Walden ou la vie dans les bois

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Élève des carottes
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Titre d'un livre d'Henry D. Thoreau, philosophe américain du 19e siècle qui parti vivre seul dans les bois à l'étang de Walden, près de Concord, Massachussets (je ne situe pas du tout mais ça sonne bien).

Cet auteur me plaît beaucoup, ne serait-ce que par son style tout à fait actuel, direct, il n'essaye pas de convaincre mais livre sans l'appréhension d'être jugé ses pensées à l'intention de ceux qui choisissent de les attraper au vol... Si vous n'avez pas le temps ou l'envie de lire le livre fétiche de cet auteur, qui pour moi est source d'inspiration concernant la liberté humaine et ses liens avec la Nature, je mets ici pour ceux que ça intéresse mes passages préférés (il y a quand-même des passages un peu rebutants ou anodins dans le bouquin), et qu'on pourrait peut-être, à l'instar du livre de Khalil Gibran, intituler "l'Oeil de Walden" :

Certain fermier me déclare : " on ne peut pas vivre uniquement de végétaux, car ce n'est pas cela qui vous fait des os" ; sur quoi le voici qui religieusement consacre une partie de sa journée à soutenir sa thèse avec la matière première des os ; marchant, tout le temps qu'il parle, derrière ses boeufs, qui grâce à des os de végétaux, vont le cahotant, lui et sa lourde charrue, à travers tous les obstacles. Il est des choses réellement nécessaires à la vie dans certains milieux, les plus impuissants et les plus malades, qui dans d'autres sont uniquement de luxe, dans d'autres encore, totalement inconnues.

Etre philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d'indépendance, de magnanimité, et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie seulement, mais en pratique.

Prenez garde à toute entreprise qui réclame des habits neufs, et non pas plutôt un porteur d'habits neuf. Si l'homme n'est pas neuf, comment faire aller les habits neufs ?

Je désespère parfois d'obtenir quoi que ce soit de vraiment simple et honnête fait en ce monde grâce à l'assistance des hommes.

A l'état sauvage toute famille possède un abri valant les meilleurs, et suffisant pour ses besoins primitifs et plus simples ; mais je ne crois pas exagérer en disant que si les oiseaux du ciel ont leurs nids, les renards leurs tanières, et les sauvages leurs wigwams, il n'est pas dans la société civilisée moderne plus de la moitié des familles qui possède un abri. Dans les grandes villes et cités, où prévaut spécialement la civilisation, le nombre de ceux qui possèdent un abri n'est que l'infime minorité. Le reste paie pour ce vêtement le plus extérieur de tous, devenu indispensable été comme hiver, un tribut annuel qui suffirait à l'achat d'un village entier de wigwams indiens, mais qui pour l'instant contribue au maintien de sa pauvreté sa vie durant.

On dirait qu'en général les hommes n'ont jamais réfléchi à ce que c'est qu'une maison, et sont réellement quoique inutilement pauvres toute leur vie parce qu'ils croient devoir mener la même que leurs voisins.

Travaillerons-nous toujours à nous procurer davantage, et non parfois à nous contenter de moins ?

J'avais trois morceaux de pierre calcaire sur mon bureau, mais je fus épouvanté de m'apercevoir qu'ils demandaient à être époussetés chaque jour, alors que le mobilier de mon esprit était encore tout non épousseté. Ecoeuré, je les jetai par la fenêtre. Comment, alors, aurais-je eu une maison garnie de meubles ? Plutôt me serais-je assis en plein air, car il ne s'amoncelle pas de poussière sur l'herbe, sauf où l'homme a entamé le sol.

J'aimerais mieux m'asseoir sur une citrouille et l'avoir à moi seul, qu'être pressé par la foule sur un coussin de velours.

La simplicité et la nudité mêmes de la vie de l'homme aux âges primitifs impliquent au moins cet avantage, qu'elles le laissaient n'être qu'un passant dans la nature. Une fois rétabli par la nourriture et le sommeil il contemplait de nouveau son voyage. Il demeurait, si l'on peut dire, sous la tente ici-bas, passait le temps à suivre les vallées, à traverser les plaines, ou à grimper au sommet des monts. Mais voici les hommes devenus les outils de leurs outils ! L'homme qui en toute indépendance cueillait les fruits lorsqu'il avait faim, est devenu un fermier ; et celui qui debout sous un arbre en faisait son abri, un maître de maison. Nous ne campons plus aujourd'hui pour une nuit, mais nous étant fixés sur la terre avons oublié le ciel.

