Je n'aime pas le ton de l'article. A discuter tout de même du point de vue des objectifs et de l'efficacité des luttes.
269Life, les enragés de la protection animale
Le mouvement gagne du terrain parmi les militants en prônant l’action directe et la désobéissance civile. Jeudi, il a mené le blocage d’un abattoir dans le Rhône.
LE MONDE | 27.04.2017 Par Audrey Garric
ls sont une soixantaine, tout de noir vêtus, assis sous la chaîne d’abattage à l’arrêt. A la place des dindes normalement suspendues par les pattes, les militants ont installé des panneaux « Stop » et des affiches « Not in our name » (« Pas en notre nom »).
Jeudi 27 avril, l’association 269Life Libération animale a bloqué l’abattoir Corico de Monsols, dans le Rhône, une structure qui appartient au géant français de la volaille LDC. Pendant six heures, de 6 h 30 à 12 h 30, ils ont empêché les 300 salariés de rejoindre leur poste, avant d’être évacués par les forces de l’ordre au cri de « Justice pour les animaux ! Corico, assassin ». Ils seront convoqués par la gendarmerie la semaine prochaine.
Cette action, filmée et postée en direct sur Facebook, est la cinquième menée par le groupe d’activistes dans des abattoirs depuis sept mois, en parallèle d’occupations de sièges sociaux de grandes entreprises, comme ceux d’Aoste, de Danone ou de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev).
L’association, en revendiquant la « confrontation ouverte et violente » avec l’industrie de la viande, et en critiquant les autres ONG qu’elle trouve trop « molles », bouscule le petit monde de la protection animale. Et recrute à tour de bras de nouveaux militants.
Marquage au fer rouge
« La rue ne suffit plus pour militer, juge Tiphaine Lagarde, la coprésidente de 269Life Libération animale, une juriste âgée de 34 ans, actuellement en thèse sur le droit des animaux à l’université de Lyon-III. Nous voulons nous interposer là où le massacre des animaux a lieu, par de la désobéissance civile. »
« Ces méthodes, qui consistent à faire peur aux salariés, ne sont pas acceptables », retorque Emmanuel Chopard, le directeur de Corico, qui réfléchit à porter plainte.
Des militants de l’association 269Life Libération animale bloquent l’abattoir Corico de Monsols, dans le Rhône.
Tout a commencé en 2012 en Israël, quand le militant Sasha Boojor fonde un mouvement de libération animale. Il le baptise 269Life, du numéro du premier veau libéré d’une ferme laitière de son pays.
Les activistes mènent des actions chocs : ils répandent du faux sang dans des supermarchés ou des restaurants, et surtout, se marquent la peau au fer rouge du signe « 269 », lors de rassemblements publics, pour montrer « leur solidarité avec les animaux » et « ressentir leur douleur ». Le groupe tourne actuellement au ralenti, car Sasha Boojor est jugé pour une intrusion dans les locaux du ministère de l’agriculture et encourt une peine de trois ans de prison avec sursis.
« Culpabiliser le public »
Mais depuis, le mouvement a essaimé sur la planète : on compte aujourd’hui une cinquantaine de collectifs ou d’associations 269Life dans autant de pays.
En France, la situation est particulière, car deux ONG font partie du réseau mais sans collaborer ni adopter la même stratégie, ce qui « entretient la confusion », comme elles le reconnaissent : 269Life France et 269Life Libération animale.
La première, la plus ancienne, mène des actions de rue « pour choquer », comme la « Journée du sang versé », qui a duré en réalité trois semaines, lors desquelles des militants ont répandu ce liquide devant une centaine de boucheries.
« J’ai été attiré par les visuels chocs et le fait de culpabiliser et de mettre face à leurs responsabilités le public et les principaux acteurs de l’exploitation animale », explique Régis Meyer, un conducteur routier de 49 ans, qui préside 269Life France depuis janvier.
Une action contre l’exploitation animale menée par l’association 269Life France à Toulouse, le 20 avril.
L’ONG, basée à Strasbourg, vient d’ouvrir neuf antennes en France, et elle compte plus de 30 000 « likes » sur sa page Facebook, « en hausse depuis une intrusion et un happening menés au Salon de l’agriculture ». Elle s’attaque également aux cirques, aux zoos et à l’expérimentation animale.
Extrémisme revendiqué
La seconde association, la lyonnaise 269Life Libération animale, veut aller encore plus loin, et revendique son « extrémisme ». Elle mène des actions directes inspirées des théoriciens de la désobéissance civile (Henry David Thoreau, Hannah Arendt, Howard Zinn, Saul Alinsky, etc.) et refuse tout compromis avec l’industrie, contrairement à ce que font de nombreuses autres associations qui cherchent à améliorer le bien-être animal.
