Ci-dessous un article du Monde d'aujourd'hui qui fait le point sur l'enjeu de la cause animale dans le contexte de la présidentielle.
La cause animale au menu de la présidentielle ?
Jadis marginalisée ou moquée, la cause animale s’est clairement transformée en un sujet légitime pour les responsables politiques français.
LE MONDE | 13.02.2017 à 06h42 • Mis à jour le 13.02.2017 à 11h27 | Par Audrey Garric
Jamais les animaux n’ont été si présents dans l’arène politique. Depuis quelques mois, les propositions de loi sur le bien-être des bêtes se succèdent, un parti animaliste a vu le jour et un collectif de 26 ONG interpelle les candidats aux prochaines élections présidentielle et législatives sur l’élevage, la chasse ou encore la corrida. Jadis marginalisée ou moquée, la cause animale s’est clairement transformée en un sujet légitime pour les responsables politiques français.
Dernière preuve en date, 33 députés de tous bords politiques viennent de déposer une proposition de loi destinée à améliorer sensiblement la protection des animaux vivants durant leur transport. Certes, le texte n’est pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et son avenir serait plus que compromis dans l’hypothèse où le Parlement basculerait à droite en juin. Mais par sa seule existence, cette proposition de loi prépare le terrain pour la suite. Elle stimule la réflexion, accroît la sensibilité et la connaissance des députés sur ces sujets complexes, à la croisée des enjeux environnementaux, sociétaux et économiques.
Avant elle, une autre loi a suscité de vifs débats : celle relative au respect de l’animal en abattoir, défendue là encore par 33 députés – pas tout à fait les mêmes. A la surprise générale, l’Assemblée nationale a adopté, le 12 janvier en première lecture, l’obligation de la vidéosurveillance dans les abattoirs à partir du 1er janvier 2018, la mesure-phare du texte. Si les autres dispositions ont pour la plupart été retoquées, l’avancée n’en est pas moins notable. La proposition de loi, forte de l’écho qu’elle a reçu, pourrait être inscrite à l’ordre du jour du prochain Sénat – même si elle risque d’y être définitivement détricotée.
Quel que soit le destin de ce texte, le mouvement est enclenché. Les chiffres en attestent : 36 propositions de loi favorables à la cause animale ont été déposées à l’Assemblée et au Sénat au cours de la législature actuelle, contre 24 lors de la précédente (2007-2012) et seulement 10 pour celle d’avant (2002-2007). Surtout, ces derniers mois ont connu deux événements inédits : pour la première fois en quinze ans, l’un de ces textes, celui sur les abattoirs, a été discuté en séance publique. Et, fait unique également, une commission d’enquête a été créée sur ce sujet.
Les députés l’ont bien senti : l’attente de leurs électeurs est forte. La succession de scandales de maltraitance dans des abattoirs ou le foisonnement de livres d’intellectuels et de colloques, fortement relayés par les médias et sur les réseaux sociaux, ont accéléré la prise de conscience de l’opinion publique et la demande d’une société plus respectueuse des droits des animaux, reconnus comme des êtres sensibles par la science comme par le code civil.
Cause légitime devenue accessoire
Au-delà du Parlement, les partis évoluent aussi, peu à peu. En 2015, Europe Ecologie-Les Verts a amorcé le mouvement. Depuis, l’UDI, le Parti de gauche, Debout la France, le Front national et Nouvelle Donne ont emboîté le pas : la majorité d’entre eux se sont dotés d’une commission sur la condition animale ou, à défaut, d’un secrétaire national ou d’un groupe de travail. Manquent deux grands absents : le Parti socialiste et Les Républicains, qui passent à côté d’un changement de société majeur.
Quant aux candidats à la présidentielle, ils commencent à s’emparer du sujet. Pour la première fois, le bien-être animal apparaît dans leurs programmes. Ici, Yannick Jadot (EELV) appelle à lutter contre la souffrance des bêtes et à interdire l’élevage industriel. Là, Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) souhaite végétaliser l’alimentation et redéfinir les normes d’élevage, tandis que Benoît Hamon (PS) promet un plan contre la maltraitance des animaux. Marine Le Pen (FN), enfin, veut faire de leur protection une priorité nationale, quand bien même il ne s’agit que de sa 137e proposition (sur 144).
Reste que dans le débat présidentiel, le sujet est éclipsé et ne parvient pas à rivaliser avec le chômage, la sécurité ou les déficits publics, comme si ces thématiques ne pouvaient coexister. La cause animale, tout aussi légitime qu’elle soit devenue, reste ainsi totalement secondaire, si ce n’est accessoire.
Parmi les raisons de cette frilosité, figure en bonne position l’influence des lobbys, tout particulièrement celui de l’industrie agroalimentaire – dont la production de viande est le premier ingrédient –, des agriculteurs de la FNSEA et des chasseurs. Même si ces derniers perdent du terrain, leur emprise reste forte, particulièrement en période électorale. D’autant plus qu’ils peuvent compter sur de puissants relais.
Le groupe chasse de l’Assemblée nationale compte ainsi 115 membres, tandis que celui du Sénat rassemble 87 adhérents, soit respectivement un cinquième et un quart des deux chambres ! Les partis de gouvernement, qui ont sans doute le plus à perdre, ne peuvent ni ne veulent compromettre leur réélection faute de les avoir suffisamment courtisés. En outre, pèse le poids des habitudes, des traditions, de notre patrimoine culturel et gastronomique.
Mais c’est finalement la société dans son ensemble qui est fondée sur l’utilisation perpétuelle et généralisée des animaux. Le personnel politique, comme une majorité de Français, ferme les yeux sur les 30 millions de bêtes tuées chaque année par la chasse, de même que sur le milliard de celles que l’on abat pour se nourrir. Pour les consommateurs comme pour les élus, le paradoxe de la viande commence dans l’assiette.