Vraiment désolée pour le pavé : à question complexe, réponse complexe...
Selon l'éthologie (d'après ce que j'en ai lu dans
L'Ethologie, Histoire naturelle du comportement par Renck et Servais), les animaux obéissent soit à leur intérêt individuel selon le principe du "gène égoïste", soit à leurs préférences personnelles mais seulement quand la transmission des gènes n'est pas en jeu ; c'est-à-dire que leur comportement, même s'il nous semble "vicieux" ou "altruiste", n'a qu'un but : maximiser les chances de l'individu de transmettre ses gènes, ou en tout cas ne pas les entrâver (donc pas seulement survie de l'individu mais aussi survie d'un maximum de progéniture ou de membres de la famille ayant un important ratio de gènes communs, ce qui peut mener à des stratégies très complexes, qui voient à long terme et qui parfois à première vue peuvent sembler aller contre ce but, mais en fait non). Et ça ne veut surtout pas dire que les autres animaux n'ont pas de conscience ou pas de personnalité. Juste qu'en plus de ces choses là, ils ont un instinct (au sens de "prédisposition à faire certaines choses correctement") qui les guide assez efficacement en général quant à la meilleure manière d'assurer le nombre et la survie de leur descendance. Mais il reste quand même des tas de "temps morts" ou de situations sans enjeu vital dans la vie d'un animal où il peut développer une personnalité, des préférences aléatoires. Quand il s'agit de transmission des gènes, l'animal non-humain peut faire preuve d'une "abnégation", d'un dévouement à la tâche absolus ; mais le reste du temps,
les corbeaux peuvent faire de la luge sur les toits enneigés.
Le bouquin donne des avalanches d'exemples, je ferai un article dessus un de ces jours. En tout cas il m'a persuadée qu'il y a de grandes chances que ce soit effectivement le cas : les animaux (dans leur cadre naturel, sans intervention de l'homme), ont toujours des raisons de faire ce qu'ils font, et généralement, la raison a à voir avec la transmission de leurs gènes spécifiques.
Le problème, c'est que de notre point de vue humain (donc biaisé), on a énormément de mal à s'en apercevoir. Mais il semblerait qu'à chaque fois qu'un comportement nous semble aberrant, l'animal (en conditions naturelles) ait en réalité "une idée derrière la tête" en quelques sortes, que nous sommes incapables de voir intuitivement. En gros il faut nous pencher sur chaque exemple de comportement pour finir par en revenir à la même conclusion : ça sert (ou au moins ne dessert pas) sa capacité de procréer (dont entre autres sa survie) ou la transmission de ses gènes (malheureusement, on se sent obligés, à chaque fois, de pratiquer des expérimentations atroces pour s'en rendre compte - rendre aveugle, sourd, isoler socialement, mutiler, etc...).
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis très sceptique quant à
l'histoire des rats "altruistes" ou doués d'empathie. Ils le sont en effet, mais à mon avis pour une raison particulière et envers des individus particuliers : le rat enfermé est peut-être l'enfant / le frère / la soeur de l'autre ? N'y a-t-il pas de grandes chances qu'en laboratoire les rats proviennent d'une même portée ? S'ils ont des gènes en commun, le rat libre a de réelles raisons de servir la survie de l'autre, qui participera à la transmission d'une partie de ses propres gènes - c'est un comportement attesté chez le martin-pêcheur par exemple, grâce aux équations d'Hamilton,
théorie de la sélection de parentèle. Extrait de l'article de wikipédia :
La confirmation expérimentale est époustouflante, l'existence du mécanisme est démontrée pour presque tous les groupes zoologiques des amibes aux mammifères en passant par les cœlentérés, insectes, poissons, amphibiens, oiseaux, etc. De plus, pour plusieurs espèces, la précision des mécanismes atteint parfois un niveau inespéré allant jusqu'à la distinction des frères des demi-frères, des demi-frères des neveux et ces derniers des cousins germains et ceci sans rencontre préalable des sujets.