« On n’exige pas que Herta fasse une gamme de produits végans [sans aucun produit d’origine animale] ou que certains groupes ne s’approvisionnent plus en œufs de poules élevées en batterie, on veut qu’ils disparaissent. Sans quoi, le message est contre-productif », affirme Tiphaine Lagarde, qui veut replacer l’antispécisme (c’est-à-dire la lutte contre la discrimination basée sur l’espèce) au cœur du débat politique et a été elle-même marquée au fer rouge.
« Les réformettes obtenues jusqu’à présent ne changent rien pour les animaux mais servent d’argument marketing aux industriels et légitiment le principe de l’exploitation animale », poursuit la coprésidente de l’association.
Une « ligne dure » qui attire de plus en plus de militants. L’association affiche maintenant 350 adhérents et 40 000 « likes » sur sa page Facebook, deux fois plus qu’avant la première opération dans les abattoirs en octobre 2016.
« Parfois nécessaire d’enfreindre la loi »
Ces activistes, recrutés au terme d’un entretien « pour connaître leurs motivations et leur aptitude à encaisser des gardes à vue et des violences », sont essentiellement jeunes, et surtout « insérés socialement », avance Tiphaine Lagarde.
Aux côtés d’étudiants, ce sont des ingénieurs, des médecins, des enseignants ou des cadres qui « posent des congés pour participer aux actions ». L’association gère aussi un sanctuaire, qui abrite une soixantaine de veaux, vaches et cochons « donnés par des éleveurs » ou « libérés d’élevages », c’est-à-dire volés.
L’ONG est dans l’illégalité lors de la majorité de ses actions. « Cela ne me plaît pas d’enfreindre la loi, mais c’est parfois nécessaire pour faire émerger la condition animale comme une question de justice », assume Maxime Pilorge, un ingénieur du son de 23 ans, qui a rejoint l’association il y a un an.
Tiphaine Lagarde, et l’autre coprésident, Ceylan Cirik, seront jugés, le 8 mai, devant la Maison de justice et du droit de Bron (Rhône) pour « dégradations volontaires en réunion » après leur occupation du groupe de charcuterie Aoste. Ils encourent une peine de cinq ans de prison ferme et 75 000 euros d’amende. Deux autres procès devraient avoir lieu, après les plaintes d’abattoirs à Saint-Etienne et à Metz.
C’est là l’une des fragilités de l’association : ne vivant que de dons, elle ne dispose que d’une courte trésorerie, rendant difficile le paiement d’importants dommages et intérêts. « Les condamnations font partie de notre stratégie, assume Tiphaine Lagarde. Elles permettent d’interpeller et de mobiliser à nos côtés l’opinion publique, tel David contre Goliath. »
« 269Life nous porte préjudice »
Ces positions radicales ne sont pas du goût de tous les défenseurs de la cause animale, qui adoptent une attitude plus consensuelle. C’est peu dire que le post de Tiphaine Lagarde, intitulé « Pire que les carnistes, il y a les modérés », a été perçu comme une attaque envers les autres associations.
Pour peu, elle ferait même passer pour des timorés les militants de L214, rendus célèbres pour leurs vidéos chocs dénonçant des scandales de maltraitance animale dans des abattoirs. « 269Life nous porte préjudice à tous. Par la confrontation, on ferme les gens à la discussion », se désole Alexandre, 29 ans, adhérent aux comités de Lille et de Paris de L214, qui préfère « informer » pour, si possible, « semer une petite graine dans l’esprit des gens ».
« Nos stratégies sont complémentaires. Nous cherchons plutôt à obtenir des avancées par les voies réglementaires, comme sur les lapins d’élevage, estime Sébastien Arsac, le porte-parole de L214, qui affiche 28 000 adhérents et 650 000 “likes” sur Facebook. Il est dommage que 269Life fasse un procès d’intention aux autres associations, mais on ne peut pas leur enlever leur investissement pour la cause : ils se mettent en danger physiquement et économiquement. »
« De nombreuses études en psychologie et en communication montrent que la violence ne fonctionne pas pour susciter des changements sociaux. En outre, au niveau individuel, les gens sont plus à même d’évoluer par une politique du pas à pas, comme on le voit pour l’arrêt de la cigarette », juge de son côté Ophélie Véron, chercheuse à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.
La spécialiste du mouvement végan regrette par ailleurs que 269Life Libération animale, au nom de la convergence des luttes (antiracisme, féminisme, antispécisme), compare la fin de l’exploitation animale à l’abolition de l’esclavage. Le marquage au fer rouge et le terme d’« holocauste animal » choquent aussi les associations de défense des victimes de la Shoah. Mais pour 269Life, vies animales et vies humaines se valent.
