Poésie animalière

Picatau

Fait crier les carottes
Inscrit
24/2/13
Messages
3 828
Score de réaction
1
Localité
Limousin
Je vous propose un topic poésie si cela n'a pas déjà été fait.

Le principe est simple, poster une poésie ou un texte bref en rapport avec les animaux, la nature ou la culture, à votre gré.

Je commence par un auteur que j'affectionne et qui est décédé il y a quelques années. Il s'agit de Max Rouquette qui écrivit en occitan et dont l'oeuvre a été traduite dans de nombreuses langues. Le poème suivant est extrait de son premier "bestiari" (bestiaire). Je mets la traduction à la suite.
On peut trouver le poème ici : http://www.crdp-montpellier.fr/produits ... gadieu.pdf
Et un magnifique site où il est question de poésie occitane ici : http://www.cardabelle.fr/occitan.htm
Enfin, un dernier site qui lui est consacré intégralement : http://www.max-rouquette.org/

Lo pregadieu

Pregadieu, bèl pregadieu,
de qu’espèras de l’estiu ?
de frigola
t’assadola,
e d’espic
te fai mai ric.
De lachuscla
puèi t’enchuscla
e t’aclapa
de legum.
Pregadieu, bèl pregadieu,
de qu’espèras de l’estiu ?

mas, vestit de sorne espèr,
magre ermitan dau desèrt,
siás coma lo Joan Baptista,
agre monge, verd romieu,
pivelaire de Bon Dieu,
garrigaud evangelista,
e la tèsta dins lo cèl,
t’arribas de sautarèls !
Pregadieu, bèl pregadieu,
alassaràs lo Bon Dieu.


La mante religieuse

Dévote, jolie dévote
qu’espères-tu de l’été ?
De thym
Il te rassasie,
De lavande
Il t’enrichit.
De laiteron,
puis, t’enivre,
et te couvre
de légumes.
Dévote, jolie dévote
qu’espères-tu de l’été ?

Mais vêtue de sombre espoir,
maigre habitant du désert,
tu es comme Jean-Baptiste,
aigre moine, vert pèlerin,
fascinateur du Bon Dieu
de garrigue, évangéliste,
et, la tête dans le ciel,
tu te nourris de sauterelles !
Dévote, belle dévote,
tu lasseras le Bon Dieu !
 
Je ne sais pas si a compte mais :

"On s'est connu voici fort peu de temps,
Tes yeux semblaient si implorants.
De nos deux tristesses, un bonheur est né
Car j'ai compris que j'allais t'aimer.
Je ris en pensant à ce qu'étaient nos jeux,
Ensoleillant les jours pluvieux.
La cheminée nous donnait chaud.
Comment oublier des jours si beaux ?

Pourquoi faut-il se quitter,
Alors qu'on s'est aimés ?
Mais dans mon cœur où tu étais,
Tu restes à tout jamais !"

6668_509828202417323_1407868095_n.jpg
 
Merci Marion.
 
Voici quelques poèmes découverts lors de mes nombreuses recherches sur le véganisme :
C'est beau...

Lettre aux bouchers

Ne croyez pas que le végétarien végète !
Ou qu’il mange les pissenlits par la racine
Ce n’est pas un légume
Il ne reste pas là planté comme un poireau
Au contraire il a la patate
Et s’il n’a pas un radis
Il garde une poire pour la soif
D’avoir eu la cerise
On en prend de la graine
Aussi, il ne veut pas vous raconter de salade
Ni vous la faire à l’oseille
Ni vous carotter
Il vous fait juste part du fruit de sa réflexion
Il y a une pomme de discorde entre vous et lui
Il ne veut pas de votre viande à la noix
Ni chair ni poisson
Eh oui ! Il n’est pas mi-figue mi-raisin
Pour lui les autres animaux ne comptent pas pour des prunes
Et il pense qu’avec vous c’est la fin des haricots

Il ne vous demande pas d’aller vous faire cuire un œuf
Et espère que vous n’en ferez pas un fromage


Vivre et laisser vivre

Est ce parce que tu n’as pas d’ailes
Que tu es si cruel ?
Toi qui rêves d’être un ange
Pourquoi tuer ce que tu manges ?
Prendrais-tu en effet de la hauteur
Ferais-tu cesser ces horreurs
Toi aussi de là-haut tu es pareil à un cafard
À la merci de Dieu ou du hasard

Tu sais que tous les êtres fuient la violence et la mort
Qui es-tu pour ainsi l’infliger encore ?
Tu peux choisir l’universel amour

Dieu ne veut pas de bouc émissaire
C’est la vie qu’il faut qu’on vénère
Aussi il n’est point requis de sacrifice
Mais de faire œuvre salvatrice

Nous sommes tous les enfants du soleil
Les éléphants comme les abeilles
Les hommes comme les pince-oreilles

Devant la vie qui donc ne s’émerveille ?

