Usagi, tu m'embêtes, je suis allée chercher cette vidéo épaf, je vois que tu l'as déjà postée. Bouh à toi.
J'ai deux petites histoires à vous raconter qui sont très très révélatrices.
A Lyon, je rentrais chez moi à pied un soir sur les coups de 22-23 h. Bien sûr divers hommes m'ont interpellée et rappelé de diverses manières que j'étais une intruse dans l'espace public passé la tombée de la nuit.
Un type qui marchait dans ma direction s'est sciemment placé en travers de mon chemin, devant moi, et a ouvert les bras pour m'empêcher d'avancer. Je suis restée interdite. Puis le type a repris sa route en rigolant.
Il a fait ça pour rire de mon sentiment d'illégitimité dans l'espace public et de ma peur de la violence masculine, tout en la renforçant bien sûr.
Mais que s'était-il passé dans ma tête ? Quand je suis restée interdite, je me suis dit, ça y est, on va essayer de me violer dans une ruelle sombre. Je me suis demandée ce que je pouvais faire et j'ai aussitôt imaginé que ce type avait une dizaine de potes prêtes à me sauter dessus planqué dans les parages.
Quand il est parti, j'ai compris tout de suite ce qu'il s'était passé et j'ai été soulagée.
Puis j'ai retourné cette situation dans ma tête pendant le reste du trajet, parce que bien sûr ça me travaillait. (C'est fou hein le pouvoir que peuvent exercer les hommes sur les femmes, après seulement quelques secondes sans contact et sans parole ?)
Et j'ai réalisé un truc. J'ai réalisé que je mesurai 1m75 et pesais dans les 85 kg, que j'avais le trépied de mon appareil photo dans le dos, et que le type était bien plus petit que moi et malingre. Et à aucun moment je n'ai pensé à me défendre. Voilà le plus important à retenir de cette histoire. Même quand ce salaud est reparti et que j'ai aussitôt éliminée de mon esprit la menace farfelue que j'avais fantasmée, je n'ai même pas pensé à hurler, brandir mon trépied et faire mine de le taper avec - alors que seulement ça lui aurait fait passer l'envie de s'en prendre à une autre femme.
Je n'ai pas appris à me défendre.
Je n'ai pas appris que je suis forte et que je peux me défendre.
J'ai appris que je suis faible et à la merci du premier bittard venu.
J'ai appris à imaginer une douzaine de violeurs avec une arme et sachant s'en servir là où je ne voyais qu'une péquenaud maigrichon plus qu'à moitié bourré.
Et parallèlement, les hommes ont appris que les femmes ne se défendent pas, ne serait-ce qu'à leur violence verbale, et tombent de haut quand une femme se défend, ne serait-ce qu'en se retournant et en leur répondant.
(Mais j'imagine que pour ce qui est de la violence verbale, elle découle du fait que les hommes préhistoriques devaient pousser leurs cordes vocales pour communiquer entre eux dans le feu de l'action d'une chasse au mammouth, alors que les femmes préhistoriques fermaient leur gueule naturellement en tannant les peaux au fond de leur caverne. Et puis c'est bien connu, y a aucune continuité entre la violence verbale et la violence physique, donc je suis hors sujet.)
Voici pour la première anecdote, et voici la seconde. Vous allez voir qu'elle est complémentaire de la première et qu'elle invalide les possibles réponses malhonnêtes du type "t'es une feignasse trouillarde qui ose pas bouger et je refuse de faire l'effort de retourner ton histoire dans ma tête pour voir ce que je peux en apprendre".
Un soir à Lyon toujours, dans le bus bondé avec une poignée d'amis. Deux femmes à côté de moi commencent à se battre. Immédiatement et spontanément - ces deux adverbes ont leur importances -, je me suis interposée pour les séparer. Celle qui avait sauté sur l'autre était vraiment furibarde et ça n'a pas été évident.
Peu après, un des amis avec qui j'étais a salué mon geste et mon "courage".
