Personnellement, je pense qu'une démonstration de colère était nécessaire après le rejet massif des propositions d'amendements pour le bien être animal, dans la loi Egalim. (Et il est même possible que les vitrines cassées aient eu un impact sur le vote de l'option végétarienne dans les cantines, par les députés en allant contre l'avis du gouvernement, récemment).
Mais c'est la façon dont elle s'est exprimée, les cibles visées, et le dosage de cette violence, qui semble incontrôlable (si ça se transforme en incendies, notamment) qui est un vrai problème. Le but aurait pu être de montrer la colère, et montrer aux politiques qu'ils doivent prendre le sujet au sérieux. Si ça se transforme en violence intense qui pousse à un répression massive sans discernement, avec le soutien de l'opinion publique, ça étouffera la majorité du mouvement. On ne peut pas tenir éternellement face à des amendes qui croissent de manière exponentielle ou qui se transforment en peines de prison. Il y a un moment où les militants seront tous neutralisés par la justice ou fuiront le mouvement. Surtout si la répression retombe également sur les associations qui ont justement pour fonction de fédérer, de rassembler, d'attirer les militants grâce à une structure, une organisation. Si elles sont dissoutes ou interdites, ça donnera des militants éparpillés, incapables de s'organiser et qui abandonneront "la lutte".
Donc il y a un dosage à avoir.
Et surtout, viser les bonnes cibles. Non, les petits commerces dans lesquels il n'y a que des morceaux de viande ne visibilisent les victimes pour personne. On visibilise les victimes quand on les voit vivantes, qui luttent pour leur vie. Ou en tout cas, entières (dans les happenings solennels, où chaque militant porte le corps d'un animal, par exemple). On visibilise les victimes quand on les filme dans un élevage, dans un abattoir ou quand on les sauve.
Quand on casse un vitrine, on visibilise la vitrine et le petit boucher du coin qui semble perdu par "tant de violence" et qui ne fait que travailler gentiment pour faire plaisir à ses clients.
Quant au faux sang versé, s'il y avait zéro médiatisation, ok. Il y a une symbolique, il y a quelque chose. Je ne pense pas que ça soit très efficace pour créer un électrochoc chez les mangeurs de viande (parce qu'on reste toujours sur une action un peu brouillon) mais ça sera toujours infiniment mieux que les vitrines cassées la nuit, comme de pauvres délinquants.
M'enfin honnêtement, là, l'action nationale de faux sang dans le contexte actuel, d'après moi, c'est absolument neutre. Aucun impact ni positif ni négatif. En comparaison d'un acte de vandalisme pur, c'est un cran en-dessous, donc ça ne mettra pas "plus de pression" sur qui que ce soit. Et ça ne sera perçu non plus de la même manière, ça ne produira pas plus de rejet (ou de peur). Et ça ne sert à rien quant à la médiatisation, puisqu'elle est déjà là depuis bien longtemps.
D'après moi, c'est surtout du recyclage, qui n'apporte (ou ne retire) plus rien dans le contexte actuel. Si on veut produire un effet nouveau, il faut faire quelque chose de nouveau.
Et j'ai surtout l'impression que les partisans du "conflit pour du conflit", "rapport de force pour le rapport de force" n'ont aucune espèce de vision globale. Le conflit, la tension est un outil à utiliser quand on propose une alternative douce en parallèle. On commence par négocier, et si on est ignoré, on intensifie la pression, et on dose. Et on pose des objectifs clairs et accessibles. Et on fait retomber (temporairement) la pression quand l'autre partie finit par céder à l'objectif à court terme qu'on a proposé. L'autre partie cède parce qu'elle sait que ça va faire retomber la pression, elle voit qu'elle a quelque chose à y gagner et peu à perdre.
Donc on réfléchit aux cibles, aux objectifs, aux soutiens qu'on peut avoir pour nos objectifs, dans quelles situations la montée de pression va être nécessaire et avoir des chances d'aboutir à des résultats.
Si on fonce dans le conflit juste parce qu'on aime le conflit et qu'on veut le pousser à son maximum, sans être capable d'identifier clairement nos objectifs, les étapes intermédiaires, les cibles, les alliés qu'on peut obtenir (et les moyens de se faire de plus en plus d'alliés à mesure que les lignes vont bouger)... et si on n'est pas capable de se rendre compte qu'on est en toute petite minorité contre l'écrasante majorité de la population (si on décide de se lancer trop tôt), et que la majorité est capable d'utiliser au minimum les mêmes méthodes que les nôtres (mais avec 20 fois plus de force) si elle nous ressent uniquement comme une menace (sans négociations possibles)... Ben on fonce dans le mur comme des imbéciles, on s'écrase et on fait comme tous les mouvements convaincus d'avoir raison qui ont mal dosé leur violence, qui n'ont convaincu qu'eux-mêmes et qui sont retournés dans l'ombre... (Il me semble par exemple que cette espèce d'obsession pour les actions "violentes" au nom de la justice est assez récurrente dans le milieu anar. Ben excusez-moi, mais en 150 ans, j'ai pas l'impression que cette stratégie ait donné des résultats époustouflants... Il est où, le pays anarchiste sans dirigeants ? Personnellement, ça ne me donne pas spécialement confiance.)
Il y a une espèce d'amour pour les mots "tension", "rapport conflictuel", "violence", "rapport de force avec l'Etat", etc. dans de grandes et belle phrases bien abstraites qui remuent les tripes d'un certain public, mais concrètement, quels sont les résultats, les étapes qui doivent s'enchaîner, le scénario attendu ? Concrètement, à quel moment et pourquoi les pouvoirs politiques décideraient finalement de voter des lois en notre faveur ? En opposition avec l'opinion publique (En espérant que ça dure plus qu'un mandat électoral ? Ou en instaurant une dictature ?) ? En accord avec l'opinion publique ? Quelles lois ? Ou alors ça se ferait sans les pouvoirs politiques, sans jamais chercher à infiltrer les institutions et le monde politique, puisqu'ils sont désignés comme les ennemis éternels, et il faut donc prendre le pouvoir avec des fourches, de torches et des fusils ? Mais il faut donc avoir l'opinion publique de son côté pour avoir suffisamment de gens pour porter ces fourches, torches et fusils ? (Ou bien il faudra des fourches dix fois plus solides que les fourches de nos opposants dix fois plus nombreux ?...) Mais alors, après avoir passé son temps à répéter que l'opinion publique n'avait aucune espèce d'importance et qu'on voulait seulement se poser dans le conflit, il faudrait quand même réussir à convaincre l'opinion publique à un moment donné ? A quel moment, comment, pourquoi ?
Alors que ça serait tout de même vachement bien que tout le monde soit capable de prendre le temps d'articuler ce genre de réflexions :
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