(Suis nouvelle, ceci est aussi un peu un post de présentation, bonjour tout le monde, et attention c'est super long.)
J'ai toujours rejeté la nourriture se présentant sous la forme d'animaux entiers : crevettes, coquillages, poissons de petite taille. Longtemps cela m'a paru (et a paru aux yeux de mon entourage) être une sorte de phobie, de sensiblerie, bref un genre de problème psychologique. Aujourd'hui, avec le recul, et maintenant que je me suis documentée sur la question, j'y vois évidemment le lien viande-animal qui se connectait dans mon cerveau, mais sans que ce soit intellectualisé, formulé comme tel. En particulier, les yeux des poissons et crevettes, c'est un truc qui m'a toujours mise horriblement mal à l'aise, l'impression d'un reproche venant de l'assiette, ce regard braqué sur moi, et l'envie de fuir, de me cacher sous la table. Sinon, l'autre élément présent de manière assez spontanée dans mon esprit, c'était un étonnement face aux distinctions entre les espèces animales et l'usage qu'on en fait : sur le principe, les mangeurs de chiens ou de chats ne m'ont jamais spécialement choquée (pourquoi ça poserait plus de problème que de manger du poulet ?) et j'ai toujours trouvé un peu bizarre les gens qui refusent de manger un animal spécifique en raison de sa mignonitude (cheval, lapin). En gros, je me suis toujours plus ou moins dit, soit on mange les animaux, soit on ne les mange pas, sinon ce n'est pas logique.
Je suis devenue végétarienne à 16 ans, mais j'ai arrêté à 20. À l'époque, pas de motivation claire. Ni santé, ni droit des animaux, ni écologie, rien. Juste une sorte de sentiment flou comme quoi la chair animale dans ma bouche, c'est une sensation que je ne désire pas. Je suppose que ça m'a aussi servi de truc identitaire, être différente, tout ça. Mais il n'y avait pas de socle fort, de conviction derrière. Je me rappelle notamment que je disais : oh, je ne suis pas contre le fait qu'on tue les animaux pour les manger, après tout c'est la nature, c'est simplement que moi la viande cela ne m'intéresse pas. Mes parents l'ont bien accepté, ma mère me faisait même des plats au soja texturé et tout ça. Cependant c'était pénible chez les gens, quand j'étais invitée, j'avais du mal à assumer, surtout dans un contexte familial. Alors je ne sais plus trop comment, mais j'ai repris la viande, sans jamais devenir une grosse consommatrice (essentiellement au restaurant ou chez des amis), avec une nette tendance à me tourner vers des "aliments-œillères" : saucisson, poisson pané, nuggets de poulet, etc., soit des trucs bien propres et carrés dont la forme est très éloignée de celle de l'animal. Et puis j'ai fini par quasi oublier que j'avais été végétarienne. Mon seul "souci" des animaux se traduisant par l'achat d'œufs de poules élevées en plein air.
Et c'est là, depuis quelques mois, à 30 ans passés, que je suis redevenue végétarienne, et d'un végétarisme très différent. Le processus prend sa source dans l'affaire de la viande de cheval dans les lasagnes (voyez comme c'est récent). Quand on a commencé à en parler dans les médias, il y a eu pas mal d'articles sur l'industrie de la viande en général, je suis tombée sur un article de rue89 faisant référence au bouquin de Nicolino, et de fil en aiguille, de clic en clic, j'ai commencé à m'intéresser à la question des conditions d'élevage des animaux. Alors même que j'avais toujours eu vaguement conscience du fait que les conditions d'élevage étaient problématiques, cela m'est subitement apparu comme un scandale inacceptable et incompréhensible, un truc barbare dont l'humanité du futur aurait honte, tout comme nous avons honte aujourd'hui du massacre des Indiens, de l'esclavage ou des camps de concentration.
