Stratégies: De l’appel à la vertu à l’exigence de justice pour les animaux

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Élève des carottes
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Je viens de lire ce texte très intéressant de Pierre Siegler:
http://abolitionduveganisme.blogspot.gr/

L'idée principale est de laisser tomber les stratégies végétaristes (=devenez végane) pour adopter des stratégies politiques de revendications pour les animaux(=interdisons les abattoirs).

extraits: "L’exigence de justice (ndlr: interdire les abattoirs) s’exerce à l’échelon collectif. Il s’adresse aux citoyens. L’appel à la vertu (ndlr: convaincre les gens de devenir véganes) s’exerce à l’échelon individuel. Il s’adresse aux personnes privées : consommateurs, donateurs, croyants, disciples…"

" Par définition, l’exigence de justice énonce des obligations (« il faut interdire l’excision », « il faut mettre fin aux discriminations contre les étrangers »). Alors qu’en règle générale, les actes qu’encourage l’appel à la vertu sont surérogatoires, c’est-à-dire qu’ils vont au-delà de nos obligations morales. Donner à une œuvre de charité est considéré comme une chose bonne, mais pas comme une obligation morale. Acheter des produits issus de l’agriculture biologique ou du commerce équitable est considéré comme moralement bon, mais acheter des produits issus de l’agriculture et du commerce conventionnels n’est pas perçu comme immoral.

C’est logique : si un acte est vraiment condamnable, on doit vouloir l’interdire. Si on donne juste des recommandations, c’est que l’on ne pense pas qu’il soit légitime de l’interdire. Ou qu’on croit l’interdiction irréalisable."

Bref, c'est très important de le lire.
 
Il s'adresse a qui ? Il critique quelle asso exactement ? Parce que ca donne l'impression qu'il mene une fronde revolutionnaire au sein du mouvement vege, mais on sait pas trop qui ca vise.
Apres, j'avoue que je ne crois connaitre que des vege etant en faveur de l'abolition des abattoirs et pas de la seule conversion individuelle (les deux se completant par ailleurs), donc j'ignore vraiment de quoi il est question (et puis j'avoue que l'eloignement de la France doit jouer aussi).
 
Apparemment il critique les véganes en générale et non une asso en particulier.
Il prend pour exemple les véganes qui critiquaient L214 qui incitait les gens à ne plus consommer d'oeufs issue d'élevages en batterie.
Sinon, je suis plutôt d'accord avec lui, il vau mieux faire progresser la législation et les institutions que de se fatiguer stérilement à convertir "à l'unité".
Je continuerai tout de même à tenir tête aux carnistes, mais j'ai compris que convaincre un omnivore de changer sa mentalité était quasi impossible.
 
Ben j'sais pas, il dit qu'il y a une stratégie végétariste. S'il y a stratégie c'est qu'il y a bien un groupe qui met au point la stratégie, ou la met en branle, non ?
Et par exemple, les véganes qui critiquent L214, c'est qui ? Il s'est passé quoi avec L214 ?
Je suis vraiment étonnée. Je ne connais pas de végé et n'en ai jamais rencontré qui soit pour la conversion individuelle de chaque personne sans passer par la case législation et "grande échelle". Enfin si, mais des végé pour des raisons hygiénistes, alors ça s'explique. Ça m'interpelle qu'il y ait des végés qui ne croient pas dans la réforme institutionnelle pour changer les choses, ça n'a pas trop de sens :(
 
Fabicha":pw3hizoy a dit:
Ça m'interpelle qu'il y ait des végés qui ne croient pas dans la réforme institutionnelle pour changer les choses, ça n'a pas trop de sens :(

Nope ce n'est pas vraiment ce qu'il dit!

Bon j'ai pas tout lu mais si j'ai bien compris :

Il estime que le végétarisme est contre productif dans son existence même. Le végétarisme est une initiative individuelle et le fait que ça soit quelque chose de personne valide en quelques sortes les autres régimes alimentaires dont le régime omnivore. Il dit que le régime végétarien est un appel à la vertu : "Ne mangez pas d'animaux car cela est mal" En gros le végétarisme dénonce un comportement non moral : ce qui légitimisme les autres comportements.