L'homme civilisé n'est autre qu'un sauvage de plus d'expérience et de plus de sagesse.

Si les hommes construisaient de leurs propres mains leurs demeures, et se procuraient la nourriture pour eux-mêmes comme pour leur famille, simplement et honnêtement, qui sait si la faculté poétique ne se développerait pas universellement, tout comme les oiseaux universellement chantent lorsqu'ils s'y trouvent invités ? Mais, hélas ! nous agissons à la ressemblance de l'étourneau et du coucou, qui pondent leurs oeufs dans les nids que d'autres oiseaux ont bâtis, et qui n'encouragent nul voyageur avec leur caquet inharmonieux. Abandonnerons-nous donc toujours le plaisir de la construction du charpentier ? A quoi se réduit l'architecture dans l'expérience de la masse des hommes ? Je n'ai jamais, au cours de mes promenades, rencontré un seul homme livré à l'occupation si simple et si naturelle qui consiste à construire sa maison. Ce n'est pas le tailleur seul qui est la neuvième partie d'un homme [note: allusion au dicton suivant lequel 'il faut neuf tailleurs pour faire un homme'] ; c'est aussi le prédicateur, le marchand, le fermier. Où doit aboutir cette division du travail ? et quel objet finalement sert-elle ? Sans doute autrui peut-il aussi penser pour moi ; mais il n'est pas à souhaiter pour cela qu'il le fasse à l'exclusion de mon action de penser pour moi-même.

L'étudiant qui s'assure le loisir et la retraite convoités en esquivant systématiquement tout labeur nécessaire à l'homme, n'obtient qu'un vil et stérile loisir, se frustrant de l'expérience qui seule peut rendre le loisir fécond.

L'homme est un animal qui mieux qu'un autre peut s'adapter à tous climats et toutes circonstances.

L'homme qui meurt chasse du pied la poussière.

Il en est mille [hommes] pour massacrer les branches du mal contre un qui frappe à la racine, et il se peut que celui qui consacre la plus large somme de temps et d'argent aux nécessiteux contribue le plus par sa manière de vivre à produire cette misère qu'il tâche en vain à soulager. C'est le pieux éleveur d'esclaves consacrant le produit de chaque dixième esclave à acheter un dimanche de liberté pour les autres.

N'importe où je m'asseyais, là je pouvais vivre, et le paysage irradiait de moi en conséquence.

Il n'était pas de matin qui ne fût une invitation joyeuse à égaler ma vie en simplicité, et je peux dire en innocence, à la Nature même. J'ai été un sincère adorateur de l'Aurore que les Grecs. Je me levais de bonne heure et me baignais dans l'étang ; c'était un exercice religieux, et l'une des meilleures choses que je fisse. On prétend que sur la baignoire du roi Tching-thang des caractères étaient gravés à cette intention : " Renouvelle-toi complètement chaque jour ; et encore, et encore, et encore à jamais. " Voilà que je comprends.

Comment se fait-il que les hommes fournissent de leur journée un si pauvre compte s'ils n'ont passé le temps à sommeiller ? Ce ne sont pas si pauvres calculateurs. S'ils n'avaient succombé à l'assoupissement ils auraient accompli quelque chose. Les millions sont suffisamment éveillés pour le labeur physique ; mais il n'en est sur un million qu'un seul de suffisamment éveillé pour l'effort intellectuel efficace, et sur cent millions qu'un seul à une vie poétique ou divine. Etre éveillé, c'est être vivant. Je n'ai jamais encore rencontré d'homme complètement éveillé. Comment eussé-je pu le regarder en face ?

Tout homme a pour tâche de rendre sa vie, jusqu'en ses détails, digne de la contemplation de son heure la plus élevée et la plus sévère.

Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n'affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu'elle avait à enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n'avais pas vécu. Je ne voulais pas vivre ce qui n'était pas la vie, la vie est si chère ; plus que ne voulais pratiquer la résignation, s'il n'était tout à fait nécessaire. Ce qu'il me fallait, c'était vivre abondamment, sucer toute la moelle de la vie, vivre assez résolument, assez en Spartiate, pour mettre en déroute tout ce qui n'était pas la vie, couper un large andain et tondre ras, acculer la vie dans un coin, la réduire à sa plus simple expression, et, si elle se découvrait mesquine, eh bien, alors ! en tirer l'entière, authentique mesquinerie, puis divulguer sa mesquinerie au monde ; ou si elle était sublime, le savoir par expérience, et pouvoir en rendre un compte fidèle dans ma suivante excursion.

Imposture et illusion passent pour bonne et profonde vérité, alors que la réalité est fabuleuse.

Le temps n'est que le ruisseau dans lequel je vais pêchant. J'y bois ; mais tout en buvant j'en vois le fond de sable et découvre le peu de profondeur. Son faible courant passe, mais l'éternité demeure. Je voudrais boire plus profond ; pêcher dans le ciel, dont le fond est caillouté d'étoiles.

Avec un peu plus de réflexion dans le choix de leurs poursuites, les hommes deviendraient peut-être tous essentiellement des hommes d'étude et des observateurs, car il est certain que leur nature et leur destinée à tous sans distinction sont intéressantes. En accumulant la propriété pour nous-mêmes ou pour notre postérité, en fondant une famille ou un Etat, ou même en acquérant la renommée, nous sommes mortels ; mais en traitant avec la vérité, nous sommes immortels, et n'avons lieu de craindre changement plus qu'accident. Le plus ancien philosophe égyptien ou hindou souleva un coin du voile qui recouvre la statue de la divinité ; et la tremblante robe demeure encore soulevée, pendant que je reste ébloui devant une splendeur aussi fraîche que celle qui l'éblouit, puisque c'était moi en lui qui eut alors cette audace, et que c'est lui en moi qui aujourd'hui retrouve la vision. Nul grain de poussière ne s'est déposé sur cette robe ; nul temps ne s'est écoulé depuis que fut révélée cette divinité. Ce temps qu nous perfectionnons en effet, ou qui est perfectible, n'est ni passé, ni présent, ni futur.

Il est temps qu nous ayons des écoles non communes, que nous ne renoncions pas à notre éducation, lorsque nous commençons à devenir hommes et femmes.

Au lieu d'hommes nobles, ayons de nobles villages d'hommes.

Je vivais comme les Indiens Puri, dont on dit que "pour hier, aujourd'hui et demain ils n'ont qu'un seul mot, et expriment la diversité de sens en pointant le doigt derrière eux pour hier, devant eux pour demain, au-dessus de leur tête pour la jour qui passe". Ce n'était autre que pure paresse aux yeux de mes concitoyens, sans doute ; mais les oiseaux et les fleurs m'eussent-ils jugé suivant leur loi, que point n'eussé-je été pris en défaut.

J'avais dans ma façon de vivre au moins cet avantage sur les gens obligés de chercher leur amusement au dehors, dans la société et le théâtre, que ma vie elle-même était devenue mon amusement et jamais ne cessa d'être nouvelle.

Soir délicieux, où le corps entier n’est plus qu’un sens, et par tous les pores absorbe le délice. Je vais et viens avec une étrange liberté dans la Nature, devenu partie d’elle-même.

Je crois que les hommes ont en général encore un peu peur de l’obscurité, malgré la pendaison de toutes les sorcières, et l’introduction du christianisme et des chandelles.

Je ne me suis jamais senti solitaire, ou tout au moins oppressé par un sentiment de solitude, sauf une fois, et cela quelques semaines après ma venue dans les bois, lorsque, l’espace d’une heure, je me demandai si le proche voisinage de l’homme n’était pas essentiel à une vie sereine et saine. Etre seul est quelque chose de déplaisant. Mais j’étais en même temps conscient d’un léger dérangement dans mon humeur, et croyais prévoir mon rétablissement. Au sein d’une douce pluie, pendant que ces dernières pensées prévalaient, j’eus soudain le sentiment d’une société si douce et si généreuse en la Nature, en le bruit même des gouttes de pluie, en tout ce qui frappait mon oreille et ma vue autour de ma maison, une bienveillance aussi infinie qu’inconcevable tout à coup comme une atmosphère me soutenant, qu’elle rendait insignifiants les avantages imaginaires du voisinage humain, et que depuis jamais plus je n’ai songé à eux. Pas une petite aiguille de pin qui ne se dilatât et gonflât de sympathie, et ne me traitât en ami. Je fus si distinctement prévenu de la présence de quelque chose d’apparenté à moi, jusqu’en des scènes que nous avons accoutumé d’appeler sauvages et désolées, aussi que le plus proche de moi par le sang comme le plus humain n’était ni un curé ni un villageois, que nul lieu, pensai-je, ne pouvait jamais plus m’être étranger.