Partant de là, la première étape a été de dire : je ne mangerai plus de viande torturée, c'est-à-dire provenant d'animaux n'ayant pas été élevés dans de bonnes conditions. Alors j'ai cessé de manger de la viande dehors, et à la maison, c'était uniquement du bio ou label rouge. Sauf que plus je creusais la question, et plus je réalisais que 1) ces labels n'étaient pas forcément une garantie de "bonne vie" pour les animaux, et que 2) il restait le problème des abattoirs. J'ai peu à peu réalisé que le principe "je ne mange que de la viande heureuse" était intenable, et je suis passée végétarienne (ce qui est du reste beaucoup plus simple dans la pratique). En parallèle, j'ai continué mes lectures et j'ai découvert avec horreur ce qu'on faisait aux poussins mâles des poules pondeuses, comment se passait les choses pour les veaux et les chevreaux. Cela a été un vrai choc, car autant pour l'élevage, je me doutais bien que cela ne pouvait pas être éthique, autant pour le lait et les œufs, je pensais en toute bonne foi que cela n'impliquait pas forcément de souffrance pour les animaux. Actuellement, j'essaie de transiter vers le végétalisme (je le suis à la maison et au restaurant, mais pas - ou pas encore - chez les gens). Sinon, pour accompagner mes réflexions, j'ai lu des tonnes de bouquins et de blogs, j'ai adhéré à L214, bref j'ai fait en quelques mois un parcours assez accéléré ! Et pour tout vous dire, je ne comprends pas comment j'ai pu ne pas me soucier de cette question pendant des années. Le 24 décembre 2012, je servais du foie gras à mes invités, avec un grand sourire...
Concernant le déclic, parce que forcément la question qui se pose c'est pourquoi un déclic à l'occasion de cette histoire de viande de cheval (qui est anecdotique au fond, c'est juste que grâce à cette affaire, les infos sur l'élevage industriel étaient plus visibles qu'en temps normal) et pourquoi pas avant. J'ai recueilli un chaton nouveau-né (abandonné par une chatte sauvage) il y a environ un an (donc avant mon début de réflexion sur la condition animale). J'ai passé des semaines à le nourrir au biberon, à en prendre soin comme jamais je n'avais pris soin d'aucun être vivant. Je crois que cette expérience a joué un rôle essentiel, car quand je me suis trouvée confrontée aux infos sur l'élevage industriel, je me suis dit : comment tu peux consacrer autant d'énergie à un chaton (après tout la vie ou la mort de ce petit chat n'aurait eu aucun impact notable sur la marche du monde) d'un côté, et de l'autre cautionner la maltraitance de millions d'animaux ? Bon, sinon le chaton va bien, c'est un beau chat adulte maintenant.
Par ailleurs, ma réflexion a aussi évolué, au départ j'étais vraiment centrée sur le bien-être animal, aujourd'hui j'ai plus tendance à être contre la viande en général. Et là encore c'est un peu l'histoire du chaton qui m'a aidée : quand j'ai décidé de le recueillir, ce n'était pas pour qu'il ait du bien-être, c'était pour qu'il reste en vie. Cela va vous paraître fou, mais il n'y a que très récemment que j'ai réalisé qu'on tuait les animaux quand ils étaient jeunes, et que donc on interrompait leur vie de manière précoce, ce qui est un autre problème que celui des conditions de l'abattage.
Dernier truc : il m'est arrivé, ces dernières années, de me (re)poser la question du végétarisme, sans trop de réflexion derrière, juste avec l'intuition que c'était une pratique moralement bonne. Et un des plus grands freins, la raison pour laquelle je ne suis pas allée plus loin, c'est une réflexion entendue (de la bouche d'un gros viandard, c'est tout le paradoxe) comme quoi "les végétariens qui portent du cuir ne sont pas crédibles". Ca m'a énormément bloquée, j'avais l'impression que devenir végétarien impliquait de devenir totalement irréprochable, cela me semblait au-dessus de mes forces, et en plus j'avais l'impression qu'être végétarien impliquait de devoir rendre des comptes de tous ses faits et gestes, d'être soumis à une sorte de contrôle éthique permanent. C'est finalement une discussion avec une collègue végétarienne (la seule que je connaisse) qui m'a débloquée lors de ma transition : je lui ai demandé comment elle gérait les attaques du genre "tu es végétarienne mais tu fais ci ou ça qui est mauvais pour les animaux, tu es incohérente" et elle m'a dit, "eh bien je réponds que je ne suis pas parfaite et que je ne prétends pas être parfaite". C'est tout bête, mais ça m'a énormément déculpabilisée, je me suis dit ok, donc on a le droit d'être végétarien et de ne pas être parfait à 100%, le choix ce n'est pas forcément tout ou rien, ça peut aussi être "je fais ce que je peux".
Niveau état d'esprit, je suis passée par plein de phases à partir de ma prise de conscience : désespoir profond (le monde est affreux, j'ai honte d'être une humaine, le seul geste éthique serait le suicide) ; une sorte d'exaltation (nous les végés, sommes les éclaireurs, plus tard on dira de nous que nous étions les seuls lucides) ; une joie simple (je suis en accord avec moi-même, je peux regarder mon chat dans les yeux sans rougir) ; des accès d'intégrisme (bande de salauds comment pouvez-vous continuer à manger de la viande maintenant que vous savez, que je vous ai raconté ?). Bon, j'espère me stabiliser prochainement !