Voici l'intégralité des échanges mail avec cette personne:
Premier mail, adressé mi-septembre à Mme R, responsable "développement durable", inspectrice de sciences de la vie et de la terre dans l'académie de Versailles.
Bonjour,
je suis professeure de mathématiques au lycée-EREA Toulouse Lautrec de Vaucresson, pour élèves handicapés moteurs et valides. Je prépare également un doctorat d'Histoire des sciences sur la question de la critique écologique de la croissance dans les années 1970, et les projets alternatifs de développement. A ce double titre, je souhaiterais vous faire part d'un projet que j'aurais pour les établissements scolaires de l'Académie de Versailles, qui viserait à mettre en application concrètement la notion de "développement durable", dont nous parlons beaucoup aux élèves.
Etant particulièrement préoccupée par l'impact des gestes quotidiens sur l'état de notre planète, je veille à ne pas y peser trop lourd, et porte attention à mes modes de déplacement, d'alimentation, et de consommation en général.
Aussi suis-je frappée de constater que dans nos établissements scolaires, si le discours est au respect de l'environnement, les pratiques ne sont pas toujours à la hauteur des mots.
Ainsi, le mode d'alimentation proposé à nos élèves, très carné et composé de produits de l'agriculture intensive, a de lourdes conséquences en terme d'effet de serre, de gaspillage d'eau et d'énergie.
Partant de cette considération, je serais très motivée pour participer à la création d'une "journée de l'alimentation durable", qui aurait lieu dans les collèges et lycées, et initierait de nouvelles pratiques, nécessaires à la "durabilité" de notre société. Il s'agirait de proposer aux élèves un menu responsable en terme d'empreinte écologique, et de
leur diffuser une information à ce sujet.
Ce serait l'occasion de valoriser le bio, le commerce équitable, et la cuisine végétarienne. Une information en terme de santé serait communiquée, qui pourrait s'appuyer par exemple sur les recherches de l'Institut Pasteur de Lille. L'équipe du Professeur Lecerf y est convaincue des bienfaits d'une alimentation moins lourde en protéines animales, et forme de nombreux professionnels de la restauration collective dans cette optique.
Quelques chiffres-clés pour vous convaincre du bien-fondé d'une telle opération :
- si tout le monde voulait manger autant de produits animaux que les Français, il faudrait une surface agricole de 2,3 fois celle de la Terre
- chaque JOUR où un Français moyen décide de ne pas consommer de calories animales et de les remplacer par les calories végétales, il économise indirectement, en
eau, l'équivalent de 270 douches!
- produire un kilo de boeuf, c'est émettre 50 fois plus de CO2 que produire un kilo de blé.
Très motivée pour lancer cette opération, je suis prête à mettre à votre disposition mes compétences dans les domaines de l'écologie et de la santé, ainsi que celles du groupe d'enseignants motivés par l'"écologie pratique", dont je fais partie. Nous avons également
dans nos connaissances plusieurs personnes qualifiées sur ces questions (médecin, diététicienne, spécialistes de l'empreinte écologique...), qui seraient disponibles pour prêter main-forte à un tel projet.
Dans l'attente de votre réponse, je vous prie de croire en l'assurance de mes sentiments respectueux.
EVB.
Deux semaines (et pas de réponse) après ce mail, je relance Mme R. Toujours pas de réponse. Un mois après, je la relance, et voici ce qu'elle me répond.
Madame,
J'ai effectivement tardé pour répondre à votre demande je vous prie de m'en excuser.
Comme mon ordinateur est tombé en panne il y a quelques jours je n'ai plus le contenu de votre message mais je souhaite vous répondre sur le fond.
Nous travaillons nous-mêmes (inspecteurs de l'académie) en équipe pluri-disciplinaire et sommes très soucieux d'aider les équipes pédagogiques à mettre en place des projets d'établissement ou de classe qui fassent réfléchir les élèves aux problématiques du développement durable.
Il est en effet indispensable de former aujourd'hui des jeunes capables de faire des choix éclairés et capables de prendre leurs responsabilités de citoyens.
Mais votre message m'a senblé très engagé, très militant,
Si j'ai bien compris le fond de votre message et au regard des missions des enseignants (Circulaire n°97-123 du 23/05/1997 ) votre engagement dépasse les limites de votre rôle d'éducateur, neutre et respectueux du libre choix des adolescents qui vous sont confiés.
Je vous invite donc à réorienter votre action en faveur du développement durable, dans le champ que vous explorez si vous le souhaitez, mais en veillant à respecteur le devoir de neutralité qui est attaché à votre fonction. Pour cela vous pouvez faire appel à votre chef d'établissement pour discuter avec lui des modalités possibles de mise en place d'un projet sur l'alimentation en relation avec l'EDD dans un esprit plus conforme à l'éthique que l'éducation nationale met en place dans ses établissements publiques.
Recevez Madame, mes salutations distinguées
FR
IA-IPR de SVT
correspondant académique pour l'EEDD
Académie de Versailles
Voici ma réponse (écrite vendredi).
Madame,
Je suis impliquée depuis plusieurs années dans des actions de sensibilisation environnementale, et je remarque qu’il se produit toujours la même chose :
lorsque nous incitons les personnes à maîtriser leur consommation d’eau ou d’énergie à des fins de respect de l’environnement, en remplaçant la douche par un bain ou en se rendant au travail à vélo, tout se passe bien.
Lorsque nous évoquons l’impact écologique de l’alimentation, nous touchons à un tabou, et nous voyons qualifiés de militants. Et pourtant, les chiffres sont là ! Comme je vous l’ai écrit dans mon premier mail, ne pas consommer de protéines animales UN SEUL JOUR équivaut à économiser l’eau de 270 douches. Le chiffre est éloquent.
Dans mon établissement, la promotion du « développement durable » se réduit à une exposition d’affichettes sur papier glacé au CDI. Une énorme quantité de papier est gâchée pour les photocopies, le recyclage est impossible, et, comme je vous l’ai écrit (mais vous considérez qu’il s’agit de militantisme d’en parler), les repas servis sont une véritable aberration écologique.
Aujourd’hui, des organisations politiques comme Les Verts, mais aussi des consultants qualifiés sur les questions d’environnement, comme Jean-Marc Jancovici, qui anime le brillant site
http://www.manicore.com, reconnaissent la nécessité de modifier nos pratiques alimentaires pour maîtriser notre empreinte écologique.
Je trouve donc cela très regrettable que vous ne preniez pas mon projet au sérieux, et surtout, je ne comprends pas.
Cela m’afflige d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un projet personnel, mais que la défense de l’environnement est déterminante pour l’avenir de notre société.
EVB.