L’innocence et la générosité indescriptibles de la Nature, - du soleil et du vent et de la pluie, de l’été et l’hiver, - quelle santé, quelle allégresse, elles nous apportent à jamais ! et telle à jamais est leur sympathie avec notre race, que toute la Nature serait affectée, que la clarté du soleil baisserait, que les vents soupireraient humainement, que les nuages verseraient des pleurs, que les bois se dépouilleraient de leurs feuilles et prendraient le deuil au cœur de l’été, s’il arrivait qu’un homme s’affligeât pour une juste cause. N’aurai-je pas d’intelligence avec la terre ? Ne suis-je moi-même en partie feuilles et terre végétale ?

J’avais dans ma maison trois chaises : une pour la solitude, deux pour l’amitié, trois pour la société.

Après avoir sarclé, ou peut-être lu et écrit, dans la matinée, je prenais d’ordinaire un second bain dans l’étang, traversant à la nage quelqu’une de ses criques comme épreuve de distance, lavais ma personne des poussières du labeur, ou effaçais la dernière ride causée par l’étude, et pour l’après-midi étais entièrement libre.

Ce n’est que lorsque nous sommes perdus – en d’autres termes, ce n’est que lorsque nous avons perdu le monde – que nous commençons à nous retrouver, et nous rendons compte du point où nous sommes, ainsi que de l’étendue infinie de nos rapports.

Où que puisse aller un homme, il se verra poursuivi par les hommes et mettre sur lui la griffe de leurs sordides institutions, contraint par eux, s’ils le peuvent, d’appartenir à leur désespérée « odd-fellow » [société secrète du genre des francs-maçons] société.

Je suis convaincu que si tout le monde devait vivre aussi simplement qu’alors je faisais, le vol et la rapine seraient inconnus. Ceux-ci ne se produisent que dans les communautés où certains possèdent plus qu’il n’est suffisant, pendant que d’autres n’ont pas assez.

« Vous qui gouvernez les affaires publiques, quel besoin d’employer le châtiment ? Aimez la vertu, et le peuple sera vertueux. Les vertus d’un homme supérieur sont comme le vent ; les vertus d’un homme ordinaire sont comme l’herbe ; l’herbe, lorsque le vent passe sur elle, se courbe. » [Analectes de Confucius. Livre XII, ch. 19]

Un lac est le trait le plus beau et le plus expressif du paysage. C’est l’oeil de la terre, où le spectateur, en y plongeant le sien, sonde la profondeur de sa propre nature. Les arbres fluviatiles voisins de la rive sont les cils délicats qui le frangent, et les collines et rochers boisés qui l’entourent, le sourcil qui le surplombe.

Je trouvai en moi, et trouve encore, l’instinct d’une vie plus élevée, ou comme on dit, spirituelle, à l’exemple de la plupart des hommes, puis un autre, de vie sauvage, pleine de vigueur primitive, tous deux objets de ma vénération.

Nul être humain passé l’âge insouciant de la jeunesse, ne tuera de gaieté de coeur la créature, quelle qu’elle soit, qui tient sa vie du même droit que lui.

Je crois que l’homme qui s’est toujours appliqué à maintenir en la meilleure condition ses facultés élevées ou poétiques, a de tous temps été particulièrement enclin à s’abstenir de nourriture animale, comme de beaucoup de nourriture d’aucune sorte.

Le gros mangeur est un homme à l’état de larve ; et il existe des nations entières dans cette condition, nations sans goût ni imagination, que trahissent leurs vastes abdomens.

