Sont-ils "satisfaits" ?

V3nom

Moulin à graines
Inscrit
17/2/12
Messages
10 258
Score de réaction
42
Localité
Tours (37)
Bon je m'attends à ce que ce sujet soit un coup d'épée dans l'eau, mais j'ai envie de partager ce fruit mental qui mûrit petit à petit dans mon bocal depuis quelques temps déjà.

Je ne sais pas si vous avez constaté la petite mode, notamment sur youtube, des vidéos dites "satisfaisantes", traduction pas très heureuse des équivalentes américaines (plus anciennes) où il s'agit de regarder un truc, souvent tout à fait anodin et sans sujet autre que ce qui est filmé, dans une optique "feel good", "enjoying" et autre "good mood".
(vidéos dans lesquelles on pourrait mettre l'ASMR même si ce n'est pas le même objectif et que c'est loin de se cantonner à ceci pour les "satisfaisantes")

Entre la personne qui fait des mix de paniers qui rentrent pile poil, des hand spinners qui durent des plombes, des trucs divers et variés qui "marchent pile comme il faut", se passe sans encombre ou sont juste beau et contemplatifs, bref... tout est prétexte à aller rechercher un peu de soulagement dans des petits trucs tout simples mais qui font se sentir mieux.

Du coup le questionnement qui grandit chez moi est en 2 temps.

1 - Pour la faire méga courte : Plus ça va et plus j'ai l'intime conviction que l'espèce humaine (en tout cas dans son environnement le plus préservé, occidental, riche, etc) s'est débarrassé tellement vite de ses sources de périls, ses ennemis et ses situations de danger que je commence à envisager le fait que ça lui "manque" littéralement, physiologiquement et physiquement. (d'où les comportements suicidaires, dits "à risque", la colère à tort et à travers et tous les mécanismes de défense encore très présents mais devenus tellement hors de propos)

2 - Du coup, lié à ce "manque", je pense que les humains ont tendance à se rechercher du danger, notamment chez les plus jeunes, souvent en quête de limites associé à la dynamique d'entrainement de groupe et la compétition outrancière.
Et quoi de plus emblématique du danger que la figure de l'ennemi ? Et quoi de plus à la fois séduisant et facile que de s'en inventer parmi ses pairs (donc des ennemis "à la hauteur", plutôt que des punching balls qui ne peuvent répondre, c'est d'ailleurs pour ça qu'ignorer un enragé de la rhétorique est généralement ce qu'il y a de plus efficace pour qu'il se calme), et avec des signes distinctifs plus ou moins reconnaissables de loin. (à commencer par la couleur de peau, jusqu'au comportement qui n'est pas dans la norme.

Le point commun de ces 2 branches m'amène ces derniers temps à penser en terme de "satisfaction" du coup, de recherche pulsionnelle de l'assouvissement le plus rapide et irréfléchi, qu'on observera sans difficulté dans les passages à tabac, les agressions diverses ou les viols qui, au delà de la recherche de marquage de domination, donne au moins de façon fugace et instantané un "shoot" de satisfaction.

Et j'en vient à son pendant internet qui se traduit par, apparemment pour certains, de quelque bord politique ou militant que ce soit, une recherche perpétuelle et jamais totalement assouvie de satisfaction par la confrontation pour le moindre prétexte (du raciste bas du front au misogyne le plus affirmé en passant par les "social justice warriors" ou même ces fameux véganes extrêmes agressifs dont on nous rebat les oreilles à longueur de journée)

Les êtres vivants (du règne animal en tout cas) étant globalement tous par nature en recherche de fuite de tout ce qui est désagréable ET en recherche d'expériences agréables le plus facilement possible.
Étant donné que nous sommes dans des sociétés où la frustration fait partie du marché du travail, de la politique consumériste et des discours politiques bafoués en permanence depuis au moins 40 ans de façon systématique maintenant au moins en france.

Tout ceci participe d'un encouragement de plus en plus massif à l'expression de la confrontation la plus primaire, primale même, souvent sans autre forme de réflexion. Du crachat de venin pure et simple, aussi gratuit qu'instantané, et qui je pense s'auto-nourrit car ça doit quand même faire un petit bien fugace comme une v basse vengeance, mais comme ça ne dure pas et que c'est souvent dirigé ver un total inconnu qui n'est pas concerné par le sujet prétexte, j'ai l'impression d'observer une véritable addiction physique à cette dynamique...

Voilà, je n'ai pas tellement plus développé ça dans ma tête, je n'ai ni conclusion ni voie de recherche pour tenter de contrebalancer ça à part en parler directement avec les premiers concernés, juste une réflexion comme il m'en vient souvent, parfois qui repartent vite, mais d'autres qui restent et semblent se vérifier avec le temps... Ce qui ne me satisfait pas du tout en général pourtant. u_u

PS : je n'ai pas abordé plein de sujets annexes mais qui entrent en compte, comme la fabrication du concept d'étranger, l'invention de la figure du monstre et son entretien dans les médias, les rapports de domination eux-même se nourrissant de ce dont je parle, les mécanismes internes des effets de groupe, du conformisme, etc... (flemme là tout de suite :p)
 
Un petit élément que j'ai oublié qui est assez présent dans ma grille d'analyse des discours à tendance conservateurs (et privilégiés) : l'affirmation (souvent très satisfaisante pour l'émetteur donc ^^) péremptoire d'une vérité sans source (sérieuse et indé), sans étude, sans vérification et parfois même sans réflexion logique avant de la sortir a pour moi tous les attributs du souhait.