La majorité des actions en faveur de soi-même ou des autres membres d'une même espèce serait donc basée sur le degré d'appartenance à la même famille, partageant un certain degré de génome commun, génome qu'un individu a pour "mission" de perpétuer le plus possible. Finalement, toute exception (animal desservant sa survie, comme l'exemple du dauphin qui se suicide, si et seulement si cet exemple est avéré) serait une défaillance de l'instinct ou la conséquence d'un changement d'environnement auquel l'instinct n'a pas eu le temps de s'adapter.
Et si on part de ça, j'ai une opinion sur ce que serait "le propre de l'homme" par rapport à ce qui semble guider le comportement des autres animaux (la transmission des gènes, rendue efficace par la nécessité
presque absolue de suivre son instinct). L'être humain aurait un instinct particulièrement défaillant, ne connaîtrait pas nécessairement les règles à suivre pour perpétuer efficacement et durablement son espèce (la surpopulation n'étant pas ce que j'appellerais une méthode durablement efficace), ou en tout cas pourrait trop facilement s'en affranchir. Il me semble que c'est souvent par égoïsme, par ignorance ou par bêtise qu'on nuit même à ceux qui nous sont très proches, un comportement que l'instinct des animaux non-humains ne semble par leur autoriser. Je partage ainsi en partie l'avis de Derrida (voir
mon article sur son bouquin, sous-section "La question du propre de l'homme"). Version courte, une citation de Derrida :
On ne saurait parler, on ne le fait jamais d'ailleurs, de la bêtise ou de la bestialité d'un animal. Ce serait là une projection anthropomorphique de ce qui reste réservé à l'homme, comme la seule assurance, finalement, et le seul risque, d'un "propre de l'homme".
C'est un peu provocateur, mais j'ai l'impression qu'il y a du juste là-dedans. Notre "propre" par rapport au reste du monde animal serait d'avoir la possibilité de faire des choses stupides, insensées, qui ne servent pas, surtout à long terme, la transmission de nos gènes. Nous serions les seuls à être capables d'autodestruction, par des tas de moyens plus "créatifs" les uns que les autres (suicide, dégradation de l'environnement, guerres absurdes, système réduisant les individus à la misère/la mort...). Et on ne s'autodétruit pas volontairement, mais parce qu'on est aveuglés par la notion de plaisir, qui domine nos vies : nous mettons pratiquement tous nos efforts dans la recherche de toujours plus de plaisir (dont les plaisirs abstraits : sentiment de supériorité, etc.), comme s'il n'y avait que ça qui comptait, quitte à brûler la vie par les deux bouts (la nôtre et celle des autres y compris de nos descendants). Comme s'il nous manquait un guide pour nous montrer quoi faire pour que tout aille au mieux. Comme si on avançait à l'aveugle. Puisqu'on peut faire ce qu'on veut, en ignorant ce que notre instinct nous inciterait à faire s'il était efficace, on fait surtout des conneries, parce que réfléchir aux conséquences à long terme de nos actes est super compliqué. C'est d'ailleurs peut-être la seule raison pour laquelle nous avons des capacités intellectuelles plus développées et avons développé la notion de morale : pour tenter de pallier un peu la défaillance de notre instinct.
Du coup, la technologie par exemple : en général on en est fiers parce qu'on se dit "Waw, on a réussi à faire un truc super complexe !". Ok, et alors ? Quelles sont les conséquences ? Demande d'énergie énorme qui dégrade notre environnement de vie, addiction qui mène à des dérives de plus en plus répandues style isolation sociale, obésité, maladies dues à l'immobilité... Donc ok, la technologie c'est super sympa, mais question bénéfices pour l'humanité, bof. Y'en a, mais c'est pas l'usage le plus répandu. Et même, les bénéfices ça peut être quoi : faire survivre des gens bien au-delà de ce qui serait raisonnable, et on se retrouve avec un tas de gens qui n'apprécient même plus leur vie mais qu'on maintient en vie quand même, rien que parce que la technologie le peut. Autant de bouches en plus à nourrir, autant d'énergie en plus à produire, etc.