Et puis j'ai réalisé que, si mon geste avait été si immédiat et spontané, c'est parce qu'à aucun moment, je ne me suis sentie en danger. J'aurais réagi différemment si ç'avaient été deux hommes, ou une femme et un homme. J'aurais, cette fois encore, imaginé des dangers improbables - qu'un homme se retourne contre moi et me frappe, ou sorte un couteau, et que sais-je encore. Et j'aurais pris le temps de peser le pour et le contre, l'urgence de l'intervention et le danger fantasmé pour moi.
Mais là, je n'ai ressenti aucune peur, aucune barrière. Je n'ai pas été courageuse mais seulement sensée et responsable.
Je n'ai ressenti aucune peur ni aucune barrière parce que c'étaient des femmes et que j'ai appris à ne pas me sentir en danger face à des femmes.
Moi aussi, j'ai appris qu'une femme ne se défend pas.
J'ai appris à ne pas avoir peur d'une femme.
J'aimerais savoir en quoi la nature explique ces deux anecdotes. Laissez-moi prendre un fauteuil, du pop-corn, une boisson fraîche, et je vous écoute.
Ces anecdotes n'ont pas vocation à constituer un argumentaire mais une illustration, une mise en évidence des déterminismes sociaux extrêmement puissants et violents et intériorisés bien profond dans nos têtes.
Ces anecdotes rendent visibles certaines failles dans l'idée, préconçue, absconse, d'une violence masculine naturelle envers les femmes, dans le contexte d'un système de hiérarchisation entre les genre qui est structuré autour de la violence masculine envers les femmes.
Evidemment, il est possible d'écarter les questions que soulèvent ces exemples. C'est toujours possible.
De la même façon, je ne vois guère de réaction à l'argumentaire de Catherine Vidal posté par Usagi, alors qu'il s'agit de la référence en la matière et que ça ferait avancer le raisonnement et le discours d'une personne sincèrement disposée à apprendre.
De la même façon, vous êtes en train de vous échiner à prouver que la comparaison soulevée par Usagi entre violence sexiste et violence raciste n'est pas valable, parce-que-c'est-pas-pareil. Posez-vous vraiment la question de ce que ça peut vous apprendre, bon sang.
C'est de la malhonnêteté intellectuelle, et elle est toujours possible. De la même façon qu'on peut remettre en questions la pertinence d'une illustration, d'un argument, voire d'un chiffre ("les femmes gagnent 27 % de moins que les hommes ? Je suis sûr que ton chiffre date et qu'aujourd'hui c'est moins" : on me l'a dit), voire d'une étude entière.
Inversement, l'honnêteté intellectuelle, c'est réaliser que notre point de vue est toujours biaisé car nous voyons le monde à travers le prisme de constructions sociales omniprésentes (la domination masculine, la domination des humains sur les animaux, le capitalisme ; j'en passe), des constructions qui sont toujours à interroger, toujours à ronger brique par brique. Toujours à déconstruire, quoi. L'honnêteté intellectuelle, c'est discuter dans le but de trouver dans le discours de la personne en face, discours nouveau, minoritaire, donc plus en avance que soi dans la déconstruction, d'aller chercher dans ce discours les outils, les questionnements pour briser un peu plus de briques et voir un peu plus de jour. C'est faire l'effort d'aller chercher ces questions, de secouer le discours de l'autre dans tous les sens pour en tirer la moindre goutte. De chercher les failles dans son propre discours et à l'inverse, de recevoir celui de l'autre malgré ses inévitables maladresses et imprécisions, et même si l'autre n'est pas un brillant rhéteur ou une brillante rhéteuse. (Le correcteur orthographique de Végéweb ne connaît pas le mot rhéteuse, comme par hsard. Je l'emmerde.)
Alors seulement, si l'autre dit de la merde, nous pouvons nous en rendre compte - ayons confiance en notre propre jugement : nous nous en rendrons compte - et nous aurons la légitimité pour le dire.
