HaricotPrincesse":36fac3eq a dit:
Y a-t-il quelqu’un⋅e qui pourrait faire un copier-coller ou un scan de l’article ?
Merci d’avance.
Y'a qu'à demander (oui je suis abonné à ce torchon de centre-droit
)
Les végans à l’assaut de YouTube
M LE MAGAZINE DU MONDE | 22.09.2017
Loin des images chocs des abattoirs, des youtubeurs se mettent en scène dans des vidéos à l’humour corrosif pour servir leur cause : le bannissement de tout produit issu de l’animal.
Par Sandra Franrenet
« Ils ne devraient plus tarder ! On va avoir notre selfie ! », se réjouit une jeune femme. Le petit groupe de filles réunies ce jour-là au Centquatre, à Paris, n’attend pas Justin Bieber ou Robert Pattinson mais Gurren Vegan et Jihem Doe. Inconnus du grand public, ces deux youtubeurs ont fait fureur au salon Veggie World, grand-messe importée d’Allemagne, qui a rassemblé 7 000 personnes à Paris, au printemps.
Chaque vidéo qu’ils postent sur le réseau social fait office d’événement pour leurs 20 000 abonnés. Parmi eux, des végétariens en transition et des adeptes du véganisme, un mode de vie qui bannit tout produit issu de l’exploitation animale, soit la viande, le poisson, les œufs, les produits laitiers mais aussi le cuir ou la laine.
Aussi loin des images chocs de l’association L214 que des vidéos guimauves de recettes sans viande destinées à séduire les palais hésitants, les productions de ces deux garçons rompus aux codes des réseaux sociaux permettent au véganisme de toucher un nouveau public. Montage dynamique, incorporation d’extraits de films, de clips et de gifs animés, bande-son, voix off… Ils utilisent toutes les couleurs de la palette numérique.
Ainsi, lorsque Jihem évoque son régime alimentaire, il illustre son propos avec une scène culte des Visiteurs totalement à contre-emploi (« Où sont les poulardes, les poulets rôtis, les saucisses ? »). Et pour être sûrs de faire le buzz, ces maîtres en punchlines – ces phrases chocs dont les réseaux sociaux sont friands – organisent des « débunkages », exercices consistant à reprendre des déclarations pour montrer en quoi elles sont erronées.
Séduire les followers des autres
La youtubeuse Morgane Enselme explique pourquoi elle redevient carnivore après deux ans d’abstinence ? Gurren réplique avec la vidéo Je suis toujours vegan et fait un carton (414 000 vues). Anthox Colaboy, youtubeur aux 350 000 abonnés, ose railler les végans « extrémistes » avançant que ce sujet est « presque aussi sensible que le conflit israélo-palestinien » ? Jihem dégaine et récolte près de 100 000 vues… « Ça peut faire cour d’école mais c’est stratégique : “débunker” les propos d’autres youtubeurs – surtout les gros – permet de récupérer leurs followers », décrypte Sophie Choquet, responsable de la communication de l’Association végétarienne de France (AVF).
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=x-ChLaTtS4A[/youtube]
Jihem assume : dans la vidéo où il répond à Anthox, il commence par le remercier « d’avoir parlé de véganisme même indirectement sur
a chaîne. (…) Vu ton audience, inutile de te préciser que je suis Bonheur ! » En bref, qu’importe le moyen, pourvu qu’on parle de la condition animale sur la planète YouTube !
Habitant d’un petit village près de Gap, dans les Hautes-Alpes, Gurren Vegan a été initié au régime sans viande en douceur, par l’intermédiaire de son épouse. Ce brun athlétique de 39 ans (qui souhaite rester discret sur son identité et son activité professionnelle) a vu en YouTube un moyen de militer depuis ses montagnes tout en exprimant sa créativité.
Jihem Doe, lui, s’est intéressé à YouTube après avoir été brutalement parachuté dans la communauté végane. « Il y a six ans, j’ai vu une vidéo sur les animaux d’élevage. J’ai pris une gifle magistrale », se souvient ce prof de yoga de 30 ans. Après avoir échoué dans sa mission de croisé (« Plus j’essayais de convaincre les gens que je rencontrais, plus je me les mettais à dos »), il a décidé de se tourner vers un public plus réceptif. Le réseau social a fait figure d’évidence.