Les autres comportements (=manger de la viande) ne sont pas moral mais légitimes quand même, on ne les dénonce pas comme illégaux.

si un acte est vraiment condamnable, on doit vouloir l’interdire. Si on donne juste des recommandations, c’est que l’on ne pense pas qu’il soit légitime de l’interdire. Ou qu’on croit l’interdiction irréalisable
 
C'est pas la première fois que je tombe sur les écrits de ce monsieur. Sur le principe, je suis d'accord avec lui. Mais dans la pratique, ça me parait pour le moment totalement utopique. Comme il le dit lui-même, je serais plutôt du genre à "donner des recommandations" car je crois l'interdiction impossible. Pour le moment. Tout comme je ne condamne pas le welfarisme parce que je le vois comme un premier pas, une étape vers l'abolitionnisme. Car, même si je comprends tout à fait qu'on veuille l'abolitionnisme là, tout de suite, maintenant, je pense qu'il faut laisser le temps au temps. Même si c'est d'une certaine manière intolérable et insupportable, car pendant ce temps-là des milliards d'animaux meurent.
 
[Edit : Mon commentaire est long. Je voulais faire plus court. Désolé.]

Je ne pense pas qu'il faille y voir une critique d'une asso en particulier, mais peut-être plus le fait qu'on (nous, les végés, les véganes) parle beaucoup de "devenir végétarien", "pourquoi je suis végétarien", "pourquoi il faut devenir végétarien" et qu'on utilise moins souvent clairement et publiquement les expressions "fermeture des abattoirs", "abolition de la viande", voire "abolition de l'exploitation animale".

Sur les groupes FB notamment, ça se ressent pas mal quand tout le monde s'entretue pour savoir qui n'est pas assez végane. Ou quand on parle soudain d'abolition de la viande à un.e végé, et qu'iel répond "On est bien d'accord que l'abolition de la viande, ça n'arrivera jamais. Ca n'est juste pas possible parce que [liste d'arguments carnistes]. Et il faut laisser la liberté à chacun, etc.".
Alors que la symbolique dans l'expression même de "abolition de la viande" est bien plus forte que ce qu'on croît. On peut parler à un.e carniste qui trouvera tout un tas d'excuses pour ne pas se mettre au végétarisme (notamment "ça ne changera rien si j'arrête la viande", "je ne suis pas responsable, moi", "c'est comme l'écologie", "oui, mais t'es pas parfait.e non plus", etc.), mais qui se montrera soudain très intéressé.e en lui parlant de l'abolition de la viande. (Ca m'est arrivé.). Parce que ça change la perspective, ça donne un objectif.
Et quand quelqu'un intègre la notion d'abolition de la viande, son comportement et sa volonté de se mettre au végétarisme (et de soutenir la revendication aussi par d'autres stratégies que le boycott) s'en trouvent renforcés.

Et entre végés, quand on replace exactement le sens du végétarisme/véganisme dans l'objectif de l'abolition de la viande (c'est-à-dire : deux stratégies de boycott, avec leurs faiblesses et imperfections comme n'importe quel boycott, en complément d'autres stratégies, pour revendiquer et chercher à atteindre l'abolition de la viande.), c'est beaucoup plus facile de dissiper les engueulades sans fin façon mythe de la pureté.

Le discours fonctionne aussi face aux éleveurs, qui se mettent à débattre sincèrement du sujet (voire à défendre l'abolition et abandonner leur carrière). Alors que l'existence du végétarisme en lui-même n'est pas toujours suffisant pour qu'ils y voient un conflit. Il existe des végétarien.ne.s qui sont éleveur.se.s et n'envisagent pas d'abandonner leur carrière, parce qu'ils/elles pensent que l'élevage (et la consommation de viande) doivent perdurer, mais dans d'autres conditions.
Parler concrètement d'abolition de la viande change complètement la perspective (mais ça peut aussi intensifier la réaction de défense, évidemment).