(source 1 et 2:http://auxanimaux.blogspot.fr/)


Je ne volerai plus la Nature

Tu es malade de compréhension et de religion.
Viens à moi, que tu puisses entendre une saine vérité.
Ne mange pas injustement le poisson que la mer a rejeté,
et ne désire pas comme nourriture la chair des animaux égorgés,
Ou le lait blanc des mères qui destinaient ce pur breuvage à leurs petits et non aux nobles dames. N’afflige pas les oiseaux confiants en prenant leurs œufs ;
car l’injustice est le pire des crimes.
Epargne le miel que les abeilles ont industrieusement recueilli de la fleur des plantes parfumées ;
Car elles ne l’ont pas conservé pour qu’il puisse appartenir à d’autres,
pas plus qu’elles ne l’ont amassé par générosité ou pour en faire don.
J’ai lavé mes mains de tout cela ;
et je souhaite avoir trouvé ma voie avant que mes cheveux soient devenus gris !

Al-Ma’arri

(source:http://fr.abolitionistapproach.com/2010/11/28/du-veganisme-d’un-poete-arabe-medieval/)
 
Super chouettes ces poèmes. Merci. J'aime particulièrement le dernier.
 
Dans Colline de Giono (1928), le vieux Janet sur son lit de grabataire « déparle » moins que ne le croyaient les habitants des Bastides blanches, petit hameau de Provence frappé par le malheur. Et le « secret » de la guérison que Jaume arrache au vieillard dans la page que voici, peut-être est-il encore pour nous : plus que jamais pour nous, au moment où semble si gravement compromis le pacte de l’homme et de la nature.

« Tu veux savoir ce qu’il faut faire, et tu ne connais pas seulement le monde où tu vis. Tu comprends que quelque chose est contre toi, et tu ne sais pas quoi. Tout ça parce que tu as regardé l’alentour sans te rendre compte. Je parie que tu n’as jamais pensé à la grande force ? La grande force des bêtes, des plantes et de la pierre. La terre c’est pas fait pour toi, unique, à ton usance, sans fin, sans prendre l’avis du maître, de temps en temps. T’es comme un fermier ; il y a le patron. Le patron en belle veste à six boutons, en gilet de velours marron, le manteau en peau de mouton. Tu le connais, le patron ? T’as jamais entendu chuinter comme un vent, sur la feuille, la feuillette, la petite feuille et le pommier tout pommelé ; c’est sa voix douce ; il parle comme ça aux arbres et aux bêtes. Il est le père de tout ; il a du sang de tout dans les veines. Et s’il veut effacer les Bastides de dessus la bosse de la colline, quand les hommes ont trop fait de mal, il n’a pas besoin de grand chose, même pas de se faire voir aux couillons ; il souffle un peu dans l’air du jour, et c’est fait. Il tient dans sa main la grande force. Les bêtes, les plantes, la pierre ! C’est fort un arbre ; ça a mis des cents ans à repousser le poids du ciel avec une branche toute tortue. C’est fort une bête, surtout les petites. Ça dort tout seul dans un creux d’herbe, tout seul dans le monde. Tout seul dans le creux d’herbe, et le monde tout autour. C’est fort de cœur ; ça ne crie pas quand tu les tues, ça te fixe dans les yeux, ça te traverse par les yeux avec l’aiguille des yeux. T’as pas assez regardé les bêtes qui mouraient »

Jaume écoute. Il sent le monde branlant sous ses pieds comme une planche de barque. C’était si simple à l’ancienne façon : l’homme et, tout autour, mais sous lui, les bêtes, les plantes ; ça marchait bien, comme ça. On tue un lièvre, on cueille un fruit ; une pêche, c’est du jus sucré dans la bouche, un lièvre c’est un grand plat débordant de viande noire. Après, on s’essuie la bouche et on fume une pipe sur le seuil. C’était simple, mais ça laissait beaucoup de choses dans la nuit.. Maintenant il va falloir vivre avec ce qui est désormais éclairé et c’est cruel ! C’est cruel parce que ce n’est plus seulement l’homme, et tout le reste en dessous, mais une grande force méchante et, bien en dessous, l’homme mêlé aux bêtes et aux arbres. Vivante et terrible, il sent, sous ses pieds, bouger la colline.

