C'est une anecdote que je ressers souvent lorsque je veux illustrer que les « artistes » et les « intellectuels » sont souvent tout autant conformistes que le reste de la société, mais de façon différente.
Il y a 3 ans -- ou plutôt, il y a 6 à 3 ans de cela --, j'ai fait des études universitaires en littérature et en études culturelles. C'était au moment où la mode hipster était à son apogée (je pense). Le 3/4 de ma classe était hypster. Illes étaient tous et toues habillés-es de la même façon : pantalon serré, chemise à carreaux, coupes excentriques, grosses lunettes à monture noire et parfois un bonnet aux couleurs fluo. Illes avaient tous les mêmes idées, les mêmes lectures, les mêmes goûts et s'exprimaient tous à l'identique. Leur idole à tous était Arcade Fire et Xavier Dolan. Bien entendu, illes pensaient tous être originals-es et uniques en leur genre. Illes prétendaient tous être « anti-coformistes ».
Mais encore, le plus drôle était leur travaux scolaires : des copies identiques à ce que le-la prof disait lors des cours. Jamais une réflexion de côté à ce qui était enseigné.
Toute leur attitude était consacré au « paraitre ». Du genre : je lis tel livre pour bien montrer que je féministe, et je reproche aux autres de ne pas le faire. Comme s'il n'y avait qu'une seule et unique vision du féminisme... : la leur.
Pareil pour le végétarisme. Illes étaient végé en public, mais non en privé. Un jour, une d'elles est venue me dire qu'elle a déjà été végétarienne (quelques semaines plus tôt...), mais avait laissé tombé parce qu'elle trouvait cela « plate ».
L'anecdote en question, donc, s'est produit lors de la troisième année d'études, le jour de la rentrée. Nous attendions devant le local de cours inscrit sur notre horaire. Le prof était en retard d'une dizaine de minutes, ce qui ne lui ressemblait pas. Soudain, on le voit arriver, un air d'incompréhension sur le visage. Ils nous dit qu'ils nous attendaient à un autre local, à un autre étage. Nous nous y rendons, en groupe. Une fois sur place, le prof est incapable d'ouvrir la porte. Sa clé n'est pas la bonne. Il contacte une dame de l'administration, qui lui dit qu'il y a une erreur sur son horaire, et que notre cours se déroule effectivement au tout premier où nous nous trouvions. Nous retournons donc au premier local, toujours en groupe.
Et là, j'entends plein de voix dans le groupe. Des hipsters se parle entre eux, et se disent des choses du genre : «
beurk! Nous marchons comme un troupeau de moutons. Comme des conformistes! ».
Je me souviens m'être dit : WTF? Marcher en compagnie des gens de ta classe en direction d'un local ne te rendra pas conformiste ou quoi que ce soit d'autre. À quel point faut-il être incertain de son
anticonformisme pour craindre de marcher en compagnie d'autres gens?
Mais le plus drôle dans toute cette histoire, c'est qu'aucun d'eux ne voulait me parler, parce qu'ils me trouvaient trop « bizarre ». C'est sûr, je n'ai ni tatouage ni fringue excentrique neuve achetée à haut prix parce que je venais d'un milieu très défavorisée. Ma coupe de cheveux était banale, et je ne me suis jamais soucié du « qu'en dira-t-on ». Pire : j'aimais vraiment la lecture. Eux, illes lisaient pour critiquer et affirmer à la face du monde qu'ils détestaient l'auteur-e qu'illes venaient de lire pour X ou X raisons. Pas moi. Je faisais confiance à mes profs pour me donner de bonnes suggestions. J'étais modeste, et je préférais me faire une opinion par moi-même tout en prenant en compte les avis de ceux qui m'avaient précédés. Je ne décidais pas de haïr ou d'aimer une oeuvre avant même de l'avoir lu. Un comble pour ces gens. Du coup, j'étais aussi isolée durant ces études universitaires que je l'avais été au primaire, au secondaire et au Cégep.... la joie!
Savez-vous quoi? Ma « bizarrerie » m'a toujours faite souffrir. Depuis la plus tendre enfance. J'ai toujours été cette fille bizarre à qui personne ne veut jamais parler, que personne ne prend au sérieux, même à 26 ans. Pourtant, je n'ai jamais recherché cette excentricitée. JAMAIS. J'ai souvent rêvé d'être comme tout le monde afin de ne plus souffrir. Mais j'ai toujours trouvé le prix à payer trop élevé : celui de ne plus être moi-même. Je ne pense pas avoir un égo démesuré, mais je refuse de renier qui je suis. Je n'ai pas de tatouage ni de vêtements bizarre ; j'aime la lecture et le métal sympho démodé ; je suis végane, féministe, pansexuelle ; d'abord involontaire puis devenu volontairement pauvre. Je n'ai pas de permis de conduire (un comble en Amérique). Pas de téléviseur. Je suis par moment athée, par moment agnostique, par moment une païenne qui ne crois pas aux archétypes genrées, mais je travaille dans un couvent catholique. Je suis excessivement timide et bègue. Je ne me maquille pas, ne m'épile pas, ne me coiffe pas et j'ai l'air 12 ans plus jeune que mon âge. J'ai un air faussement naïf qui cache une réflexion constante sur le monde. Tout cela fait partie de moi, et je ne le sacrifierais pour rien au monde. Mais tout cela a toujours repoussé les gens.
Je ne me plains pas cela dit. J'ai un merveilleux conjoint et de proches amies. Je suis heureuse, maintenant. Mais, à l'époque, j'étais seule. Je n'avais qu'une amie à l'université, et je la connaissais depuis la première semaine du Cégep. Elle aussi, elle était un peu comme moi, quoique très différente en même temps.
Waouh, je sens que je défoule.
Ça fait du bien.
C'est que j'en ai un peu marre d'observer autour de moi des gens qui se prétendent anti-conformiste alors qu'ils ne font que suivre un schéma bien défini par leur tribu sociale. J'ai remarqué qu'une vraie personne anti-conformiste ne s'en vantera pas. Souvent, elle ignore que tel comportement ou telle idée l'est. Lorsqu'elle en a conscience, elle peut en souffrir ou l'accepter pour son propre bonheur. Peu importe l'image sociale que cela dégage.