Quand il n’est pas sur son tapis en train de donner des cours, le Parisien s’enferme dans son appartement en tête à tête avec sa caméra Gopro. L’un comme l’autre tentent de sensibiliser à leur cause par l’humour, un credo qui les distingue des youtubeurs qui examinent le véganisme sous un angle plus pragmatique (carences, produits de beauté, aliments substitutifs…)
Etre caustique mais crédible
« L’humour, c’est juste un facilitateur qui nous aide à faire passer des idées, un twist pour entrer dans la tête des gens parce que nos propos n’ont rien de drôle, en réalité : trois millions d’animaux sont tués chaque jour dans les abattoirs français », rappelle Gurren comme pour s’excuser d’essayer de faire rire. « C’est un exercice très difficile. Il faut être original sans renier ses valeurs, précis mais compréhensible, caustique tout en étant crédible… », énumère Caroline, alias Sychriscar, en connaissance de cause. Après avoir ouvert une chaîne sur l’aquariophilie début 2014, elle a viré sa cuti l’année suivante. Depuis, cette végane de 31 ans cherche une nouvelle voie sur YouTube.
Gurren, lui, semble avoir trouvé la sienne. Très éclectique, sa production surfe sur le registre comique de « Vis ma vie de végan » avec deux gimmicks : les « faux bides » (il fait mine de s’adresser à quelqu’un derrière la caméra puis s’étonne de découvrir qu’il n’y a personne) et l’autodérision.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=FYvk5-Bx1vc[/youtube]
Mais lorsqu’il démonte les propos d’individus prônant les bienfaits d’une alimentation fondée sur les produits d’origine animale, Gurren reste flegmatique. Jihem Doe, un peu moins. « J’essaie de répondre à l’absurde par l’absurde », se défend-il. « Toujours cet imaginaire bidon, ce refrain à la peau dure, ce parallèle forcé entre le véganisme et les graines, se moque-t-il dans une de ses vidéos. Assumez à fond. Positionnez-vous clairement. Mettez le paquet. Faites savoir partout qu’on suce de la caillasse et qu’on broute de la pelouse. »
Dans sa série #bonjourjesuisvégane, il devise plus tranquillement avec un comédien baptisé Omni (pour omnivore) qu’il adore pousser dans ses retranchements. Ce dernier tente de prouver qu’il est écolo parce qu’il ne circule plus en voiture ? Jihem réplique : « Il vaut mieux un végan en 4 × 4 qu’un mangeur de steak à trottinette. »
Leur cible, les 18-35 ans
Difficile en regardant ces deux végans de ne pas penser à Norman et Cyprien, vedettes de YouTube à l’humour potache dont chaque vidéo provoque un tsunami de vues. « Leur manière de se filmer chez eux avec juste une caméra et de recourir à l’humour chaque fois qu’ils le peuvent, inscrit Gurren et Jihem un peu dans leur registre », confirme Jérôme Boudot, cofondateur de I Am Vegan.tv, une chaîne d’information diffusant des interviews d’influenceurs et de leaders d’opinion.
Certes, Gurren Vegan et Jihem Doe sont très loin des deux stars qui totalisent près de 16 millions de fans. Mais leur score est à mesurer en fonction du microcosme dans lequel ils évoluent : le nombre de végans en France est estimé à moins de 3 millions de personnes. Parmi elles, une majorité de 18-35 ans, première cible des youtubeurs. « Il faut parler aux jeunes, car ce sont eux qui construiront le monde de demain, se convainc Jihem. Ce sont également les plus exposés à la propagande des lobbies de la viande contre lesquels nous sommes en guerre ! »
Une « guerre » chronophage. Il faut en moyenne trente-cinq heures à ce professeur de yoga pour fabriquer trente minutes de vidéo. Cet investissement commence enfin à lui rapporter un peu d’argent (600 euros en moyenne par vidéo) à défaut d’être rentable. Gurren, en revanche, préfère taire le montant de ses recettes – politique de confidentialité de YouTube oblige – mais laisse entendre que c’est symbolique. Les douze à vingt-quatre heures passées en moyenne sur chaque production sont donc quasiment bénévoles.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=QTUBirZHl2I[/youtube]
Petit nouveau au style direct et corrosif qui compte déjà près de 5 500 abonnés, Yannick, alias Chaînons manquants, détient la palme : il a besoin de dix heures pour produire une seule minute de vidéo. « Chaque détail compte : il faut peaufiner la titraille et les vignettes, surveiller la durée, insuffler du rythme, car si le public s’ennuie, il zappe et se désabonne », confie Gurren.
