire reculer les personnes qui choisissent un régime végétal)
- L'éducation nationale (qui va former les enfants à aller vers le végétarisme ou à le fuir, et qui va nourrir les enfants pendant les 18 premières années de leur vie et leur donner les habitudes alimentaires pour la suite)
- Certainement d'autres que j'ai oubliés
Tous ces acteurs sont interaction. Tous ces acteurs influent sur les uns et les autres. Et les acteurs économiques, en particulier, sont tout à fait conscients de leur pouvoir d'influence sur le reste de la société. En utilisant les médias (publicités, clichés de l'éleveur qui aime ses animaux qui est propagé en permanence, etc.), en utilisant leur pouvoir financier/leurs syndicats pour agir sur les politiques, en faisant même du lobbying sur le discours médical (Cf le site du CERIN), en faisant du lobbying sur les écoles (Interbev qui s'invite dans des milliers d'école, depuis quelques mois), etc.
Donc pour abolir la viande/l'exploitation animale... il faut comprendre ces interactions et agir sur la totalité de ces acteurs :
- Faire réfléchir et informer les consommateurs (c'est la première chose qui vient à l'esprit... mais l'erreur est de s'arrêter là). Parler à ses proches, ses collègues, son entourage. Mais aussi informer sur le terrain (Vegan Place, tractage, diverses actions), et via les médias (et donc réussir à se faire inviter par les médias : ça prend du temps et mérite une stratégie sur le long terme).
- Agir au niveau politique, écrire aux politiques (courriers et emails individuels), dynamiser les pétitions qui leurs sont adressées (celles pour le menu végétarien dans les écoles, celles pour les caméras dans les abattoirs, etc.), soutenir les campagnes ponctuelles précises qui fédèrent la participation des citoyens et qui sont capables d'obtenir des résultats concrets immédiats, voter, soutenir les politiques qui s'engagent pour la cause animale (Cf le site Politique et Animaux, et le Parti Animaliste) etc.
- Agir sur l'Education Nationale : En étant prof, en soutenant le menu végétarien dans les écoles, en ayant des enfants, en faisant des animations comme celles de Gaia Kids (
https://www.youtube.com/watch?v=bO-If825k-o), en se mettant en colère quand Interbev fait du lobbying...
- Agir sur le milieu médical : En popularisant la position de l'Association des Diététiciens Américains, en étant médecin/nutritionniste, en participant à l'étude Nutrinet -comme le propose la Société Végane- pour faire bouger le Plan National Nutrition Santé
- Agir sur les médias, je l'ai déjà dit, mais ça peut prendre des formes multiples : Ca peut être s'attaquer directement au spécisme via des émissions ou documentaires, ou parler du végétarisme/véganisme, ou médiatiser des scandales, ou faire des campagnes d'affichage... C'est compliqué, ça prend du temps et ça coûte souvent de l'argent, ça nécessite de comprendre comment fonctionnent les médias. Comment les attirer, comment y rester, comme y transmettre le message qu'on veut transmettre, comment transmettre un message productif et convaincant aux spectateurs/lecteurs. (L'erreur commune de trop de véganes, c'est de croire que c'est simple, et donc de croire qu'on les trahit quand une association réussit à attirer les médias avec des messages variés qui ne rentrent pas dans leurs cases toutes faites.)