Un exemple que j'ai lu il y a pas longtemps : "seuls les humains sont capable de romantisme".

Au delà de la question infiniment subjective sur ce qu'est ou devrait être le romantisme, je doute que quiconque sur la planète ne soit en mesure d'affirmer avec honnêteté que oui ou non, seul les humains sont capables de romantisme.
Une personne affirmant une chose de cet ordre (sachant qu'il faudrait être télépathe et xéno-luinguiste pour le savoir) formule donc une préférence personnelle dont les alternative sont tellement refusée voire impensables et impossible à envisager qu'on est dans le domaine du souhait pur, très loin de la spéculation raisonnable posée avec humilité.

Et si la personne est persuadée de la véracité de son affirmation, étayée par des articles ou spots qui avaient l'air justes (massivement d'origines médiatiques), on touche du doigt la sphère de la croyance.

J'imagine donc qu'émettre un souhait posé comme vérité absolue (souvent véhiculé avec véhémence et vindicte, bonus allitération :p) aide à se sentir mieux. (une réponse agressive à une perspective effrayante)

Et j'avoue prendre un malin plaisir à essayer de déterminer dans quel champ de pensé mon contradicteur se trouve quand il me sort le bingo du carniste ou de l'anti-féministe.

"Mais quand tu dis ça, tu as des preuves ou tu espère que c'est vrai ?
-Ils l'ont dit à [trucmuche]
-Et donc ils ont raison ?
-Ha bin après je suis pas allé vérifier
-Ha donc tu formule le souhait que ce soit vrai
-Oui si tu veux... En tout cas j'espère que c'est pas comme tu le dis !"

On est souvent d'accord sur ce point ^^

Et puis accepter le fait qu'on s'est trompé, qu'on fait fausse route, notamment sur un sujet aussi immense que le sexisme, le racisme ou le spécisme, c'est en même temps reconnaitre le fait d'avoir été berné, notamment par toutes les instances politiques dont la personne a probablement participé à l'élection. (et ça, je comprends que ça en rajoute un couche qui pique)

Rester dans ses œillères fait du bien, fait se sentir mieux quand on a vu le coin d'un truc dégueulasse juste au dehors, et puis accessoirement ça permet de justifier le fait de ne rien faire pour que ça change puisqu'il n'y a rien à changer quand on refuse de regarder.

C'est pas facile de rendre l'éthique et le changement sexy quand l'ignorance et la zone de confort sont aussi séduisants et satisfaisants.
 
Ta réflexion est assez intéressante, mais e ne comprends pas que tu l'introduises sur le sujet des vidéo de "satisfaction". Je ne situe par très bien le rapport entre ça et le reste de ton développement.
 
Oui je comprends que ça soit confus. Il n'y a aucun liens de causalité entre les 2, mais une corrélation.
Disons que pour moi, la mode actuelle des "vidéos satisfaisante" est le symptôme le plus récent, facilement visible et partagé même, et un peu "jusqu’au-boutiste" dans cette recherche perpétuelle de réconfort le plus régressif et instantané.
(régressif n'étant ni bien ni mal ici, mais c'est une donnée qui n'est pas anodine)
 
Je constate aussi une montée des comportements de compétition. Il me semble que c'est assez lié aux transformations du monde professionnel, à la généralisation d'une morale utilitariste, etc. Bien qu'il subsiste encore des formes de solidarité ou même des relations de don plus ou moins institutionnalisées (ex. la sécurité sociale ! Pour combien de temps?).
Il faudrait voir aussi comment l'incertitude statutaire (qui elle aussi se généralise) chez certaines personnes les conduit à rechercher des formes de réconfort, des échanges pacifiés ou des lieux dans lesquels sont reproduites sans discordance leurs propres croyances.
Tout cela se traduit certainement dans les usages d'Internet.
 
C'est certain que le communautarisme (qui n'est pas un mal ne soi) voire une forme de tribalisme (là en revanche, dans son assertion fachisante) est massif sur et par le biais d'internet.

La doxa étant cimentée par un discours brandissant le "big bad world" à toutes les sauces, avec ce bien pratique "sentiment d'insécurité" (qui fonctionne même sans insécurité réelle, magnifique exemple de l'ère post vérité).

Tous les ingrédients sont là pour faire d'une population un cheptel docile principalement affairés à chercher des réconforts pulsionnels et inoffensifs.
Ce qui va d'ailleurs merveilleusement de pair avec la question de la culture réduite à la question artistique, et la question artistique dépouillée de toute intention et lecture politique.

Du pain et des jeux...
 
Retour
Haut