Bref, c'est juste une réflexion pour ne plus hésiter à utiliser l'expression "abolition de la viande". Pour se forcer à ne pas se censurer. Pour les lecteurices qui le font déjà, l'article n'apportera pas grand chose. Mais il y a seulement quelques années, on osait beaucoup moins l'employer. (La première Marche pour la Fermeture des Abattoirs n'a que 3 ans. Et le noyau du truc, le plus gros rassemblement reste la France. Aux USA, il me semble que c'est surtout le discours "véganiste" donc focalisé sur "les vegans" qui fonctionne.)
Et peut-être qu'on ne le remarque plus trop, surtout sur vegeweb, parce que cette réflexion est déjà lancée depuis un moment.

Fabicha":u75l1tyn a dit:
Ben j'sais pas, il dit qu'il y a une stratégie végétariste. S'il y a stratégie c'est qu'il y a bien un groupe qui met au point la stratégie, ou la met en branle, non ?
Et par exemple, les véganes qui critiquent L214, c'est qui ? Il s'est passé quoi avec L214 ?
Sur Facebook, des gens sur des groupes de "véganes mythe de la pureté [de corps et d'esprit]" (- c'est mon appelation, hein, ils ne s'appellent pas comme ça- et il s'agit plutôt des gros groupes, de 10.000 personnes) qui déclarent que L214 n'est pas abolitionniste mais welfariste, donc qu'il ne faut pas les soutenir. Et qu'il ne faut pas aller aux Marche pour la Fermeture des Abattoirs parce que L214 organise la Marche, or L214 est welfariste et pas abo, donc la marche est welfariste et pas abo...

Fabicha":u75l1tyn a dit:
Je suis vraiment étonnée. Je ne connais pas de végé et n'en ai jamais rencontré qui soit pour la conversion individuelle de chaque personne sans passer par la case législation et "grande échelle". Enfin si, mais des végé pour des raisons hygiénistes, alors ça s'explique. Ça m'interpelle qu'il y ait des végés qui ne croient pas dans la réforme institutionnelle pour changer les choses, ça n'a pas trop de sens :(
Sur FB, on tombe parfois sur des veganars qui s'opposent fermement aux interdictions, donc à une législation pour abolir la viande.

Et surtout : Gary Francione. Il passe son temps à taper sur tout ce qui est réformiste (de manière quasi obsessionnelle), et le seul message militant qu'il transmet de manière répétitive est "S'il vous plaît, devenez végane." (traduction littérale). Il est également l'inventeur du mot "néo-welfariste" dont le but est de dénigrer les groupes abolitionnistes qui ont également une stratégie réformiste. Il est même allé commenter un blog pour l'abolition de la viande en expliquant que le mouvement pour l'abolition de la viande est nul parce que c'est welfariste (Je ne retrouve plus le truc...). La seule réforme législative qu'il soutiendra peut-être est la réforme ultime de libération des animaux, dont on ne sait pas encore à quoi elle devra ressembler.
Et paradoxalement, il se renvendique abolitionniste™ et son site s'appelle "Abolitionnist Approach" alors que tout son discours se consacre à la stratégie de la conversion et à faire la chasse à tous ceux qui ne se consacrent pas à la stratégie de la conversion.
 
Francione, je suis encore abonnée à sa page mais je le lis plus depuis belle lurette.
Un groupe FB végane de 10 000 personnes ? Français ? Sérieux ?
 
