2h52.
J'ai passé, il me semble, une assez bonne soirée.
J'étais avec L. et L.bis, deux personnes que j'ai peu vu mais auxquelles je m'identifie facilement. Nous avons été voir le petit film My Life's a Cage, la conférence qui a suivie, et le débat. En tremblant, j'ai même pris le micro pour partager un petit bout de mes pensées.
Nous avons été chez eux, ils ont posé beaucoup de questions, j'ai répondu comme j'ai pu.
Il est 2h (du matin). Tous le monde est fatigué. Je décide de rentrer.
Quelques centaines de mètres séparent nos foyers. L. me souhaite bon courage, parce que "la nuit, en tant que femme, c'est pas facile". Son conjoint (L. bis) ne comprend pas cette crainte. Je ne soulève pas.
Je pars en promettant d'envoyer un sms une fois chez moi. En sécurité.
Quarante longues, longues minutes.
Je mets mon casque, branché sur mon téléphone. Je vais écouter du métal pour me mettre en train, pour marcher vite et braver le froid. Comme d'habitude.
Comme d'habitude, au fond de moi, c'est aussi un peu pour signifier au reste du monde que je suis indisponible.
On parle assez peu de l'éclairage.
Mais c'est ce qui me permet d'appréhender les menaces.
Je longe la Garonne. Je suis chez moi bientôt. Je pense, maintenant, il est 2h passé, a mon lit qui m'attend, et je crois distinguer une deuxième tête sur mon ombre.
En une fraction de seconde, je songe a ma tenue vestimentaire. Je suis en jean's (trop grand) avec des baskets (trop grandes), et une polaire (la chose la moins sexy du monde, si j'en crois les autres). Et l'écharpe de ma moitié, qui cache deux tiers de mon visage. Je pense au fait que je ne correspond pas spécialement aux normes de beauté (objectivement), que je n'ai rien de spécialement attirant.
C'est ridicule. Je le sais parfaitement.
Mais rien en moi ne justifie (bonsoir, nausée) que cette seconde tête apparaisse.
Et pourtant, elle apparait.
Et je me demande si je dois me retourner et la confronter. Ou faire comme si rien n'était.
Je choisis la première option. Et je me retourne brutalement.
Le seconde tête appartenait bien a un autre être humain que moi, et il choisit de s'arrêter brutalement, lui aussi. Il semble surpris de ma réaction. Presque sonné. Et on est la, tous les deux, moi serrant mon parapluie de la main gauche, prête a "en découdre". Il demande sans détour :
_Tu veux prendre une douche avec moi ?
_Non.
_On va chez moi ?
_Non.
_T'as un mec ?
Et je répond que oui. Alors qu'il est loin de moi, mon cher et tendre. Alors que ce n'est absolument pas "bon" pour les mentalités de jouer sur mon "appartenance" pour avoir la paix. Alors que personne ne m'aborde jamais lorsqu'il est présent.
Mais il est 2h passé et nous sommes seuls dans la nuit.
_Tu fais quoi toute seule dehors, alors ?
Cette discussion me semble tout d'un coup tellement absurde que je me marre. Mon rire est tonitruant. Nerveux, presque hystérique (humhum). Je tourne les talons et je pars, espérant qu'il trouve en moi une certaine folie. Une sorte de tue-l'amour (le sien uniquement : on a tous.tes compris ici que le mien -d'amour- n'avait pas grande importance).
Mon ombre reste seule. A 2h52, je suis chez moi, saine et sauve. J'envoie poliment le sms.
Mais peut-être que la prochaine fois, j'utiliserais violemment mon parapluie comme réponse, par peur, par usure. Peut-être que ce jour-la, j'aurais mis une jupe, et que les propos aberrant de certains proches me rappellerons la honte absolue que c'est, de se promener avec une poitrine, des hanches et des fesses "de femmes". Et que ce jour-la, je n'aurais plus le courage de rire pour désamorcer la menace.
Il y a des nuits, comme ça, où je ne sais plus "apprécier" d'être née femme. Je n'ai jamais pu me sentir jolie (puisque c'est important pour des inconnu.e.s), et, en même temps, je suis trop désirable pour avoir le droit (nausée level 2) de circuler normalement.
J'aurais peut-être du utiliser le parapluie.