269Life, les enragés de la protection animale
Le mouvement gagne du terrain parmi les militants en prônant l’action directe et la désobéissance civile. Jeudi, il a mené le blocage d’un abattoir dans le Rhône.
LE MONDE | 27.04.2017 Par Audrey Garric
ls sont une soixantaine, tout de noir vêtus, assis sous la chaîne d’abattage à l’arrêt. A la place des dindes normalement suspendues par les pattes, les militants ont installé des panneaux « Stop » et des affiches « Not in our name » (« Pas en notre nom »).
Jeudi 27 avril, l’association 269Life Libération animale a bloqué l’abattoir Corico de Monsols, dans le Rhône, une structure qui appartient au géant français de la volaille LDC. Pendant six heures, de 6 h 30 à 12 h 30, ils ont empêché les 300 salariés de rejoindre leur poste, avant d’être évacués par les forces de l’ordre au cri de « Justice pour les animaux ! Corico, assassin ». Ils seront convoqués par la gendarmerie la semaine prochaine.
Cette action, filmée et postée en direct sur Facebook, est la cinquième menée par le groupe d’activistes dans des abattoirs depuis sept mois, en parallèle d’occupations de sièges sociaux de grandes entreprises, comme ceux d’Aoste, de Danone ou de l’Association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes (Interbev).
L’association, en revendiquant la « confrontation ouverte et violente » avec l’industrie de la viande, et en critiquant les autres ONG qu’elle trouve trop « molles », bouscule le petit monde de la protection animale. Et recrute à tour de bras de nouveaux militants.
Marquage au fer rouge
« La rue ne suffit plus pour militer, juge Tiphaine Lagarde, la coprésidente de 269Life Libération animale, une juriste âgée de 34 ans, actuellement en thèse sur le droit des animaux à l’université de Lyon-III. Nous voulons nous interposer là où le massacre des animaux a lieu, par de la désobéissance civile. »
« Ces méthodes, qui consistent à faire peur aux salariés, ne sont pas acceptables », retorque Emmanuel Chopard, le directeur de Corico, qui réfléchit à porter plainte.
Des militants de l’association 269Life Libération animale bloquent l’abattoir Corico de Monsols, dans le Rhône.
Tout a commencé en 2012 en Israël, quand le militant Sasha Boojor fonde un mouvement de libération animale. Il le baptise 269Life, du numéro du premier veau libéré d’une ferme laitière de son pays.
Les activistes mènent des actions chocs : ils répandent du faux sang dans des supermarchés ou des restaurants, et surtout, se marquent la peau au fer rouge du signe « 269 », lors de rassemblements publics, pour montrer « leur solidarité avec les animaux » et « ressentir leur douleur ». Le groupe tourne actuellement au ralenti, car Sasha Boojor est jugé pour une intrusion dans les locaux du ministère de l’agriculture et encourt une peine de trois ans de prison avec sursis.
« Culpabiliser le public »
Mais depuis, le mouvement a essaimé sur la planète : on compte aujourd’hui une cinquantaine de collectifs ou d’associations 269Life dans autant de pays.
En France, la situation est particulière, car deux ONG font partie du réseau mais sans collaborer ni adopter la même stratégie, ce qui « entretient la confusion », comme elles le reconnaissent : 269Life France et 269Life Libération animale.
La première, la plus ancienne, mène des actions de rue « pour choquer », comme la « Journée du sang versé », qui a duré en réalité trois semaines, lors desquelles des militants ont répandu ce liquide devant une centaine de boucheries.
« J’ai été attiré par les visuels chocs et le fait de culpabiliser et de mettre face à leurs responsabilités le public et les principaux acteurs de l’exploitation animale », explique Régis Meyer, un conducteur routier de 49 ans, qui préside 269Life France depuis janvier.
Une action contre l’exploitation animale menée par l’association 269Life France à Toulouse, le 20 avril.
L’ONG, basée à Strasbourg, vient d’ouvrir neuf antennes en France, et elle compte plus de 30 000 « likes » sur sa page Facebook, « en hausse depuis une intrusion et un happening menés au Salon de l’agriculture ». Elle s’attaque également aux cirques, aux zoos et à l’expérimentation animale.
Extrémisme revendiqué
La seconde association, la lyonnaise 269Life Libération animale, veut aller encore plus loin, et revendique son « extrémisme ». Elle mène des actions directes inspirées des théoriciens de la désobéissance civile (Henry David Thoreau, Hannah Arendt, Howard Zinn, Saul Alinsky, etc.) et refuse tout compromis avec l’industrie, contrairement à ce que font de nombreuses autres associations qui cherchent à améliorer le bien-être animal.