N’est-ce pas un blâme à ce que l’homme est un animal carnivore ? Certes, il peut vivre, et vit, dans une vaste mesure, en faisant des animaux sa proie ; mais c’est une triste méthode, - comme peut s’en apercevoir quiconque ira prendre des lapins au piège ou égorger des agneaux, - et pour bienfaiteur de sa race on peut tenir qui instruira l’homme dans le contentement d’un régime plus innocent et plus sain. Quelle que puisse être ma propre manière d’agir, je ne doute pas que la race humaine, en son graduel développement, n’ait entre autres destinées celle de renoncer à manger des animaux, aussi sûrement que les tribus sauvages ont renoncé à s’entre-manger dès qu’elles sont entrées en contact avec de plus civilisées.

Prête-t-on l’oreille aux plus timides mais constantes inspirations de son génie, qui certainement sont sincères, qu’on ne voit à quels extrêmes, sinon à quelle démence, il peut vous conduire ; cependant au fur et à mesure que vous devenez plus résolu comme plus fidèle à vous-même, c’est cette direction que suit votre chemin. Si timide que soit l’objection certaine que sent un homme sain, elle finira par prévaloir sur les arguments et coutumes du genre humain. Nul homme jamais ne suivit son génie, qui se soit vu induit en erreur. En pût-il résulter quelque faiblesse physique qu’aux yeux de personne les conséquences n’en purent passer pour regrettables, car celles-ci furent une vie de conformité à des principes plus élevés. Si le jour et la nuit sont tels que vous les saluez avec joie, et si la vie exhale la suavité des fleurs et des odorantes herbes, est plus élastique, plus étincelante, plus immortelle, - c’est là votre succès. Toute la nature vient vous féliciter, et tout moment est motif à vous bénir vous-même. Les plus grands gains, les plus grandes valeurs, sont ceux que l’on apprécie le moins. Nous en venons facilement à douter de leur existence. Nous ne tardons à les oublier. Ils sont la plus haute réalité. Peut-être les faits les plus ébahissants et les plus réels ne se voient-ils jamais communiqués d’homme à homme. La véritable moisson de ma vie quotidienne est en quelque sorte aussi intangible, aussi indescriptible, que les teintes du matin et du soir. C’est une petite poussière d’étoile entrevue, un segment de l’arc-en-ciel que j’ai étreint.

Je voudrais que nos fermiers, lorsqu’ils abattent une forêt, ressentent un peu de cette crainte respectueuse que ressentaient les premiers Romains lorsqu’ils en venaient à éclaircir quelque bocage sacré, ou à y laisser pénétrer la lumière, c’est-à-dire croient qu’elle est consacrée à quelque dieu.

La Nature ne pose pas de questions, et ne répond à nulle que nous autres mortels lui posions. Elle a, il y a longtemps, pris sa résolution.

Si chaque saison à son tour nous semble la meilleure, l’arrivée du printemps est comme la création du Cosmos sorti du Chaos, et la réalisation de l’Age d’Or.

Dans un riant matin de printemps tous les péchés des hommes sont pardonnés. Ce jour-là est une trêve au vice.

On prétend que Mirabeau se livra au vol de grand chemin « pour se rendre compte du degré de résolution nécessaire à celui qui veut se mettre en opposition formelle avec les lois les plus sacrées de la société ». Il déclarait qu’ « il ne faut pas au soldat qui combat dans les rangs moitié autant de courage qu’à un brigand de métier », - « que l’honneur ni la religion ne se sont jamais mis en travers d’une résolution ferme et mûrement réfléchie ». C’était viril, suivant qu’en va le monde ; et cependant c’était vain, sinon désespéré. Un homme plus sain se fût trouvé assez souvent en « opposition formelle » avec ce qu’on estime « les lois les plus sacrées de la société », en obéissant à des lois encore plus sacrées, et de la sorte eût mis sa fermeté à l’épreuve sans s’écarter de son chemin. Ce n’est pas à l’homme à prendre cette attitude vis-à-vis de la société, mais c’est à lui à se maintenir dans l’attitude, quelle qu’elle soit, où il se trouve par suite d’obéissance aux lois de son être, qui n’en sera jamais une d’opposition à un gouvernement juste, s’il a la chance d’en rencontrer un.

Je quittai les bois pour un aussi bon motif que j’y étais allé. Peut-être me sembla—t-il que j’avais plusieurs vies à vivre, et ne pouvais plus donner de temps à celle-là. C’est étonnant la facilité avec laquelle nous adoptons insensiblement une route et nous faisons à nous-mêmes un sentier battu.