J'apprécie ton point de vue à ce sujet Pers0nne. Cependant me voilà dans l'embarras. Y a-t-il une seule solution qui fonctionne dans ce cas ? Je fréquente ces groupes "révolutionnaires", qui selon moi ne tournent pas autour de la pureté des dits véganes mais leur engagement centré uniquement sur les victimes ; et je comprends que ça énerve, irrite, agace qu'on promeuve le welfarisme et le réformisme à échelons, car beaucoup de suiveur/se/s de L214 par exemple restent de fermes spécistes convaincu-e-s du bien fondé de l'utilisation des animaux, et est discriminé ici le tort que ces réformes peuvent avoir dans le message qu'elles véhiculent (style, il faut moins taper les animaux, leur donner des cages plus grandes, arrêter les œufs de batterie..) ; on est loin de l'abolition et de la libération. Cependant, ça a du succès auprès des non-véganes, c'est un réseau en marche, et si les méthodes me déplaisent en ce qu'elles ne visent pas tout-de-suite-absolument-immédiatement la fin radicale de l'exploitation, il n'en reste pas moins que ça devient effectif. En dépit des victimes qui s'amassent tandis qu'on convainc untel ou unetelle de cesser tranquillement le lait and co. Ce qui embête les abos évidemment. Concrètement j'ai encore du mal à me placer à ce sujet, car je rejoins les mouvances abolitionnistes, mais en termes d'effectivité, j'ai peu d'espoir que le système se renverse d'un coup et devienne magiquement végane (hélas). En attendant, informer, sensibiliser les gens, chercher à grapiller de nouvelles têtes, c'est toujours ça de fait, et la baisse de demande en produits animaux aura forcément des conséquences, mais à quelle échelle... L'établissement d'une nouvelle législation et d'institutions ne tombera pas du ciel.

Sinon, article intéressant que je garde dans un coin pour une prochaine lecture, quand le temps et la motivation me permettront d'enchaîner autant de lignes.
 
Fabicha":39l5rcmu a dit:
Francione, je suis encore abonnée à sa page mais je le lis plus depuis belle lurette.
Un groupe FB végane de 10 000 personnes ? Français ? Sérieux ?
Un groupe de "végés, veganes, etc.", donc des tas de gens s'inscrivent, y compris des personnes pas encore végés qui ne participeront peut-être pas, mais la charte, les admins et ceux qui se font entendre sont surtout véganes.
Ceci dit, il y a aussi sur FB des groupes qui s'appellent "Les vegans de France" et "Les Vegans francophones" qui ont plus de 2500 membres.

LordGuiness, quand je parle de "pureté végane", personne ne se revendique de la "pureté végane" (à part les hygiénistes, donc des végétaliens, pas des véganes justement). Mais en pratique, c'est ce qui se passe. Les discours tournent tous autour de "Toi, tu fais pas ça bien ! Moi, je fais ça mieux !" à coup d'argument du genre "Hé ! A cause de toi qui traites les gens de gros cochons, y a des cochons qui meurent !" (J'invente. Mais l'idée étant que la moindre faiblesse tue, tout écart -quels que soient la nature et le degré- devient un drame.). Les débats prennent toujours cette forme là. Comme personne n'est parfait, parce que la société elle-même n'est pas parfaite, tout le monde s'engueule sans fin les uns les autres à cause de leurs imperfections réciproques qui tuent, au lieu de se concentrer sur les revendications au niveau de la société elle-même. Ca devient involontairement un comportement de "recherche de la pureté" (pureté de comportement, ou pureté d'idée, pureté de langage - et de préférence chez les autres).

Les spécistes convaincu.e.s du bien fondé de l'utilisation des animaux, sur la page de L214, je ne les ai jamais vu.e.s. Il y a parfois des commentaires carnistes, mais pas de personnes qui soutiennent L214 justement, et iels se font très rapidement remettre dans les clous. Je ne sais vraiment pas d'où vient cette critique, étant donné que L214 ne se cache pas de prôner l'abolition de la viande et de l'exploitation animale...

(Pour le reste de tes questions, je n'ai pas de réponses toutes faites, mais je pense que l'important, c'est de rester ouvert aux nouvelles idées pour améliorer les stratégies militantes. Pour moi, les pires sont les gens qui restent bloqués sur une seule vision des choses, en essayant uniquement de prouver par tous les moyens que les visions divergeantes sont mauvaises, sans même chercher à savoir/mesurer/constater l'efficacité de leurs modes de fonctionnement. Ca devient une pétition de principe, ça tue la réflexion, ça empêche d'avancer.)
 