« Je vais te dire le secret. » Jaume aimerait mieux que Janet se taise, maintenant. « Je vais te dire le secret ; c’est tout sucré comme un mort. Il y a trop de sang autour de nous. Il y a dix trous, il y a cent trous, dans les chairs, dans du bois vivant, par où le sang et la sève coulent sur le monde comme une Durance. Il y a cent trous, il y a mille trous que nous avons faits, nous, avec nos mains. Et le maître n’a plus assez de salive et de parole pour guérir. A la fin du compte, ces bêtes, ces arbres, c’est à lui, c’est au patron. Toi et moi nous sommes à lui, aussi ; seulement, depuis le temps, nous avons oublié le chemin qui monte jusqu’à ses genoux. Nous avons essayé de nous guérir, de nous consoler tout seuls et, ce chemin, il faudrait pouvoir le retrouver. Le trouver sous les feuilles mortes ; il y a des feuilles sur le chemin, il faut les lever à la main, l’une puis l’une, tout doucement pour que la lune le brûle pas, le petit chemin qui saute comme un chevreau, sous la lune. Et quand nous serons près de lui, dans les ruisseaux de sa salive et dans le vent de sa parole, il nous dira : “Mon bel hommelet, aux beaux doigts qui prennent et serrent, viens çà, mon homme, fais voir si tu te souviens comment on fait pour caresser des mains, c’est ce que je t’ai appris en premier, quand tu étais sur mes genoux, un petit avec la bouche pleine de mon lait… ” »
 
Voilà un célèbre poème de Thomas Hardy, romancier et poète victorien, connu pour son engagement anti-vivsectionniste et son soutien à la RSPCA. Le poème fait référence à la pratique du Vinkensport, sorte de concours de chant d'oiseau à la con d'origine flamande. A l'époque tout était bon pour gagner, y compris rendre les oiseaux aveugles pour leur "éviter" toute distraction visuelle. Suivi d'une rapide traduction de mon cru.

The Blinded Bird

So zestfully canst thou sing?
And all this indignity,
With God's consent, on thee!
Blinded ere yet a-wing
By the red-hot needle thou,
I stand and wonder how
So zestfully thou canst sing!

Resenting not such wrong,
Thy grievous pain forgot,
Eternal dark thy lot,
Groping thy whole life long;
After that stab of fire;
Enjailed in pitiless wire;
Resenting not such wrong!

Who hath charity? This bird.
Who suffereth long and is kind,
Is not provoked, though blind
And alive ensepulchred?
Who hopeth, endureth all things?
Who thinketh no evil, but sings?
Who is divine? This bird.



L’oiseau aveuglé

Peux-tu donc chanter avec tant d’entrain ?
Quand à l’indigne sur toi
Dieu même consent!
Aveuglé avant que de pouvoir voler
Par l’aiguille chauffée à blanc,
Je me demande comment donc
Tu peux chanter avec tant d’entrain !

Sans rancune pour de tels maux,
Tu oublis l’atroce douleur,
L’éternelle ténèbre est ton lot,
Ta vie entière à tâtons;
Après le feu du poignard ;
Prisonnier de l'impitoyable collet;
Sans rancune pour de tels maux !

Qui donc est charité ? Cet oiseau.
Qui longtemps souffre, qui est bon,
Ne s’emporte pas, bien qu’aveugle
Et mis vivant au tombeau ?
Qui espère et tout endure ?
Qui chante et ne nul mal ne pense?
Qui donc est divin ? Cet oiseau.
 
Merci pour ce poème Luisão.
 
Alors ce n'est pas un poème, et ce n'est pas spécialement joyeux, mais ça me semble approprié, il s'agit de "Douce nuit" de Dino Buzzati

buzzati.gif


Elle eut dans son sommeil, un faible gémissement.

À la tête de l'autre lit, assis sur le divan, il lisait à la lumière concentrée d'une petite lampe. Il leva les yeux. Elle eut un léger frémissement, secoua la tête comme pour se libérer de quelque chose, ouvrit les paupières et fixa l'homme avec une expression de stupeur, comme si elle le voyait pour la première fois. Et puis elle eut un léger sourire.

- Qu'y a-t-il, chérie ?

- Rien, je ne sais pas pourquoi mais je ressens une espèce d'angoisse, d'inquiétude...

- Tu es un peu fatiguée du voyage, chaque fois c'est la même chose et puis tu as un peu de fièvre, ne t'inquiète pas, demain ce sera passé.

Elle se tut pendant quelques secondes, en le fixant toujours, les yeux grands ouverts. Pour eux, qui venaient de la ville, le silence de la vieille maison de campagne était vraiment exagéré. Un tel bloc hermétique de silence qu'il semblait qu'une attente y fût cachée, comme si les murs, les poutres, les meubles, tout, retenaient leur respiration.

Et puis elle dit, paisible :

- Carlo, qu'y a-t-il dans le jardin ?

- Dans le jardin ?

- Carlo, je t'en prie, puisque tu es encore debout, est-ce que tu ne voudrais pas jeter un coup d'œil dehors, j'ai comme la sensation que...