Finalement c'est un peu le serpent qui se mord la queue. Peut-être que si nous étions des animaux "comme les autres", nous "obéirions" à la théorie de la sélection de parentèle et favoriserions les individus qui nous sont génétiquement les plus proches. On se taperait souvent dessus entre grandes familles, comme les singes cités plus haut, pour protéger le territoire de la nôtre, mais du coup ça régulerait la population. Sauf que pour l'humain actuel, c'est fini tout ça, c'est plus possible, ce n'est plus dans notre instinct de faire ça, continuer à penser en clans, en familles, c'est archaïque, hors du temps. Le fait que nous soyons libérés du favoritisme envers la parentèle implique une seule chose : c'est maintenant l'espèce humaine dans son ensemble qui est notre grande famille.
Donc voilà mon opinion : si l'être humain est capable de faire des conneries aussi énormes (génocide etc.), c'est parce qu'il est le seul animal libre d'ignorer complètement ce que l'instinct lui dicte, instinct qui semble de toute façon être largement défaillant chez nous, pour à la place suivre le principe de plaisir ou n'importe quelle obsession qui lui plairait ("pureté de la race", "supériorité masculine"), ou pour ne rien suivre du tout et juste faire le con, puisqu'il le peut aussi.
Mais ne croyez pas que je sois pour un retour à l'âge de pierre ou à une époque où l'être humain serait entièrement guidé par l'instinct (donc pratiquement pas libre et en guerre permanente). D'ailleurs à mon avis se fier à ce qu'on croirait être notre instinct serait très dangereux (comment savoir si c'est l'instinct ou la connerie qui nous guide ?
). Il nous reste certainement des traces d'instinct, mais nous avons toujours la possibilité de nous en affranchir. En tout cas, dans toutes ces absurdités qu'on est capables de créer, y'en a qui sont quand même super sympas et qui valent la peine d'être vécues. Pouvoir les vivre est une chance. Mais justement, la seule manière de préserver cette chance (la vie humaine), c'est d'essayer d'être raisonnable, moral, etc. Sauf qu'on n'arrivera jamais (selon moi) à atteindre la perfection des animaux non-humains dans la perpétuation de l'espèce, et se rendre compte de ça, c'est quand même une sacrée leçon d'humilité. L'animal humain sait faire des merveilles pour se faire plaisir (quitte à s'autodétruire à long terme, même inconsciemment), l'animal non-humain sait faire des merveilles pour que son espèce survive efficacement (c'est-à-dire sans se mettre, à long terme, en danger elle-même ni son environnement). Aucune raison, donc, de se prétendre supérieurs, à moins de considérer la capacité à se faire plaisir coûte que coûte comme supérieure, plus importante. Par contre il y aurait de nombreuses raisons de s'inspirer de l'efficacité instinctive des autres animaux en la transposant, chez nous, en usage de la raison. Tout en sachant qu'au fond, notre motivation à être raisonnable prendra toujours sa source dans la notion de plaisir (il n'y a pas de volonté sans désir : il me semble que l'être humain ne peut pas être entièrement et exclusivement rationnel)...
Bref, l'être humain a carrément des raisons de prendre exemple sur les autres animaux en matière de modération, d'organisation structurée, d'implication personnelle pour sa survie et celle des autres, mais en l'appliquant à l'humanité entière, pas seulement à ses proches. Et il faudra toujours qu'il se ménage la possibilité d'avoir du plaisir à vivre pour garder la volonté-même de vivre (alors qu'il me semble qu'un animal n'a pas nécessairement besoin d'avoir du plaisir à vivre pour en garder la volonté, ce qui, d'un point de vue anthropomorphique est l'équivalent d'une noblesse et d'une force morale inconnues voire impossibles aux humains).
Je crois que la seule manière pour l'espèce humaine de faire objectivement mieux que les autres animaux serait de réussir à perpétuer efficacement, durablement, raisonnablement l'espèce entière sans distinction de parentèle, sans aucune sorte de favoritisme. On en est quand même super loin, je ne suis même pas sûre que l'on puisse le faire... Mais on peut sûrement essayer.