J'ai deux petites histoires à vous raconter qui sont très très révélatrices.
A Lyon, je rentrais chez moi à pied un soir sur les coups de 22-23 h. Bien sûr divers hommes m'ont interpellée et rappelé de diverses manières que j'étais une intruse dans l'espace public passé la tombée de la nuit.
Un type qui marchait dans ma direction s'est sciemment placé en travers de mon chemin, devant moi, et a ouvert les bras pour m'empêcher d'avancer. Je suis restée interdite. Puis le type a repris sa route en rigolant.
Il a fait ça pour rire de mon sentiment d'illégitimité dans l'espace public et de ma peur de la violence masculine, tout en la renforçant bien sûr.
Mais que s'était-il passé dans ma tête ? Quand je suis restée interdite, je me suis dit, ça y est, on va essayer de me violer dans une ruelle sombre. Je me suis demandée ce que je pouvais faire et j'ai aussitôt imaginé que ce type avait une dizaine de potes prêtes à me sauter dessus planqué dans les parages.
Quand il est parti, j'ai compris tout de suite ce qu'il s'était passé et j'ai été soulagée.
Puis j'ai retourné cette situation dans ma tête pendant le reste du trajet, parce que bien sûr ça me travaillait. (C'est fou hein le pouvoir que peuvent exercer les hommes sur les femmes, après seulement quelques secondes sans contact et sans parole ?)
Et j'ai réalisé un truc. J'ai réalisé que je mesurai 1m75 et pesais dans les 85 kg, que j'avais le trépied de mon appareil photo dans le dos, et que le type était bien plus petit que moi et malingre. Et à aucun moment je n'ai pensé à me défendre. Voilà le plus important à retenir de cette histoire. Même quand ce salaud est reparti et que j'ai aussitôt éliminée de mon esprit la menace farfelue que j'avais fantasmée, je n'ai même pas pensé à hurler, brandir mon trépied et faire mine de le taper avec - alors que seulement ça lui aurait fait passer l'envie de s'en prendre à une autre femme.
Je n'ai pas appris à me défendre.
Je n'ai pas appris que je suis forte et que je peux me défendre.
J'ai appris que je suis faible et à la merci du premier bittard venu.
J'ai appris à imaginer une douzaine de violeurs avec une arme et sachant s'en servir là où je ne voyais qu'une péquenaud maigrichon plus qu'à moitié bourré.
Et parallèlement, les hommes ont appris que les femmes ne se défendent pas, ne serait-ce qu'à leur violence verbale, et tombent de haut quand une femme se défend, ne serait-ce qu'en se retournant et en leur répondant.
(Mais j'imagine que pour ce qui est de la violence verbale, elle découle du fait que les hommes préhistoriques devaient pousser leurs cordes vocales pour communiquer entre eux dans le feu de l'action d'une chasse au mammouth, alors que les femmes préhistoriques fermaient leur gueule naturellement en tannant les peaux au fond de leur caverne. Et puis c'est bien connu, y a aucune continuité entre la violence verbale et la violence physique, donc je suis hors sujet.)
Voici pour la première anecdote, et voici la seconde. Vous allez voir qu'elle est complémentaire de la première et qu'elle invalide les possibles réponses malhonnêtes du type "t'es une feignasse trouillarde qui ose pas bouger et je refuse de faire l'effort de retourner ton histoire dans ma tête pour voir ce que je peux en apprendre".
Un soir à Lyon toujours, dans le bus bondé avec une poignée d'amis. Deux femmes à côté de moi commencent à se battre. Immédiatement et spontanément - ces deux adverbes ont leur importances -, je me suis interposée pour les séparer. Celle qui avait sauté sur l'autre était vraiment furibarde et ça n'a pas été évident.
Peu après, un des amis avec qui j'étais a salué mon geste et mon "courage".