- Qu'il y a quelqu'un ? Quelle idée. Qui veux-tu qu'il y ait dans le jardin en ce moment ? Les voleurs ? Et il rit. Ils ont mieux à faire les voleurs que de venir rôder autour de vieilles bicoques comme celle-ci.

- Oh ! je t'en prie, Carlo, va jeter un coup d'œil.

Il se leva, ouvrit la fenêtre et les volets, regarda dehors, resta stupéfait. Il y avait eu de l'orage l'après-midi et maintenant dans une atmosphère d'une incroyable pureté, la lune sur son déclin éclairait de façon extraordinaire le jardin, immobile, désert et silencieux parce que les grillons et les grenouilles faisaient justement partie du silence.

C'était un jardin très simple : une pelouse bien plane avec une petite allée aux cailloux blancs qui formait un cercle et rayonnait dans différentes directions : sur les côtés seulement il y avait une bordure de fleurs. Mais c'était quand même le jardin de son enfance, un morceau douloureux de sa vie, un symbole de la félicité perdue, et toujours, dans les nuits de lune, il semblait lui parler avec des allusions passionnées et indéchiffrables.

Au levant, à contre-jour et sombre par conséquent, se dressait une barrière de grands charmes taillée en arches, au sud une haie basse de buis, au nord l'escalier qui menait au potager, au couchant la maison. Tout reposait de cette façon inspirée et merveilleuse avec laquelle la nature dort sous la lune et que personne n'est jamais parvenu à expliquer. Cependant, comme toujours, le spectacle de cette beauté expressive qu'on peut contempler bien sûr, mais qu'on ne pourra jamais faire sienne, lui inspirait un découragement profond.

- Carlo appela Maria de son lit, inquiète, en voyant qu'il restait immobile à regarder. Qui est là ?

Il referma la fenêtre, laissa les volets ouverts et il se retourna :

- Personne, ma chérie. Il y a une lune formidable. Je n'ai jamais vu une semblable paix.

Il reprit son livre et retourna s'asseoir sur le divan.

Il était onze heures dix.

À ce moment précis, à l'extrémité sud-est du jardin, dans l'ombre projetée par les charmes, le couvercle d'une trappe dissimulée dans l'herbe commença à se soulever doucement, par à-coups, se déplaçant de côté et libérant l'ouverture d'une étroite galerie qui se perdait sous terre. D'un bond un être trapu et noirâtre en déboucha, et se mit à courir frénétiquement en zigzag.

Suspendu à une tige un bébé sauterelle reposait, heureux, son tendre abdomen vert palpitait gracieusement au rythme de sa respiration. Les crochets de l'araignée noire se plongèrent avec rage dans le thorax, et le déchirèrent. Le petit corps se contorsionna, détendant ses longues pattes postérieures une seule fois. Déjà les horribles crocs avaient arraché la tête et maintenant ils fouillaient dans le ventre. Des morsures jaillit le suc abdominal que l'assassin se mit à lécher avidement.

Tout à la volupté démoniaque de son repas, il n'aperçut pas à temps une gigantesque silhouette sombre qui s'approchait de lui par-derrière. Serrant encore sa victime entre ses pattes, l'araignée noire disparut à jamais entre les mâchoires du crapaud.

Mais tout, dans le jardin, était poésie et calme divin.

Une seringue empoisonnée s'enfonça dans la pulpe tendre d'un escargot qui s'acheminait vers le jardin potager. Il réussit à parcourir encore deux centimètres avec la tête qui lui tournait, et puis il s'aperçut que son pied ne lui obéissait plus et il comprit qu'il était perdu. Bien que sa conscience fût obscurcie, il sentit les mandibules de la larve assaillante qui déchiquetaient furieusement des morceaux de sa chair, creusant d'affreuses cavernes dans son beau corps gras et élastique dont il était si fier.

Dans la dernière palpitation de son ignominieuse agonie il eut encore le temps de remarquer, avec une lueur de réconfort, que la larve maudite avait été harponnée par une araignée-loup et lacérée en un éclair.

Un peu plus loin, tendre idylle. Avec sa lanterne, allumée par intermittence au maximum, une luciole tournaillait autour de la lumière fixe d'une appétissante petite femelle, languissamment étendue sur une feuille. Oui ou non ? Oui ou non ? Il s'approcha d'elle, tenta une caresse, elle le laissa faire. L'orgasme de l'amour lui fit oublier à quel point un pré pouvait être infernal une nuit de lune. Au moment où il embrassait sa compagne, un scarabée doré d'un seul coup l'éventra irrévocablement, le fendant de bout en bout. Son petit fanal continuait à palpiter implorant, oui ou non ? que son assaillant l'avait déjà à moitié englouti.