Grâce à mon expérience, j’appris au moins que si l’on avance hardiment dans la direction de ses rêves, et s’efforce de vivre la vie qu’on s’est imaginée, on sera payé de succès inattendu en temps ordinaire. On laissera certaines choses en arrière, franchira une borne invisible ; des lois nouvelles, un universelles, plus libérales, commenceront à s’établir autour et au-dedans de nous ; ou les lois anciennes à s’élargir et s’interpréter en notre faveur dans un sens plus libéral, et on vivre en la licence d’un ordre d’êtres plus élevé. En proportion de la manière dont on simplifiera sa vie, les lois de l’univers paraîtront moins complexes, et la solitude ne sera pas solitude, ni la pauvreté pauvreté, ni la faiblesse, faiblesse. Si vous avez bâti des châteaux dans les airs, votre travail n’aura pas à se trouver perdu ; c’est là qu’ils devaient être. Maintenant posez les fondations dessous.

Pourquoi serions-nous si désespérément pressés de réussir, et dans de si désespérées entreprises ? S’il nous arrive de ne point marcher au pas de nos compagnons, la raison n’en est-elle que nous entendons un tambour différent ? Allons suivant la musique que nous entendons quels qu’en soient al mesure ou l’éloignement. Il n’importe pas que nous mûrissions aussi vite qu’un pommier ou un chêne. Changerons-nous notre printemps en été ? Si l’état de choses pour lequel nous sommes faits n’est pas encore, quelle serait la réalité à lui substituer ?

N’ayant fait aucun compromis avec le Temps, le Temps se tenait à l’écart de sa route, soupirant seulement à distance, incapable qu’il était de le soumettre.

Dites ce que vous avez à dire, non pas ce que vous devez dire. Toute vérité vaut mieux que faire semblant.

Cultivez la pauvreté comme une herbe potagère, comme la sauge. Ne vous embarrassez point trop de vous procurer de nouvelles choses, soit en habits, soit en amis. Retournez les vieux, retournez à eux. Les choses ne changent pas ; c’est nous qui changeons. Vendez vos habits et gardez vos pensées. Dieu veillera à ce que vous ne manquiez pas de société. Fussé-je relégué dans le coin d’un galetas pour le reste de mes jours, telle une araignée, que le monde resterait tout aussi vaste pour moi tant que je serais entouré de mes pensées.

La richesse superflue ne peut acheter que des superfluités. L’argent n’est point requis pour acheter un simple nécessaire de l’âme.

Mieux que l’amour, l’argent, la gloire, donnez-moi la vérité.
 
C'est un très beau livre qui m'avait fasciné quand je l'ai lu (ça remonte). Tu me donnes envie de le relire.

Mais si je me souviens bien il est revenu à la "civilisation" après son expérience dans les bois. Mais je ne sais plus pq.
 
genial bonhomme ! tres beau walden. thoreau avait tout compris, a une epoque beaucoup moins propice qu'aujourd'hui. respect de la vie et des animaux, meme si il n'etait pas tout a fait vg. la desobeissance civile a été aussi un bouquin au combien important... livre de chevet de gandhi, et de beaucoup d'autres aujourd'hui... il a voulu montrer qu'il n' y avait pas besoin de biens materiels pour vivre, il voulait etudier la nature de l'interieur, mais il voulait aussi apprendre aux autres et ne voulait pas vivre en hermite, il n'a vecu que 4 ans dans les bois. sinon, il a ouvert une ecole, avec son frere je crois. il voulait creer un nouveau systeme educatif.
un gd, gd, homme.
 
j'avais beaucoup aimé aussi un livre qu'il a écrit sur la marche à pied ("de la marche" je crois) qui faisait l'éloge du plaisir de marcher, un peu comme Rousseau. et c'était super
 
Henry David Thoreau...:simplelove:

kerloen":39agvwu1 a dit:
il n'a vecu que 4 ans dans les bois.
En fait seulement deux ans, mais sinon le reste est exact. ;)

EDIT: Au fait, Concord c'est dans le Nord-Est des États-Unis et on écrit Massachusetts, pas Massachussets! ^^
(Vous voulez savoir mon petit secret? Je fais des études d'Anglais et bien sûr, on a étudié les USA :p)
 
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