« Sérieux ET cool ! »
Mais l’excès ne garantit pas le succès, L’As Végane Parano en a récemment fait les frais. En novembre 2016, ce jeune homme, suivi par 9 000 personnes, a vivement critiqué Aymeric Caron, qui venait de publier Antispéciste (Éd. Don Quichotte). À ses yeux, la couverture était prétentieuse, le sous-titre (Réconcilier l’humain, l’animal, la nature) incompréhensible, le terme « véganisme » sous-employé…
L’As s’est acharné à discréditer le journaliste dans une vidéo que Caron qualifie de « malhonnête et truffée de mensonges ». Quelque temps plus tôt, le youtubeur s’était attaqué à l’AVF, à laquelle il reprochait d’encourager des petits pas plutôt que de porter un discours plus radical. Une erreur de trop ? « L’As Végane Parano a été très regardé, mais la communauté a fini par le rejeter quand il est devenu agressif envers ses propres membres », constate Jérôme Boudot.
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=wpCOiIxduqg[/youtube]
Malgré ces dérapages, les youtubeurs végans récoltent plutôt l’assentiment de leur milieu. Aymeric Caron concède que ces tribuns 2.0 – « lorsqu’ils sont bons et qu’ils ont bossé leur sujet » – apportent un point de vue plus intéressant, et surtout plus percutant, que celui des éditorialistes. Jihem Doe et Gurren Vegan sont même adoubés par l’une des voix les plus écoutées et respectées de la sphère végane : la cofondatrice et porte-parole de l’association L214, Brigitte Gothière. « Leurs vidéos sont pleines d’humour, c’est pinçant ! », estime-t-elle. Et d’ajouter que la cause animale doit être présente sur tous les fronts. « YouTube en est un », insiste-t-elle.
Martin Gibert, le rédacteur en chef de Véganes Magazine, abonde : « J’ai beau être plus sensible à l’écrit, je reconnais que c’est un espace formidable pour toucher les gens qui lisent moins, et notamment les jeunes. » « Ils réalisent un travail de recherche absolument énorme », complète Jérôme Boudot, soucieux de prouver le sérieux des youtubeurs.
« Sérieux ET cool ! Ils plaisent beaucoup aux membres de notre communauté », ajoute Élodie Vieille-Blanchard, présidente de l’AVF, ravie de l’arrivée de ces nouvelles têtes. Il y a quelques mois pourtant, elle ne savait rien de Jihem et Gurren. Elle les a découverts par hasard, au Salon VeggieWorld. « Là bas, c’étaient des stars ! », confirme-t-elle, amusée.
Premier « végécamp »
Gurren est le premier surpris de son succès : « Quand j’ai lancé ma chaîne, je n’imaginais pas que je signerais des autographes et que je ferais des selfies avec mes fans. C’est marrant cinq minutes et ça flatte l’ego, mais ce qui m’intéresse c’est de transformer le phénomène de groupie en quelque chose de constructif », se défend-il.
Cet été, il a donc embarqué une dizaine de ses abonnés (filles et garçons) dans ses montagnes pour former un groupe de travail. De ce premier « végécamp » (que l’on peut encore suivre sur YouTube à la manière d’une série télé) écloront bientôt un album de musique (dont les fonds seront reversés à l’association Animal Testing) ainsi qu’un outil numérique baptisé « Véganise-toi ».
[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=ricCU-KXVV4[/youtube]
« Il permettra de signaler les entreprises qui communiquent de manière grossière sur l’exploitation animale ou usent de stratagèmes douteux pour faire passer leurs messages », explique Gurren, lassé de voir des images d’animaux « heureux de donner leur lait » ou des marques occultant les tortures endurées par les bêtes pour vendre fourrures et oreillers en plumes.
Une initiative ancrée dans le réel, que salue Corine Pelluchon, professeure de philosophie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée et auteure de l’ouvrage Manifeste animaliste (Éd. Alma). « Nous devons beaucoup à Internet. Ses canaux de communication ont permis de dénoncer massivement le sort des animaux d’élevage, concède-t-elle. Je pense néanmoins qu’il faut mener en parallèle une réflexion plus profonde, qui ne réduise pas la pensée à des slogans et se démarque de la culture du “like” pour aller vers un vrai changement sociétal. » Le combat des végans ne fait que commencer.