À ce moment-là il y eut un tumulte sauvage à un demi-mètre de distance à peine. Mais tout se régla en quelques secondes. Quelque chose d'énorme et de doux tomba comme la foudre d'en haut. Le crapaud sentit un souffle fatal dans son dos, il chercha à se retourner. Mais il se balançait déjà dans les airs entre les serres d'un vieux hibou.

En regardant on ne voyait rien. Tout dans le jardin était poésie et divine tranquillité.

La kermesse de la mort avait commencé au crépuscule. Maintenant elle était au paroxysme de sa frénésie. Et elle continuerait jusqu'à l'aube. Partout ce n'était que massacre, supplice, tuerie. Des scalpels défonçaient des crânes, des crochets brisaient des jambes, fouillaient dans les viscères, des tenailles soulevaient les écailles, des poinçons s'enfonçaient, des dents trituraient, des aiguilles inoculaient des poisons et des anesthésiques, des filets emprisonnaient, des sucs érosifs liquéfiaient des esclaves encore vivants.

Depuis les minuscules habitants des mousses : les rotifères, les tardigrades, les amibes, les tecamibes, jusqu'aux larves, aux araignées, aux scarabées, aux mille-pattes, oui, oui, jusqu'aux orvets, aux scorpions, aux crapauds, aux taupes, aux hiboux, l'armée sans fin des assassins de grand chemin se déchaînait dans le carnage, tuant, torturant, déchirant, éventrant, dévorant. Comme si, dans une grande ville, chaque nuit, des dizaines de milliers de malandrins assoiffés de sang et armés jusqu'aux dents sortaient de leur tanière, pénétraient dans les maisons et égorgeaient les gens pendant leur sommeil.

Là-bas dans le fond, le Caruso des grillons vient de se taire à l'improviste, gobé méchamment par une taupe. Près de la haie la petite lampe de la luciole broyée par la dent d'un scarabée s'éteint. Le chant de la rainette étouffée par une couleuvre devient un sanglot. Et le petit papillon ne revient plus battre contre les vitres de la fenêtre éclairée : les ailes douloureusement froissées il se contorsionne dans l'estomac d'une chauve-souris.

Terreur, angoisse, déchirement, agonie, mort pour mille et mille autres créatures de Dieu, voilà ce qu'est le sommeil nocturne d'un jardin de trente mètres sur vingt. Et c'est la même chose dans la campagne environnante, et c'est toujours la même chose au-delà des montagnes environnantes aux reflets vitreux sous la lune, pâles et mystérieuses. Et dans le monde entier c'est la même chose, partout, à peine descend la nuit : extermination, anéantissement et carnage. Et quand la nuit se dissipe et que le soleil apparaît, un autre carnage commence avec d'autres assassins de grand chemin, mais une égale férocité. Il en a toujours été ainsi depuis l'origine des temps et il en sera de même pendant des siècles, jusqu'à la fin du monde.

Marie s'agite dans son lit, avec des petits grognements incompréhensibles. Et puis, de nouveau elle écarquille les yeux, épouvantée.

- Carlo, si tu savais quel horrible cauchemar je viens de faire. J'ai rêvé que là-dehors, dans le jardin, on était en train d'assassiner quelqu'un.

- Allons, tranquillise-toi un peu, ma chérie, je vais venir me coucher moi aussi.

- Carlo, ne te moque pas de moi, mais j'ai encore cette étrange sensation, je ne sais pas, moi, c'est comme si dehors dans le jardin il se passait quelque chose.

- Qu'est-ce que tu vas penser là...

- Ne me dis pas non, Carlo, je t'en prie. Je voudrais tant que tu jettes un coup d'œil dehors.

Il secoue la tête et sourit. Il se lève, ouvre la fenêtre et regarde.

Le monde repose dans une immense quiétude, inondé par la lumière de la lune. Encore cette sensation d'enchantement, encore cette mystérieuse langueur.

- Dors tranquille, mon amour, il n'y a pas âme qui vive dehors, je n'ai jamais vu une telle paix.


Ceci pour témoigner de diverses choses :
Qu'effectivement le poids de la vie est une question de point de vue, et de "hauteur".
Que la subjectivité des sensibilités ne les rends pas pour autant ridicules.
Qu'être pour la libération animale ne rend pas moins lucide sur les réalités du monde sauvage.
Qu'il y a un gouffre entre la mort par nécessité, et sa rationalisation mercantile.
 