Et puis j'ai réalisé que, si mon geste avait été si immédiat et spontané, c'est parce qu'à aucun moment, je ne me suis sentie en danger. J'aurais réagi différemment si ç'avaient été deux hommes, ou une femme et un homme. J'aurais, cette fois encore, imaginé des dangers improbables - qu'un homme se retourne contre moi et me frappe, ou sorte un couteau, et que sais-je encore. Et j'aurais pris le temps de peser le pour et le contre, l'urgence de l'intervention et le danger fantasmé pour moi.
Mais là, je n'ai ressenti aucune peur, aucune barrière. Je n'ai pas été courageuse mais seulement sensée et responsable.
Je n'ai ressenti aucune peur ni aucune barrière parce que c'étaient des femmes et que j'ai appris à ne pas me sentir en danger face à des femmes.
Moi aussi, j'ai appris qu'une femme ne se défend pas.
J'ai appris à ne pas avoir peur d'une femme.
J'aimerais savoir en quoi la nature explique ces deux anecdotes. Laissez-moi prendre un fauteuil, du pop-corn, une boisson fraîche, et je vous écoute.
Ces anecdotes n'ont pas vocation à constituer un argumentaire mais une illustration, une mise en évidence des déterminismes sociaux extrêmement puissants et violents et intériorisés bien profond dans nos têtes.
Ces anecdotes rendent visibles certaines failles dans l'idée, préconçue, absconse, d'une violence masculine naturelle envers les femmes, dans le contexte d'un système de hiérarchisation entre les genre qui est structuré autour de la violence masculine envers les femmes.
Evidemment, il est possible d'écarter les questions que soulèvent ces exemples. C'est toujours possible.
De la même façon, je ne vois guère de réaction à l'argumentaire de Catherine Vidal posté par Usagi, alors qu'il s'agit de la référence en la matière et que ça ferait avancer le raisonnement et le discours d'une personne sincèrement disposée à apprendre.
De la même façon, vous êtes en train de vous échiner à prouver que la comparaison soulevée par Usagi entre violence sexiste et violence raciste n'est pas valable, parce-que-c'est-pas-pareil. Posez-vous vraiment la question de ce que ça peut vous apprendre, bon sang.
C'est de la malhonnêteté intellectuelle, et elle est toujours possible. De la même façon qu'on peut remettre en questions la pertinence d'une illustration, d'un argument, voire d'un chiffre ("les femmes gagnent 27 % de moins que les hommes ? Je suis sûr que ton chiffre date et qu'aujourd'hui c'est moins" : on me l'a dit), voire d'une étude entière.
Inversement, l'honnêteté intellectuelle, c'est réaliser que notre point de vue est toujours biaisé car nous voyons le monde à travers le prisme de constructions sociales omniprésentes (la domination masculine, la domination des humains sur les animaux, le capitalisme ; j'en passe), des constructions qui sont toujours à interroger, toujours à ronger brique par brique. Toujours à déconstruire, quoi. L'honnêteté intellectuelle, c'est discuter dans le but de trouver dans le discours de la personne en face, discours nouveau, minoritaire, donc plus en avance que soi dans la déconstruction, d'aller chercher dans ce discours les outils, les questionnements pour briser un peu plus de briques et voir un peu plus de jour. C'est faire l'effort d'aller chercher ces questions, de secouer le discours de l'autre dans tous les sens pour en tirer la moindre goutte. De chercher les failles dans son propre discours et à l'inverse, de recevoir celui de l'autre malgré ses inévitables maladresses et imprécisions, et même si l'autre n'est pas un brillant rhéteur ou une brillante rhéteuse. (Le correcteur orthographique de Végéweb ne connaît pas le mot rhéteuse, comme par hsard. Je l'emmerde.)
Alors seulement, si l'autre dit de la merde, nous pouvons nous en rendre compte - ayons confiance en notre propre jugement : nous nous en rendrons compte - et nous aurons la légitimité pour le dire.