lui seul peut être consciemment antispéciste
Je suis d’accord avec la réponse de Balika. Constater une singularité (ici une capacité auto-réflexive et langagière chez les animaux humains) et en tirer les conséquences du point de vue des relations entre animaux humains et non-humains (en l’occurrence des relations de solidarité ou d’entraide à construire dans le respect de toutes les singularités) n’implique pas d’entériner une vision hiérarchique de type spéciste.
Le projet antispéciste c'est de décider pour les animaux et à leur place, certes avec leurs intérêts en tête, mais du coup c'est en effet une forme de welfarisme radical, pas un rapport d'égalité.
L’antispécisme est-il un welfarisme radical ? Pourquoi pas ! En réalité, je connais peu de véganes (antispécistes ou non) qui ne sont pas abolitionnistes. Mais concrètement, la voie est welfariste. Nous le savons bien, et nous le constatons tous les jours. Il n’y aura jamais de grand soir abolitionniste.
Je me définis comme antispéciste et abolitionniste, mais je ne rejette aucune des avancées qui améliorent ici et maintenant le sort des animaux, même si ces avancées sont le résultat d’actions strictement welfaristes (« agrandir les cages ») et sont en contradiction avec mes principes. La pratique résorbe les contradictions qu’on trouve au niveau des principes. L’abolitionnisme est le but, le welfarisme (hélas) est le chemin.
L’antispécisme ventriloque-t-il les animaux non humains sous couvert d’égalité ? Je ne pense pas. L’égalité des antispécistes n’est pas une égalité stricte (de conditions, de droits, etc.) mais une égalité de considération des intérêts (au premier rang desquels l’intérêt à vivre) au regard des spécificités et des singularités de chaque communauté animale. L’un des débouchés concrets de l’antispécisme est dans sa connexion au droit. Les droits doivent être répartis en fonction des intérêts et des formes de vie des communautés animales. Cette répartition est-elle nécessairement brutale, arbitraire et anthropocentrée ? Non ! On pourrait très bien envisager la mise en place d’espaces de délibération en faveur des animaux non humains où ces derniers seraient représentés par des traductrices ou traducteurs (éthologues, anthropologues, zoologues, sociologues, etc.). Sur des enjeux précis, et afin d’élaborer des décisions justes, équilibrées et solidaires, les spécialistes en traduction prendraient en compte non seulement les intérêts des animaux non humains, mais aussi leur langage, leur émotion, leur évolution, leur écosystème, etc. Ce serait en tout cas plus ambitieux qu’une parodie de démocratie formelle.
Certaines organisations sociales animales fonctionnent à la loi du plus fort, ils s'en fichent de l'égalité. Au final, ce sont nos valeurs qu'on veut imposer. Là-dessus, je rejoins les omnis.
Comme tu le dis plus bas dans ton message, la communauté végane est très différenciée, mais c’est aussi vrai pour les antispécistes. Antispécisme et interventionnisme ne se recoupent pas nécessairement, et certain-e-s antispécistes prônent même une intervention humaine minimale auprès des animaux non-humains, en s’inspirant par exemple de la théorie de la souveraineté et de la citoyenneté de Sue Donaldson et Will Kymlicka (Zoopolis) : « Les interventions visant à aider les autres lorsque ceux-ci ne l’ont pas demandé peuvent être problématiques (…) Les procédés que nous employons doivent être respectueux de la souveraineté des communautés animales et de leur droit à l’autodétermination (…) Ces principes ne sont pas toujours faciles à appliquer (…) Détourner un météore, par exemple, entre à l’évidence dans la catégorie des interventions qui respectent et aident à restaurer une souveraineté menacée. Intervenir pour mettre un terme à la prédation ou aux chaînes alimentaires, en revanche, impliquerait une remise en cause de la souveraineté des communautés d’animaux sauvages, et les réduirait à un état de dépendance permanente. » (p.255-256).