Certes, peu s'en revendiquent même si dans les faits, ça finit souvent en engueulades à deux sous sur la rigueur de chacun-e. D'autres conflits sur des sujets différents me laissent susceptible également, bref. J'aime mieux l'idée de "pureté d'idée" plutôt que de comportement, ou plutôt, de complexe de supériorité. Toujours aller au bout sans la moindre faille. C'est discutable en effet, même si ces méthodes parfois virulentes se rabattent toujours à l'intérêt des victimes et non des consommateur/rice/s humain-e-s.

Oh j'en ai aperçu beaucoup, beaucoup beaucoup, des vingtaines à chaque publication de l'asso - entre éleveur/se/s prônant le bien-être animal, végétarien-ne-s refusant de voir les réalités de la production laitière, etc. Enfin, pas forcément des personnes certaines qu'exploiter, c'est bien, mais qui ne poussent pas plus loin la réflexion au-delà des prétendus besoins biologiques de l'humain à bouffer de la barbaque, ou leurs habitudes, leur bon goût. Et ayant mp L214 à ce sujet, je n'ai eu qu'une réponse évasive, en gros ils n'ont pas que ça à foutre (certes). D'où mon interrogation sur ce qu'ils veulent communiquer, autre que faire bobo aux animaux c'est pas cool.

Il y a encore un travail de recherche et d'évaluation que j'ai à faire, difficile de se construire un avis non biaisé parmi tous les "partis".
 
Il y a des végétariens, y compris très véganes, qui s'opposent à l'idée d'abolir la consommation des animaux par la loi. Certains s'appuyant sur des convictions anarchistes (qu'on les voit mal appliquer, par exemple, aux lois concernant le viol et le meurtre); d'autres sur l'idée selon laquelle quand même, chacun doit manger ce qu'il veut.

Mais même parmi ceux qui admettent que le traitement des animaux est une question de société et qu'il serait légitime d'interdire leur consommation, pour la grande majorité ça reste une sorte de position théorique projetée dans un avenir lointain et hypothétique.

J'admets que pour une large part, c'était ainsi que moi-même et les autres premiers militants antispécistes français voyions les choses, ou les ressentions, depuis le début de notre militance antispéciste à la fin des années 80. Bien sûr que manger les animaux devrait être interdit; mais il fallait d'abord diffuser les idées antispécistes, avant de pouvoir en arriver là. L'abolition de la viande serait la conséquence d'une sorte de rectification générale de la pensée.

L'évolution a commencé en 2001, avec la Veggie Pride, qui a voulu poser la question en termes directement politiques, sociétaux, en parlant concrètement du fait de manger les animaux. Ca a été une rupture, en ce sens qu'on ne demandait pas aux gens de venir à la manif seulement s'ils étaient antispé comme il faut, mais dès lors qu'ils refusaient de manger les animaux, par souci pour les animaux. Il s'agissait de montrer qu'il existe une remise en cause de fait du carnisme au sein de la société, sans attendre la conversion de tous et de toutes aux bonnes idées.

La VP a fait face à d'énormes résistances au sein du mouvement végétarien et végane, d'une part parce qu'elle était trop puriste - il fallait être végé pour y aller, et en plus végé pour les animaux - et pas assez - on y admettait des gens "seulement" végétariens, on n'exigeait pas qu'ils soient aussi antiracistes-féministes-anticapitalistes-révolutionnaires et ainsi de suite. A mon avis, ces critiques contradictoires puisaient à la même source: la difficulté à transformer les idées de libération animale en action sociétale concrète.

En particulier, beaucoup de critiques tournaient autour du fait que la VP n'allait pas convaincre les passants. Comme si l'action politique visait forcément à convaincre les passants! Il aurait mieux valu, nous disait-on, que la VP propose des tartines véganes pour séduire les gens. C'était plus efficace. C'est-à-dire, on ne parvenait pas à envisager l'action contre la consommation des animaux autrement que de manière capillaire, comme la conversion progressive des gens au végétarisme par bouche-à-oreille. La VP rompait avec ce schéma, et encore aujourd'hui il y a autour de nous beaucoup de résistances.

