Elisée Reclus (1830-1905), géographe, anarchiste, communard, végétalien.
"Tout d’abord, je dois le dire, la recherche de la vérité pure ne fut pour rien dans les premières impressions qui firent un végétarien virtuel – en puissance – du petit gamin que j’étais, portant encore une robe d’enfant. Je me rappelle distinctement l’horreur du sang versé. Une personne de ma famille, me mettant une assiette en main, m’avait envoyé chez le boucher du village, avec prière d’en rapporter je ne sais quel débris saignant. Innocent et peureux, je partis allègrement pour faire la commission, et pénétrai dans la cour où se tenaient les bourreaux de la bête égorgée. Je me la rappelle encore, cette cour sinistre, où passaient des hommes effrayants, tenant à la main de grands couteaux qu’ils essuyaient sur des sarreaux aspergés de sang. Sous un porche, un cadavre énorme me semblait occuper un espace prodigieux ; de la chair blanche, un liquide rose coulait dans les rigoles. Et moi, tremblant et muet, je me tenais dans cette cour ensanglantée, incapable d’avancer, trop terrorisé pour m’enfuir. Je ne sais ce que je devins ; ma mémoire n’en garde pas la trace. Il me semble avoir entendu dire que je m’évanouis et que le boucher compatissant me rapporta dans la demeure familiale : je ne pesais pas plus qu’un de ces agneaux qu’il égorgeait chaque matin."
E. Reclus, "A propos du végétarisme" (extrait), 1901.
"Bout de pensée: Est-ce que la goutte d’eau que je caresse à un endroit du ruisseau aura la mémoire de ma caresse, plus loin, au moment de se jeter dans un fleuve ? Et cette mémoire, l’eau l’aura-t-elle encore au moment de se jeter dans la mer ? Et si ce sont des mots, resteront-ils prisonniers dans les gouttes jusqu’à la mer ? Est-ce que je peux marquer la nature, sculpter cet espace ? Est-ce que je peux raconter la nature en prenant des parties se fondant en un tout ? Autre bout de pensée: On peut vivre avec l’humanité et manger des animaux. Les manger, c’est d’abord les tuer, lâchement, après avoir organisé soigneusement leur vie pour en faire une petite vie. Je ne veux que regarder les animaux. Apprendre en les observant."
Thomas Giraud, "Elysée, avant les ruisseaux et les montagnes" (extrait), 2016.