En fait...
Je vais revenir sur cette histoire de responsabilité directe, indirecte, mais en l'extrayant du contexte élevage/carnisme, parce que c'est intéressant.
La responsabilité, quand il s'agit d'un homme qui tue un autre homme à mains nues, on la voit parfaitement, c'est direct.(En faisant l'hypothèse que rien ne l'y obligeait, que les deux vivaient dans deux jardins séparés, qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêt. C'était un choix totalement libre du meurtrier. On fait même l'hypothèse que ce sont deux véganes parfaits.) S'il ne l'avait pas tué, l'autre aurait pu continuer à jouïr de sa vie. Il a fait le choix de le tuer, il l'a privé de sa vie, c'est sa responsabilité/culpabilité.
Si on met maintenant quatre responsables potentiels sur le coups, on peut créer un système vachement plus sournois.
A-1) Imaginons que nos quatre responsables soit hiérarchiquement dépendants les uns des autres. Un grand chef => un petit chef => un exécutant => un bourreau.
Le premier donne l'ordre au second de faire la victime. Le second transmet l'ordre à l'exécutant de faire tuer la victime. Le troisième donne l'ordre au bourreau de tuer la victime. Tous ont la capacité soit d'obéir, soit de désobéir. Habituellement, tout le monde obéit, et tout le monde en est conscient, même si la pression n'est très forte (Au pire, on perd son boulot.). Et personne ne tue sans ordre, ni ne donne l'ordre de tuer sans avoir reçu l'ordre préalable (sauf le grand chef).
Qui est responsable dans cette chaîne ? Qui a tué la victime ? Si l'un d'entre eux n'avait pas donné ou transmis l'ordre, la victime serait encore en vie. Chacun savait qu'il y avait toutes les chances que son ordre soit respecté. Et chacun avait la liberté de désobéir. Tout le monde est responsable. Donc qui a tué ?
A-2) Même fonctionnement, mais présenté différemment :
Une personne est attachée sur une table, avec quatre perfusions.
Chaque perfusion est reliée à une dose distincte de produit mortel. Si les quatre perfusions sont enclenchées ensemble, la personne mourra. Si seulement trois d'entre elles sont enclenchées, la personne vivra.
Chacune de ces quatre perfusions est déclenchée par une personne distincte, qui va devoir choisir si elle appuie sur son propre bouton ou pas.
Donc pour que la personne meurt, il faut que tous les "responsables" fassent le choix de tuer. Est-ce qu'ils sont tous entièrement responsables de la mort de la personne ? Ou est-ce que c'est seulement le dernier à actionner son bouton qui responsable ?
Cette métaphore, c'est le principe de la lapidation/lynchage. Tout le monde jette une pierre/donne un coup. Personne n'est le tueur, mais c'est la somme des pierres/des coups qui tue la personne.
(D'un point de vue de logique booléenne, c'est "or", un "ou".)
B) Maintenant, on change la configuration :
Une seule dose de ces quatre perfusions peut tuer le personne attachée.
Si l'un d'entre eux n'actionne pas son bouton, alors qu'un autre l'a fait, ça ne changera rien à la situation, la personne mourra quand même. Tout le monde peut se dire "Ça ne change rien que j'appuie sur mon bouton, puisqu'il mourra quand même.".
Cette métaphore, c'est le principe de l'exécution par fusillade où tout le monde aurait un fusil chargé. Quelle balle est la tueuse ?
(Dans les faits, je crois que c'est encore plus sournois que ça, puisqu'il me semble que dans une exécution, souvent, certains fusils sont chargés à blanc, et d'autre chargés d'une balle. Mais personne ne sait lesquels sont à blanc. Ça permet à tout le monde de se sentir encore moins coupable. Sauf que ça ne change rien au fait que si aucun fusil chargé ne tire, l'exécuté ne meurt pas... Chacun est donc bien responsable de son fusil.)
(D'un point de vue de logique booléenne, c'est "and", un "et".)
C) On peut encore changer le système, et mettre quatre personnes tuées d'un coup, au lieu d'une seule, selon le principe A ou le principe B. Est-ce que chaque exécuteur est responsable de la mort d'une seule personne ou des quatre ?
D) Mais on peut encore encore changer le système, et cette fois, faire un nombre de victimes proportionnel au nombre de choix positifs... Si un personne vote, il y a un mort. Deux votants, deux morts. Trois votants, trois morts. Quatre votants, quatre morts. La responsabilité est du coup plus facile à calculer.
Et dans le principe du carnisme, du point de vue responsabilité des consommateurs, ça fonctionne bien comme ça.
Seulement, dans le principe du carnisme, il y a aussi tout un système de participants qui ne sont pas consommateurs, et qui entrent plutôt dans des processus A et B.
C'est à dire :
S'il n'y avait plus d'éleveurs ET chasseurs OU plus de boucher OU plus de tueur d'abattoir OU plus de consommateurs, alors il n'y aurait plus d'animaux tués.
Autrement dit :
Pour qu'il y ait des animaux tués, il faut qu'il y ait
Des éleveurs OU des chasseurs
ET des tueurs d'abattoirs
ET des bouchers
ET des consommateurs
Chaque groupe peut donc rejeter la faute sur les autres groupes. Et dans un même groupe, les éleveurs peuvent rejeter la faute sur les autres éleveurs, les tueurs d'abattoir sur les autres tueurs d'abattoirs, les bouchers sur les autres bouchers. Seuls les consommateurs ne peuvent pas (à moins de mauvaise foi) rejeter la faute sur les autres consommateurs (puisque chaque consommateur demande à faire tuer sa part calculable proportionnellement).