« On n’exige pas que Herta fasse une gamme de produits végans [sans aucun produit d’origine animale] ou que certains groupes ne s’approvisionnent plus en œufs de poules élevées en batterie, on veut qu’ils disparaissent. Sans quoi, le message est contre-productif », affirme Tiphaine Lagarde, qui veut replacer l’antispécisme (c’est-à-dire la lutte contre la discrimination basée sur l’espèce) au cœur du débat politique et a été elle-même marquée au fer rouge.
« Les réformettes obtenues jusqu’à présent ne changent rien pour les animaux mais servent d’argument marketing aux industriels et légitiment le principe de l’exploitation animale », poursuit la coprésidente de l’association.
Une « ligne dure » qui attire de plus en plus de militants. L’association affiche maintenant 350 adhérents et 40 000 « likes » sur sa page Facebook, deux fois plus qu’avant la première opération dans les abattoirs en octobre 2016.
« Parfois nécessaire d’enfreindre la loi »
Ces activistes, recrutés au terme d’un entretien « pour connaître leurs motivations et leur aptitude à encaisser des gardes à vue et des violences », sont essentiellement jeunes, et surtout « insérés socialement », avance Tiphaine Lagarde.
Aux côtés d’étudiants, ce sont des ingénieurs, des médecins, des enseignants ou des cadres qui « posent des congés pour participer aux actions ». L’association gère aussi un sanctuaire, qui abrite une soixantaine de veaux, vaches et cochons « donnés par des éleveurs » ou « libérés d’élevages », c’est-à-dire volés.
L’ONG est dans l’illégalité lors de la majorité de ses actions. « Cela ne me plaît pas d’enfreindre la loi, mais c’est parfois nécessaire pour faire émerger la condition animale comme une question de justice », assume Maxime Pilorge, un ingénieur du son de 23 ans, qui a rejoint l’association il y a un an.
Tiphaine Lagarde, et l’autre coprésident, Ceylan Cirik, seront jugés, le 8 mai, devant la Maison de justice et du droit de Bron (Rhône) pour « dégradations volontaires en réunion » après leur occupation du groupe de charcuterie Aoste. Ils encourent une peine de cinq ans de prison ferme et 75 000 euros d’amende. Deux autres procès devraient avoir lieu, après les plaintes d’abattoirs à Saint-Etienne et à Metz.
C’est là l’une des fragilités de l’association : ne vivant que de dons, elle ne dispose que d’une courte trésorerie, rendant difficile le paiement d’importants dommages et intérêts. « Les condamnations font partie de notre stratégie, assume Tiphaine Lagarde. Elles permettent d’interpeller et de mobiliser à nos côtés l’opinion publique, tel David contre Goliath. »
« 269Life nous porte préjudice »
Ces positions radicales ne sont pas du goût de tous les défenseurs de la cause animale, qui adoptent une attitude plus consensuelle. C’est peu dire que le post de Tiphaine Lagarde, intitulé « Pire que les carnistes, il y a les modérés », a été perçu comme une attaque envers les autres associations.
Pour peu, elle ferait même passer pour des timorés les militants de L214, rendus célèbres pour leurs vidéos chocs dénonçant des scandales de maltraitance animale dans des abattoirs. « 269Life nous porte préjudice à tous. Par la confrontation, on ferme les gens à la discussion », se désole Alexandre, 29 ans, adhérent aux comités de Lille et de Paris de L214, qui préfère « informer » pour, si possible, « semer une petite graine dans l’esprit des gens ».
« Nos stratégies sont complémentaires. Nous cherchons plutôt à obtenir des avancées par les voies réglementaires, comme sur les lapins d’élevage, estime Sébastien Arsac, le porte-parole de L214, qui affiche 28 000 adhérents et 650 000 “likes” sur Facebook. Il est dommage que 269Life fasse un procès d’intention aux autres associations, mais on ne peut pas leur enlever leur investissement pour la cause : ils se mettent en danger physiquement et économiquement. »
« De nombreuses études en psychologie et en communication montrent que la violence ne fonctionne pas pour susciter des changements sociaux. En outre, au niveau individuel, les gens sont plus à même d’évoluer par une politique du pas à pas, comme on le voit pour l’arrêt de la cigarette », juge de son côté Ophélie Véron, chercheuse à l’Université catholique de Louvain, en Belgique.
La spécialiste du mouvement végan regrette par ailleurs que 269Life Libération animale, au nom de la convergence des luttes (antiracisme, féminisme, antispécisme), compare la fin de l’exploitation animale à l’abolition de l’esclavage. Le marquage au fer rouge et le terme d’« holocauste animal » choquent aussi les associations de défense des victimes de la Shoah. Mais pour 269Life, vies animales et vies humaines se valent.