- Agir sur la restauration : Faire des campagnes/pétitions aux chaînes de restaurations pour qu'elles proposent des menus végétariens/véganes, faire des campagnes subtiles pour que les restaurants proposent au moins un menu végétarien (
https://vegoresto.fr/), favoriser/soutenir le développement des restaurants véganes
- Agir sur les marques et la grande distribution : Par son comportement personnel de consommateur, mais surtout en soutenant toutes les apparitions de nouveaux produits véganes, voire en les contactant directement, en tant que consommateurs intéressés, pour leur proposer de développer des produits véganes. Donc contacter les marques d'agroalimentaire qui n'en produisent pas actuellement, et leur proposer de développer des similicarnés : Le fait est que ces propositions des consommateurs les intéressent et que leurs services R&D réfléchissent à ce genre de choses et réagissent à ce genre de courriers. En témoignent Herta et Fleury Michon qui ont développé une gamme de smilicarnés cette année. Et bien sûr, discuter avec les responsables de magasins pour voir s'ils peuvent commander/proposer une marque ou une autre. Tous ces gens sont avant tout des commerçants, ils vendent quand il y a des gens pour acheter, donc si un secteur se développe, si un niche de consommateurs prend de l'ampleur, ça les intéresse forcément d'en profiter et participer au mouvement.
-- Une marque qui trouve son intérêt financier dans le développement des alternatives véganes est une marque qui n'a plus d'intérêt à freiner son développement (par toutes sortes de lobbyings, publicités, investissements), qui n'a plus d'intérêt à défendre à tout prix l'industrie de la viande, mais qui va plutôt se mettre à investir ses ressources dans le développement du véganisme. C'est un ancien ennemi qui se transforme en allié. --
Et comprendre aussi que les alternatives "simples", qui sont immédiatement identifiées comme des alternatives à la viande et produits animaux, sans rien perdre nutritionnellement ni gustativement, sont des ponts directs, presque immédiats, pour que les consommateurs fassent la transition rapidement, au moindre effort. Sans ça, la transition est vue comme un effort considérable, qui nécessite d'accumuler des connaissances énormes (informations nutritionnelles, apprendre à cuisiner, savoir quelles marques acheter ou fuir, etc.), d'abandonner des habitudes bien ancrées (perte de traditions conviviales, peur de ne plus jamais retrouver le plaisir d'un certain goût, etc.), ce qui fait fuir la majorité des gens. D'où l'intérêt évident des similicarnés, fromages végétaux, etc.
- Agir sur les éleveurs/pêcheurs/abattoirs... c'est d'après moi le plus compliqué, ça nécessiterait surtout de leur proposer une porte de sortie. Notamment réussir à transformer les subventions (décidées par les politiques, collectées par nos impôts), qui servent actuellement à soutenir l'élevage intensif, en subventions qui permettraient la transition vers le tout végétal.
Mais c'est aussi ce que fait directement L214 quand elle médiatise des scandales à partir d'images extraites. Elle met des bâtons dans les roues des élevages/abattoirs nommés. Elle porte plainte. Elle montre aux consommateurs à quoi ça ressemble, et ça diminue la consommation, et ça pose un scandale sur la cible, et ça diminue la confiance générale sur cette cible. Et ça fait réagir les politiques, qui se doivent alors de trouver des solutions, qui dans l'idéal devraient diminuer l'intensité des souffrances subies par les animaux, mais aussi poser une contrainte financière sur l'industrie de la viande à cause des nouvelles mesures, freiner les rendements, rendre les emplois encore moins attractifs, etc.
(L214 fonctionne grosso modo selon ce principe :
https://www.youtube.com/watch?v=VcNz9vkYNAk&t=457s )
- Transmettre un message public général, une revendication politique claire, compréhensible, à l'ensemble de la société, afin que tous les acteurs de la société puissent l'envisager, y réfléchir et le prendre de plus en plus au sérieux : C'est ce qu'on fait quand on soutient l'abolition de la viande, et quand on fait des manifestations dans la rue. Notamment la Marche pour la Fermeture des Abattoirs. Ou qu'on en parle dans n'importe quel média.
- Agir sur un tout un tas d'autres trucs que j'ai oubliés : L'art, le monde du spectacle, les réseaux sociaux, les avancées scientifiques (beaucoup de nouvelles pistes permettraient d'améliorer et accélérer le chemin vers l'abolition)... Et là, bien sûr, je n'ai parlé que de l'industrie de la viande (et produits animaux)... Il y a aussi tout un tas de possibilités d'actions au niveau du spécisme général (et notamment via la législation).