Le mouvement dit abolitionniste (à la Francione) est clairement sur ce terrain. Le monde est censé devenir végane une personne à la fois.

L'étape importante après la Veggie Pride a été quand Antoine Comiti a sorti aux Estivales 2005 l'idée selon laquelle l'abolition de la viande devait devenir une revendication politique réelle, dès à présent; avec une comparaison avec les mouvements anti-esclavage, qui jusqu'à la fin du XVIIIe siècle avaient les mêmes défauts que le mouvement antispé à ses débuts: l'abolition de l'esclavage était souhaitée, sans jamais qu'on n'imagine qu'il puisse être une revendication concrète présente dans le débat politique. L'esclavage était trop lié à tant d'intérêts économiques puissants, et même à la vie quotidienne des gens - par la consommation du sucre, du coton, etc. A un certain moment pourtant, à la fin du XVIIIe siècle, des militants anglais ont lancé la revendication concrète d'abolition, et rapidement c'est devenu un sujet de société partout discuté. Ca a abouti au fil des décennies à l'abolition de l'esclavage dans l'ensemble des pays occidentaux qui le pratiquaient.

Voir à ce sujet le texte cité par Antoine Comiti sur son blog.

L'abolition de l'esclavage n'était pas l'abolition du racisme, très loin de là; il a fallu les mouvements pour les droits civils aux EU pour que le problème avance, dans les années 1950-60, et encore aujourd'hui on est loin du compte. Mais je pense que l'abolition de l'esclavage était une condition vraiment nécessaire au fait de progresser vers l'abolition du racisme. C'était un bien en soi, et c'était un bien parce que ça ouvrait la perspective d'aller plus loin.

Je ne comprends franchement pas cette opposition qu'on fait entre welfarisme et abolitionnisme, et cette frilosité relativement à l'existence de spécistes, par exemple, parmi les membres de L214. On est tous spécistes, tout comme tous les Blancs aux Etats-Unis en 1860 étaient racistes, et que la plupart le sont encore aujourd'hui peu ou prou. S'il s'agit de notre vertu personnelle, on peut s'épouvanter et se dire que c'est grave. Personnellement, je m'en fiche. L'abolition de l'esclavage a été faite par des racistes, et alors?

Le roman bien connu de Harriet Beecher Stowe, La Case de l'Oncle Tom, a joué un rôle certain dans l'abolition de l'esclavage. Cf. Wikipedia:

La Case de l'oncle Tom est le roman le plus vendu du XIXe siècle et le second livre le plus vendu de ce même siècle, derrière la Bible. On considère qu'il aida à l'émergence de la cause abolitionniste dans les années 1850. Dans l'année suivant sa parution, 300 000 exemplaires furent vendus aux États-Unis. L'impact du roman est tel qu'on attribue à Abraham Lincoln ces mots, prononcés lorsqu'il rencontre Harriet Stowe au début de la guerre de Sécession : « C'est donc cette petite dame qui est responsable de cette grande guerre. »

Ce même roman est critiqué aujourd'hui pour la quantité de stéréotypes qu'il véhicule concernant les Noirs. Oh la méchante Harriet Beecher Stowe! Elle a contribué de manière substantielle à la fin de l'esclavage des Noirs, certes, mais sale raciste! Et j'ajouterais, une chrétienne! Beurk! En plus, dans le livre, il y a plein de passages "welfaristes", dénonçant les mauvais traitements et pas le principe même de l'esclavage! Sale welfariste!

J'ai l'impression que ceux qui ne supportent pas qu'il y ait des welfaristes parmi les adhérents de L214 soit ne comprennent rien à l'existence concrète de la politique, soit sont beaucoup plus attentifs à la pureté de leur identité ( = sont des identitaires :confus: ) qu'à amener l'ensemble de l'humanité à progresser.

