Du grain à moudre dans
https://scenesdelavisquotidien.com/2016/08/30/vers-la-justice-de-genre/#more-492
Par John Stoltenberg.
"La masculinité n’est pas, comme certains l’ont dit, un vague ensemble de « qualités » (comme « l’ambition », « la force », « le courage », ou « la compétitivité »). La masculinité n’est pas non plus un « rôle » abstrait qui peut être « joué » ou « non joué », ou que deux personnes quelles qu’elles soient peuvent endosser tour à tour. Ce qui est désigné par le mot masculinité découle de la réalité objective, la réalité de nos vies dans le patriarcat, du fait que tous les membres de la classe de genre des hommes sont autorisés à tirer leur sentiment de soi en postulant son absence pour la classe de genre des femmes, à ressentir leur valeur en affirmant l’absence de valeur des femmes, et à tirer leur pouvoir social du maintien des femmes dans l’impuissance. La masculinité est ce sentiment de soi, ce sentiment de valeur, ce droit au pouvoir, qui échoit à tout homme en raison de l’assujettissement global des femmes. Ainsi, la masculinité, cette construction culturelle de l’identité humaine, est antithétique à la justice de genre.
Et, pour faire court : la masculinité est immorale."
"Mais je crois qu’il y a quelques hommes génitaux qui sont persuadés que le problème de la société est son injustice sexiste et que ce qui est inacceptable dans leur vie est leur complicité avec cette injustice. Et j’imagine que ces quelques hommes génitaux pourraient s’engager dans les deux projets suivants :
Un. J’imagine qu’un homme génital pourrait commencer, avec une sorte d’humilité, à lire et à étudier les textes féministes, une étude qui, à temps plein, pourrait prendre une année ou plus. Je pense qu’il n’est pas possible de prendre au sérieux les vies des femmes si l’on ignore ce que signifie supporter le fardeau réel de l’agression masculiniste. Et les femmes ont relayé beaucoup d’informations qui démentent complètement tous les clichés du mouvement de libération des hommes, tels que « Les hommes sont victimes, eux aussi ». Il est temps que les hommes génitaux comprennent que le chemin vers la justice de genre n’est pas pavé d’aphorismes complaisants sur « la personnalité fondamentale des hommes et des femmes ». Le fait est que les vies des hommes et les vies des femmes sont différentes parce que, dès la naissance, hommes et femmes vivent dans des conditions sociales entièrement différentes. Et les hommes génitaux ne peuvent pas présumer comprendre les conditions dans lesquelles les femmes sont obligées de vivre leurs vies par des analogies imaginaires avec les soucis privilégiés des hommes.
Deux. Dans le même temps, j’imagine qu’un homme génital pourrait commencer à vivre en tant qu’objecteur de conscience à tous les scénarios de connivence masculine – refuser de coopérer avec tous les schémas entendus où, lorsque deux hommes se rencontrent, ils se doivent de respecter leur masculinité réciproque et d’excuser leur pouvoir réciproque sur les femmes. Et j’imagine que, pendant cette période de destruction consciencieuse de la connivence, un homme génital pourrait découvrir à quel point effroyable les amitiés et les alliances masculines s’appuient sur la compréhension intime que « nous sommes des hommes, pas des femmes, et donc nous nous préférons ». Je ne sous-estime pas le choc qui accompagnera cette prise de conscience : quand un homme génital découvre que les échanges en apparence anodins entre lui et un autre homme génital peuvent se transformer tout d’un coup en un pacte tacite contre les femmes, et que, tout ce qu’il a toujours été programmé à souhaiter dans ses relations aux hommes est fondamentalement lié à un processus qui maintient les femmes opprimées. Ce qui est nécessaire, c’est que les hommes génitaux trahissent les présomptions de leur classe de genre – ostensiblement, tactiquement et sans compromis. Agir autrement, c’est à mon avis trahir chaque femme ayant un jour dit qu’elle n’est pas libre.
Voici, je pense, deux voies dans lesquelles un homme pourrait s’engager pour commencer à vivre différemment : en étudiant des textes féministes et en résistant aux connivences masculinistes. Et je pense que ces deux choix ne sont qu’un début.
Au bout du compte, peut-être, certains hommes génitaux pourraient participer à la lutte contre l’injustice sexiste en tant qu’alliés honnêtes des femmes féministes. Mais à ce jour, une chose est claire : aucun de nous ne peut présumer que nous en avons assez fait dans nos propres vies pour éradiquer notre allégeance à la masculinité. Si nous ne changeons pas, nous ne pouvons pas prétendre être camarades avec les femmes. À moins d’un tel changement, l’oppresseur, c’est nous."