je ne vois pas de mot plus neutre, et au final c'est du même registre linguistique que hétérosexuel.
1) Il n'a pas de mot neutre
2) Il n'y a pas non plus de "registres" officiels, objectifs, fixes
3) Il n'y a pas de mot qui ait une signification absolue
4) vouloir dresser des "listes" d'insultes oppressives ou non ne me semble guère constructif
Le sens d'un mot se forge dans la relation qu'ont les sujets qui l'utilisent. Et par sujets j'entends aussi bien les individus que les sujets collectifs (par exemple, deux groupes sociaux en position de déséquilibre de pouvoir). Tout en gardant en tête que l'individu parle une langue que son groupe lui a transmise, donc il y a toujours du pluriel dans ce que dit une personne ; il y a toujours d'autres voix qui parlent à travers la sienne.
Donc un mot est oppressif dans la mesure où il est né dans - et matérialise - une relation humaine oppressive. Pour être oppressif il faut que se rejouent, à chaque fois qu'il est employé, l'exclusion et la déshumanisation qui ont été sa raison d'être en premier lieu. C'est ce qui rend l'insulte efficace : elle maintient la séparation et la hiérarchie entre ces groupes sociaux, et renouvelle, chez la ou les personnes à qui ce mot est adressé, la souffrance d'être "déclassé-e-s". Ce qui suppose une perpétuelle asymétrie : c'est toujours tel sujet (groupe en position de pouvoir) qui l'emploie pour parler à, ou parler de, tel autre sujet (groupe opprimé).
Le corollaire est qu'un groupe opprimé peut "désamorcer" une insulte en s'en emparant. Quand un membre du groupe utilise ce mot, la dynamique oppressive exposée ci-dessus est enrayée, et il peut lui donner son propre sens, un sens porteur de revendication, de résilience, de solidarité. C'est ce qui a pu se passer pour "pd" mais pas pour homosexuel, qui garde une histoire médicale forte. La raison est peut-être que le mot "homosexuel" évoque encore mieux la domination du groupe qui l'emploie (non seulement hétéro, mais riche et détenant le pouvoir politique et les médias) que "pd" qui fait plus "insulte lancée dans la rue par une personne hétéro quelconque". Mais bref, en tous les cas : aucun de ces deux mots n'est plus "neutre" que l'autre.
Et à cause de tous ces changements de dynamique, on ne peut pas dresser la liste absolue des insultes "oppressives ou non". Enfin, on arrivera sans peine à y mettre de "grands classiques", mais très vite se rencontreront des questions qui nécessitent un important travail de recherche et de dissertation, lequel devrait nous mener vers une oeuvre de type encyclopédique plutôt que liste. Après tout : qui, ici, croit sincèrement qu'on peut éduquer avec des listes ? Moi je n'y crois pas.
Si vous prenez l'exemple de "con" : excusez-moi, mais qui aujourd'hui l'utilise pour désigner le vagin ? La plupart des gens sont surpris quand vous leur apprenez cette origine, ce qui veut dire que ce mot a largement perdu sa référence au corps (assigné) féminin, et donc son pouvoir misogyne. On peut alors argumenter qu'a la place, il a pris un pouvoir capacitiste. Tout le monde sait en effet qu'on peut traiter quelqu'un de "con-ne" dans le but de le/la faire souffrir en impliquant que ses capacités mentales supposément inférieures le/la classifient dans un groupe déshumanisé. Mais là encore, la réalité des usages montre quelque chose de plus subtil : "con" se rapproche du mot "bête" dans des usages tels que "c'est tout bête / con" où l'on qualifie cette fois des objets ou des situations.
Opprime-t-on quelqu'un quand on dit par exemple "j'ai utilisé un bête crayon à papier" ? Je ne le crois guère - juste parce que "bête" a le potentiel de rejouer la dynamique d'oppression entre neurotypiques et neurodivergents (= il a bel et bien un potentiel oppressif), ne veut pas dire qu'il le réalise à chaque fois. Ce "con" (ou "bête") a pris un sens différent en existant dans un contexte différent ; et il est devenu facile pour la plupart des interlocuteurices de savoir implicitement que l'on fait bel et bien référence à cet autre contexte et à cet autre sens (celui où l'on porte une appréciation sur des objets).
Note importante : si quelqu'un se sentait opprimé à l'usage du mot "bête" dans une expression comme "un bête [objet]", j'éviterais alors de l'utiliser. Parfois le fait de savoir qu'il existe d'autres significations n'apaise pas la douleur et il faut donc prendre en compte aussi les différentes sensibilités individuelles. (Ce qui diminue encore l'intérêt de faire une liste valable pour tout le monde).