Aujourd'hui, l'idée d'abolition des abattoirs comme revendication politique progresse. Cf. par exemple la marche pour la fermeture des abattoirs, Paris, 13 juin prochain (et d'autres villes, à d'autres dates, cf. le site). Mais il reste que sur Facebook et ailleurs, le modèle capillaire reste dominant.

Je ne suis pas contre le fait de convaincre les gens un à un. C'est même très bien. Tout comme c'est bien de convaincre son voisin de pallier de ne pas voter Le Pen. Mais l'action politique ne se résume pas à ça.

David

N.B. Il existait un équivalent du mouvement végane parmi les anti-esclavagistes; cf. sur Wikipedia le Free produce movement. Ils ne voulaient consommer que des produits du travail libre, c'est-à-dire produits sans travail d'esclaves. "They argued for a moral and economic boycott of slave-derived goods. The concept proved attractive because it offered a non-violent method of combating slavery." Pratiquement personne aujourd'hui ne voient ces "véganes de l'esclavage" comme ayant contribué de manière substantielle à l'abolition de l'esclavage.
 
Le problème c'est que je ne vois pas comment demander à la société (c'est-à-dire les citoyens et la classe politique) d'interdire la viande sans éduquer au véganisme. Parce que dès qu'on dit qu'il ne faut pas manger les animaux, les gens prennent peur ! "Mais qu'est-ce qu'on va manger ??", ils s'imaginent déjà mourir de faim...
Donc je ne suis pas sure que cette stratégie soit vraiment adaptée à la France à l'heure actuelle, peut-être plus dans des pays comme les USA, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Inde etc où le végéta*isme est plus développé et plus accepté.
Enfin je sais pas... Parce qu'en même temps je me dis aussi que le véganisme est assez élitiste.
 
Il est important que les gens comprennent qu'on peut vivre sans manger les animaux et leurs produits; mais ce n'est pas la même chose que de les rendre véganes.

Et il n'y a pas à d'abord leur faire comprendre ça, et ensuite abolir la viande. L'information des gens se fait d'autant plus facilement qu'il y a un débat public sur la légitimité générale de la consommation des animaux.

Angellore":cndbtgbq a dit:
Parce qu'en même temps je me dis aussi que le véganisme est assez élitiste.

Oui, super vachement élitiste. Par exemple, une personne qui ne mange pas les animaux, sauf de temps en temps chez la belle-famille parce qu'elle n'ose pas décevoir, et puis qui ne peut pas ramener ses enfants à la maison à l'heure du repas ni payer une nounou pour ça, et dont les enfants donc mangent de la viande à l'école... Pour les véganes comme-il-faut, c'est quelqu'un de pas végane, point, donc tous ses efforts valent zéro.

Les véganes militants qu'on rencontre sont typiquement des jeunes - pas trop de problèmes de santé, on se soigne à l'homéopathie - indépendants - pas obligés de travailler chez McDo, par exemple, ou au rayon boucherie de Monoprix - seuls ou en couple avec un copain ou copine qui leur ressemble et qui est aussi végane - pas besoin de cuisiner le bifsteak du mari. Ils peuvent facilement mépriser les gens qui se posent des questions, ne sont véganes ou végés qu'à moitié, qui font des efforts mais qui ont une vie quotidienne largement incompatible avec le fait d'être végane, ou même végé.

J'aimerais aussi que tout le monde devienne végane du jour au lendemain. Mais l'abolition de la viande se fera en très large partie avec des gens impurs, des gens spécistes, des gens qui remettent en cause leurs pratiques, même peut-être seulement à moitié, malgré un environnement hostile et toutes les difficultés de la vie quotidienne.

David
 
Mmmmh... Le véganisme ça sert à rien alors ? Quand on milite ne faut-il pas "montrer l'exemple" ? (sans juger) Perso quand je vais militer je me vois mal dire aux gens qu'il faut dire qu'il faut abolir la viande, puis leur avouer que j'en mange même-moi.

