"Connaissez-vous l'étude qui prouve que les juges sont plus indulgents après le déjeuner qu'avant? Pour moi, elle résume le raisonnement humain. Il est pratiquemment impossible de désenchevêtrer la prise de décision rationnelle des prédispositions mentales, des valeurs sub-conscientes, des émotions et du système digestif. Selon la science cognitive, les rationalisations s'effectuent surtout a posteriori. Nous avons une mentalité duale qui suggère immédiatement des solutions intuitives, bien avant que nous ayons réfléchi au problème, puis engage un second processus, plus lent, de tri de ces solutions en fonction de leur qualité et de leur réalité. Si ce second processus nous aide à justifier nos décisions, présenter ces justifications comme les vraies raisons est un tour de passe-passe grossier. Néanmoins, nous le faisons en permanence, comme l'esclavagiste qui dit qu'il rend service à ses esclaves ou le fauteur de guerre qui jure que son seul but est de libérer le monde ´un tyran. Nous sommes doués pour trouver des raisons adaptés à nos objectifs. Jonathan Haidt a mis à nu cette tendance dans les raisonnements moraux : il la compare judicieusement à la "queue qui remue le chien". Les fondements que nous attribuons à notre conduite ne reflètent guère nos motivations réelles. Pour citer l'élégante formule de Pascal, " le coeur a ses raisons, que la raison ne connaît point"."