Il me semble qu’une association comme PAZ, dont les membres sont antispécistes, qui parvient à des résultats concrets, sur le fondement d’une mobilisation intellectuelle et politique tout à fait cohérente, s’inscrit dans cette perspective. On le voit à propos des animaux dits « liminaires » qu’il s’agit de visibiliser, puis d’intégrer dans les politiques publiques urbaines, tout en respectant au mieux leurs formes de vie en les articulant à une présence humaine rationalisée et empathique.
https://www.lemonde.fr/idees/articl...iberte-dans-l-espace-urbain_6090793_3232.html
Pour ma part, je ne renonce pas à l’étiquette antispéciste, même si je ne suis pas en accord avec tout ce que je lis (notamment certains travaux utilitaristes centrés sur le critère de la souffrance qui me semble trop restrictif).
D’abord parce que l’antispécisme constitue aujourd’hui un corpus de références intellectuelles aussi complexe que foisonnant dont je ne ferai peut-être jamais le tour et dont je serais bien incapable de faire la synthèse. Balayer l’antispécisme d’un revers de la main me semble un geste ignorant et prétentieux. Je ne parle pas, évidemment, des échanges que nous avons entre nous. Nous nous posons des questions et la discussion est ouverte sur la pertinence de l’étiquette. Mais j’ai déjà entendu des personnes, qui font par ailleurs un travail intéressant (comme « Les Carencés » ou La fédération végane), affirmer que l’antispécisme ne sert à rien ou qu’il est nuisible, sur la base d’une connaissance partielle voire d’une méconnaissance du corpus.
Ensuite parce que le critère de l’espèce est déterminant, non seulement dans nos relations avec les animaux non humains, mais aussi dans les relations entre humains. Il suffit de lire des autrices comme Syl Ko ou Carol Adams pour comprendre que l’espèce est une classification diffuse qui croise, renforce ou justifie d’autres classifications, de race ou de genre par exemple. Je vois l’antispécisme comme une posture d’alerte qui incite à réfléchir sur (et à lutter contre) les ancrages et les effets multiples de l’espèce comme classification.
Enfin parce que le véganisme et l’antispécisme ne se superposent pas complètement. Raisonner en tant qu’antispéciste permet de rejeter des positions fantaisistes parfois soutenues par des véganes (par exemple la position vitaliste quasi-mystique selon laquelle les plantes, organismes divisibles et dépourvus de système nerveux, « souffrent aussi »), et implique de mettre au jour des effets de hiérarchie, souvent ignorés, liés à l’espèce. Vous avez tou-te-s raison de souligner l’importance de la question de la domesticité animale. Je ne pense pas que j’aurais réfléchi de la même façon sur la domesticité animale et que, par exemple, j’aurais agi de la même manière avec le chat qui m’accompagne depuis presque 20 ans, si j’avais été « seulement » végane. L’antispécisme permet d’aller au-delà du refus de consommer des animaux ou le produit de leur exploitation, en posant des questions sur l’arbitraire de l’espèce comme fondement de nos jugements et de nos actions.
Il me semble que, dans un monde anti-spéciste, il n'y aurait plus d'animaux "domestiques". Le simple fait d'obliger des animaux à rester près de nous pour nous tenir compagnie est une violence.
Je suis d’accord. De même pour les animaux d’élevage. Leur statut et leur devenir changeraient forcément dans un monde antispéciste.
Je discutais samedi dernier à la Journée mondiale pour la fin du spécisme avec une membre du refuge GroinGroin qui m’expliquait que certains animaux sont tellement modifiés qu’ils développent très jeunes des pathologies incurables. Ils sont programmés à se développer rapidement et à mourir jeunes pour des raisons mercantiles. S’abstenir de consommer leur chair n’est pas suffisant. Dans un monde antispéciste, une transition se mettrait, de fait, en place. Les animaux rescapés seraient accompagnés jusqu’à leur mort. Mais il n’y aurait pas d’avenir pour des communautés animales condamnées à souffrir. Peut-être, pour toute mémoire, et avec la plus grande tendresse et le plus grand soin, pourrait-on songer à des sanctuaires accueillant des individus issus de ces communautés.
La transition vers un monde antispéciste ressemblerait à cette vision radieuse et porteuse d’espoir d’Hartmut Kiewert, où animaux humains et non humains, enfin libres et solidaires, contemplent ensemble les ruines des hangars agricoles et des abattoirs.
hartmutkiewert.de