Enfin, je pense que la comparaison avec l'abolition de l'esclavage a ses limites. Car pour les consommateurs de l'époque la finalité ne changeait rien à leur vie, je veux dire, ils ont consommés les mêmes produits, le même coton, le même sucre etc. Ils n'ont pas eu eux à changer de comportement. Parce que le changement s'est fait en début de chaîne, pas à la fin.
Là dans l'abolition de la viande, ça implique que à un moment où un autre les gens devront changer de comportement alimentaire et autre, et c'est quand même pas rien !
 
Désolé si en parlant du "free produce movement" comme n'ayant pas servi à grand chose, j'ai donné l'impression de vouloir dire pareil pour le véganisme. Le véganisme sert déjà à épargner la vie des animaux par le fait de ne pas les consommer. Et aussi, par le refus symbolique de manger l'autre, alors que refuser le sucre produit par les esclaves n'avait pas cette valeur symbolique. Il importe aussi parce qu'il prouve qu'on peut vivre sans produits animaux. Et aussi, parce que plus il y a de véganes, plus la pression monte pour que ce soit plus facile (cantines, etc.), pour que les médecins soient compétents pour les véganes, etc. Liste pas forcément limitative.

Il reste que le véganisme, en tant que pratique personnelle diffusée de proche en proche, d'individu à individu, est une impasse si on le voit comme le principal moyen pour abolir l'esclavage des non-humains.

Angellore":3om84oal a dit:
Quand on milite ne faut-il pas "montrer l'exemple" ? (sans juger) Perso quand je vais militer je me vois mal dire aux gens qu'il faut dire qu'il faut abolir la viande, puis leur avouer que j'en mange même-moi.

Je trouve que la déclaration du biologiste Richard Dawkins, qui s'oppose au spécisme et qui estime que dans un ou deux siècles on verra notre traitement des animaux comme une barbarie, mais qui admet ne pas être végétarien lui-même - "Je ne suis pas végétarien; j'aimerais être végétarien, je pense que tout le monde devrait l'être" - est très positive pour le mouvement. Le jour où tous les mangeurs de viande admettront qu'ils le font par faiblesse morale, l'abolition des abattoirs ne sera pas loin!

C'est très bien de mettre ses actes en accord avec ses convictions. Mais c'est bien aussi, quand on n'y parvient pas, d'admettre sa faiblesse plutôt que d'inventer des conneries pour justifier ce qu'on fait.

David
 
Je souhaiterais remercier Twizzle pour ses interventions très intéressantes.
Merci Twizzle.

J'avais lu ce texte la veille de son apparition ici, et je comptais le poster et vous demander votre avis. Tant mieux si ça a été fait avant, parce que je ne le posterais que maintenant.

À sa lecture, j'ai surtout accroché au concept de ne pas dire aux gens que j'étais végane pour moi, mais de leur dire que j'étais en lutte contre l'exploitation animale. Ma phrase fétiche : "la sémantique, c'est important".
Effectivement, dire "je suis végane", c'est insinuer que c'est un choix personnel.

Je pense qu'il faut parvenir à faire comprendre que ce n'en est pas un, et que ce sont les omnis qui choisissent d'intégrer dans leur alimentation d'autres personnes non-humaines, sans leur demander leur avis.

Il faut faire comprendre à tout un chacun que sur la balance, il y a des opinions qui ne sont pas écoutées, car il y a un système de domination qui est en place, et que les muets ont tort.

Être végane, c'est très bien.
Éduquer les gens, c'est très bien.
Poser le débat sur la table, non pas celle de tonton-bourré-vote-FN, mais celle de Pujadas, c'est à faire, et c'est important.

C'était "Korbak arrive après la bataille pour dire ce qui a déjà été dit". Je vous souhaite une bonne journée.
 
Autant je comprendrais la remarque en contexte anglo-saxon, autant en France être végane c'est clairement un choix politique et pas strictement alimentaire. En France, le véganisme est, par définition, un mouvement politique.
On en parlait avec le groupe de recherche universitaire et britannique que j'ai mentionné sur un autre post. Précisément, la sémantique et la réappropriation du terme anglais dans le contexte français est intéressante pour cette raison.
 
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