Un petit texte des Fabulous Trobadors que j'aime bien. J'ai déjà du le mettre quelque part sur le forum, mais tant pis.
Un jour, sur la Ligne Imaginot, j'ai rencontré un sage qui avait donné une épreuve à trois de ses disciples. << Allez attraper un coq sauvage, tuer le, et rapportez-le moi. Mais attention, il faut que personne, absolument personne ne vous voit le tuer. >>
Deux des disciples, avant de renoncer à tout pour venir chercher la sagesse sur la ligne, avaient connu la réussite. L'un s'était enrichi dans les affaires, l'autre avait fait l'ENA et avait suivi une brillante carrière politique. Ils partirent et revinrent quelques heures après avec leur victime.
Le troisième, un homme qui avait longtemps fait la route, s'est intéressé à tous les peuples du monde, qui avait appris de nombreuses langues, ne revint que trois jours après et avec son coq toujours vivant. << Que c'est-il passé ? >> lui demanda le sage. << Et bien j'ai attrapé le coq, je suis aller m'enfermer dans ma cabane pour lui tordre le cou, mais j'ai pas réussi. Alors je suis allé dans la forêt mais j'ai pas réussi non plus. Alors j'ai pris ma barque, je suis allé loin sur la mer, mais partout où j'allais, partout où j'étais, partout le coq me regardait. >>
 
C'est excellent, Barbux! :) Et oui, tu l'avais déjà posté.
 
V3nom":11t8nl90 a dit:
Alors ce n'est pas un poème, et ce n'est pas spécialement joyeux, mais ça me semble approprié, il s'agit de "Douce nuit" de Dino Buzzati

buzzati.gif


Elle eut dans son sommeil, un faible gémissement.

À la tête de l'autre lit, assis sur le divan, il lisait à la lumière concentrée d'une petite lampe. Il leva les yeux. Elle eut un léger frémissement, secoua la tête comme pour se libérer de quelque chose, ouvrit les paupières et fixa l'homme avec une expression de stupeur, comme si elle le voyait pour la première fois. Et puis elle eut un léger sourire.

- Qu'y a-t-il, chérie ?

- Rien, je ne sais pas pourquoi mais je ressens une espèce d'angoisse, d'inquiétude...

- Tu es un peu fatiguée du voyage, chaque fois c'est la même chose et puis tu as un peu de fièvre, ne t'inquiète pas, demain ce sera passé.

Elle se tut pendant quelques secondes, en le fixant toujours, les yeux grands ouverts. Pour eux, qui venaient de la ville, le silence de la vieille maison de campagne était vraiment exagéré. Un tel bloc hermétique de silence qu'il semblait qu'une attente y fût cachée, comme si les murs, les poutres, les meubles, tout, retenaient leur respiration.

Et puis elle dit, paisible :

- Carlo, qu'y a-t-il dans le jardin ?

- Dans le jardin ?

- Carlo, je t'en prie, puisque tu es encore debout, est-ce que tu ne voudrais pas jeter un coup d'œil dehors, j'ai comme la sensation que...

- Qu'il y a quelqu'un ? Quelle idée. Qui veux-tu qu'il y ait dans le jardin en ce moment ? Les voleurs ? Et il rit. Ils ont mieux à faire les voleurs que de venir rôder autour de vieilles bicoques comme celle-ci.

- Oh ! je t'en prie, Carlo, va jeter un coup d'œil.

Il se leva, ouvrit la fenêtre et les volets, regarda dehors, resta stupéfait. Il y avait eu de l'orage l'après-midi et maintenant dans une atmosphère d'une incroyable pureté, la lune sur son déclin éclairait de façon extraordinaire le jardin, immobile, désert et silencieux parce que les grillons et les grenouilles faisaient justement partie du silence.

C'était un jardin très simple : une pelouse bien plane avec une petite allée aux cailloux blancs qui formait un cercle et rayonnait dans différentes directions : sur les côtés seulement il y avait une bordure de fleurs. Mais c'était quand même le jardin de son enfance, un morceau douloureux de sa vie, un symbole de la félicité perdue, et toujours, dans les nuits de lune, il semblait lui parler avec des allusions passionnées et indéchiffrables.

Au levant, à contre-jour et sombre par conséquent, se dressait une barrière de grands charmes taillée en arches, au sud une haie basse de buis, au nord l'escalier qui menait au potager, au couchant la maison. Tout reposait de cette façon inspirée et merveilleuse avec laquelle la nature dort sous la lune et que personne n'est jamais parvenu à expliquer. Cependant, comme toujours, le spectacle de cette beauté expressive qu'on peut contempler bien sûr, mais qu'on ne pourra jamais faire sienne, lui inspirait un découragement profond.

- Carlo appela Maria de son lit, inquiète, en voyant qu'il restait immobile à regarder. Qui est là ?

Il referma la fenêtre, laissa les volets ouverts et il se retourna :

- Personne, ma chérie. Il y a une lune formidable. Je n'ai jamais vu une semblable paix.

Il reprit son livre et retourna s'asseoir sur le divan.

Il était onze heures dix.

À ce moment précis, à l'extrémité sud-est du jardin, dans l'ombre projetée par les charmes, le couvercle d'une trappe dissimulée dans l'herbe commença à se soulever doucement, par à-coups, se déplaçant de côté et libérant l'ouverture d'une étroite galerie qui se perdait sous terre. D'un bond un être trapu et noirâtre en déboucha, et se mit à courir frénétiquement en zigzag.

Suspendu à une tige un bébé sauterelle reposait, heureux, son tendre abdomen vert palpitait gracieusement au rythme de sa respiration. Les crochets de l'araignée noire se plongèrent avec rage dans le thorax, et le déchirèrent. Le petit corps se contorsionna, détendant ses longues pattes postérieures une seule fois. Déjà les horribles crocs avaient arraché la tête et maintenant ils fouillaient dans le ventre. Des morsures jaillit le suc abdominal que l'assassin se mit à lécher avidement.

Tout à la volupté démoniaque de son repas, il n'aperçut pas à temps une gigantesque silhouette sombre qui s'approchait de lui par-derrière. Serrant encore sa victime entre ses pattes, l'araignée noire disparut à jamais entre les mâchoires du crapaud.

Mais tout, dans le jardin, était poésie et calme divin.

Une seringue empoisonnée s'enfonça dans la pulpe tendre d'un escargot qui s'acheminait vers le jardin potager. Il réussit à parcourir encore deux centimètres avec la tête qui lui tournait, et puis il s'aperçut que son pied ne lui obéissait plus et il comprit qu'il était perdu. Bien que sa conscience fût obscurcie, il sentit les mandibules de la larve assaillante qui déchiquetaient furieusement des morceaux de sa chair, creusant d'affreuses cavernes dans son beau corps gras et élastique dont il était si fier.

Dans la dernière palpitation de son ignominieuse agonie il eut encore le temps de remarquer, avec une lueur de réconfort, que la larve maudite avait été harponnée par une araignée-loup et lacérée en un éclair.

Un peu plus loin, tendre idylle. Avec sa lanterne, allumée par intermittence au maximum, une luciole tournaillait autour de la lumière fixe d'une appétissante petite femelle, languissamment étendue sur une feuille. Oui ou non ? Oui ou non ? Il s'approcha d'elle, tenta une caresse, elle le laissa faire. L'orgasme de l'amour lui fit oublier à quel point un pré pouvait être infernal une nuit de lune. Au moment où il embrassait sa compagne, un scarabée doré d'un seul coup l'éventra irrévocablement, le fendant de bout en bout. Son petit fanal continuait à palpiter implorant, oui ou non ? que son assaillant l'avait déjà à moitié englouti.

À ce moment-là il y eut un tumulte sauvage à un demi-mètre de distance à peine. Mais tout se régla en quelques secondes. Quelque chose d'énorme et de doux tomba comme la foudre d'en haut. Le crapaud sentit un souffle fatal dans son dos, il chercha à se retourner. Mais il se balançait déjà dans les airs entre les serres d'un vieux hibou.

En regardant on ne voyait rien. Tout dans le jardin était poésie et divine tranquillité.

La kermesse de la mort avait commencé au crépuscule. Maintenant elle était au paroxysme de sa frénésie. Et elle continuerait jusqu'à l'aube. Partout ce n'était que massacre, supplice, tuerie. Des scalpels défonçaient des crânes, des crochets brisaient des jambes, fouillaient dans les viscères, des tenailles soulevaient les écailles, des poinçons s'enfonçaient, des dents trituraient, des aiguilles inoculaient des poisons et des anesthésiques, des filets emprisonnaient, des sucs érosifs liquéfiaient des esclaves encore vivants.

Depuis les minuscules habitants des mousses : les rotifères, les tardigrades, les amibes, les tecamibes, jusqu'aux larves, aux araignées, aux scarabées, aux mille-pattes, oui, oui, jusqu'aux orvets, aux scorpions, aux crapauds, aux taupes, aux hiboux, l'armée sans fin des assassins de grand chemin se déchaînait dans le carnage, tuant, torturant, déchirant, éventrant, dévorant. Comme si, dans une grande ville, chaque nuit, des dizaines de milliers de malandrins assoiffés de sang et armés jusqu'aux dents sortaient de leur tanière, pénétraient dans les maisons et égorgeaient les gens pendant leur sommeil.

Là-bas dans le fond, le Caruso des grillons vient de se taire à l'improviste, gobé méchamment par une taupe. Près de la haie la petite lampe de la luciole broyée par la dent d'un scarabée s'éteint. Le chant de la rainette étouffée par une couleuvre devient un sanglot. Et le petit papillon ne revient plus battre contre les vitres de la fenêtre éclairée : les ailes douloureusement froissées il se contorsionne dans l'estomac d'une chauve-souris.

Terreur, angoisse, déchirement, agonie, mort pour mille et mille autres créatures de Dieu, voilà ce qu'est le sommeil nocturne d'un jardin de trente mètres sur vingt. Et c'est la même chose dans la campagne environnante, et c'est toujours la même chose au-delà des montagnes environnantes aux reflets vitreux sous la lune, pâles et mystérieuses. Et dans le monde entier c'est la même chose, partout, à peine descend la nuit : extermination, anéantissement et carnage. Et quand la nuit se dissipe et que le soleil apparaît, un autre carnage commence avec d'autres assassins de grand chemin, mais une égale férocité. Il en a toujours été ainsi depuis l'origine des temps et il en sera de même pendant des siècles, jusqu'à la fin du monde.

Marie s'agite dans son lit, avec des petits grognements incompréhensibles. Et puis, de nouveau elle écarquille les yeux, épouvantée.

- Carlo, si tu savais quel horrible cauchemar je viens de faire. J'ai rêvé que là-dehors, dans le jardin, on était en train d'assassiner quelqu'un.

- Allons, tranquillise-toi un peu, ma chérie, je vais venir me coucher moi aussi.

- Carlo, ne te moque pas de moi, mais j'ai encore cette étrange sensation, je ne sais pas, moi, c'est comme si dehors dans le jardin il se passait quelque chose.

- Qu'est-ce que tu vas penser là...

- Ne me dis pas non, Carlo, je t'en prie. Je voudrais tant que tu jettes un coup d'œil dehors.

Il secoue la tête et sourit. Il se lève, ouvre la fenêtre et regarde.

Le monde repose dans une immense quiétude, inondé par la lumière de la lune. Encore cette sensation d'enchantement, encore cette mystérieuse langueur.

- Dors tranquille, mon amour, il n'y a pas âme qui vive dehors, je n'ai jamais vu une telle paix.


Ceci pour témoigner de diverses choses :
Qu'effectivement le poids de la vie est une question de point de vue, et de "hauteur".
Que la subjectivité des sensibilités ne les rends pas pour autant ridicules.
Qu'être pour la libération animale ne rend pas moins lucide sur les réalités du monde sauvage.
Qu'il y a un gouffre entre la mort par nécessité, et sa rationalisation mercantile.

C'est un super texte, quelqu'un l'avait déjà envoyé, Wali, je crois. Ce texte est d'une cruauté terriblement magnifique, la quintessence de mon sentiment. Je suis en extase devant tant d'acuité.
 
Je vous laisse ici mon premier pour la cause animale...



Bile d'agonie,

(Aux ours de Chine, enfermés pour pouvoir extraire leur bile dans de sordides fermes, au nom de la médecine traditionnelle Chinoise. Et plus particulièrement à cette mère ours qui a tué son petit avant de se donner la mort pour mettre fin à l'atrocité.)


C'est deux fois par jour que l'on tire,
De mon ventre ouvert sur l'horreur,
Un peu de ma bile que je sens partir
Comme ma vie. Une vie de douleur.

Enfermé dans une cage d'écrasement
Si petite que je ne peux pas bouger,
Un gilet de métal protège efficacement
Mon abdomen des coups portés.

On ne me frappe plus. J'ai pris le relais.
Alors on m'a posé cette armature de fer
Qui veille à ce que mon infectée plaie
Reste bien ouverte autour du cathéter.

C'est deux fois par jour que l'on me tue
Mais jamais je ne meurs. J'endure tant...
Râles sous la sonde ! Barreaux mordus !
C'est l'agonie que l'on extrait lentement.

Cet homme ne saura jamais le calvaire
Que cela est de vivre tant d'années
Transpercé pour le besoin biliaire
D'une médecine chinoise dépassée !

D'entre nous, dans cette horrible ferme,
Beaucoup ne tiendront pas la semaine.
Ils seront remplacés, devenant à terme
Un met de choix, vendu cher, une aubaine.

D'autres oursons viendront à leur place,
Forcés, maltraités, mutilés, enfermés !
Comme toi mon enfant dont je sens l'angoisse
Quand cet humain vient pour te mutiler.

Ô ma force ! Ô mon courage de mère !
Détruite ma cage ! Renversée ma peine !
C'est dans une étreinte mortelle, amère,
Que je te sert jusqu'à la mort, sereine...

Oui sereine, car tu n'es plus et ne souffrira pas.
C'est ainsi que je cours de toute ma force,
Défoncer mon crâne contre le mur du trépas,
Mettre fin à la souffrance. A la douleur atroce.

Lucy Dayrone, 2013
 
Retour
Haut