OGM : merci, monsieur Séralini !
Posted on 11 octobre 2012 by Yves Paccalet
11 octobre 2012
Je connais un peu Gilles-Éric Séralini : c’est un scientifique, un vrai. Un chercheur en biologie. Un homme moral et un citoyen préoccupé non seulement par les mystères de la génétique, mais par l’évaluation de ce que la science ajoute – ou retranche – à la qualité de nos vies. Nous avons un ami commun : Jean-Marie Pelt, botaniste, pharmacologue, écologiste de la première heure et (c’est rare qu’on puisse ainsi l’écrire !) homme bon. Séralini et Pelt ont publié un livre ensemble : Après nous le déluge ? (Flammarion, 2006).
Gilles-Éric Séralini travaille sur les OGM (les organismes génétiquement modifiés), leurs pompes, leurs avantages supposés, leurs à peu-près inquiétants et leurs dangers probables. Il a voulu mener, sur ces sujets, des études tout ce qu’il y a de plus ordinaires, à l’université de Caen. On a tenté de l’en empêcher. Durant des années, il a été déconsidéré, massacré sur les plans intellectuel et professionnel par les hommes et des femmes d’influence, qui cautionnent les multinationales spécialisées dans la manipulation génétique, et qui en obtiennent le pouvoir ou la gloriole, à tout le moins des fonds pour leur équipe ou pour des colloques épuisants à Acapulco ou à Bangkok. Lorsque je parle de telles firmes, suivez mon regard, je pense bien sûr à Monsanto : 90 pour 100 des OGM actuellement vendus dans le monde.
On a voulu se débarrasser de Séralini, on l’a pris pour cible, on a coupé une bonne partie des crédits de son laboratoire, on a torpillé ses recherches, on a ravagé sa carrière. Luc Ferry participe à cette démolition dans Le Figaro du 4 octobre dernier. Ce philosophe devrait mieux évaluer le mal que causent aux universitaires les insinuations, les dénonciations calomnieuses ou les désignations à la vindicte générale.
Séralini s’est entêté. Il a fait comme il a pu, quasi clandestinement, malgré l’hostilité de ses pairs. Il a réussi une « manipe » importante, qui a fait grand bruit urbi et orbi par l’intermédiaire d’un dossier du Nouvel Observateur. Il a démontré que, soumis à un régime alimentaire riche en herbicide Roundup (commercialisé par Monsanto) ou en maïs OGM NK 603 (conçu par manipulation génétique pour résister au Roundup), des rats développent des tumeurs cancéreuses aussi grosses que nombreuses – en un mot, épouvantables.
Les scientifiques liés aux grands groupes OGM n’ont pas manqué de réagir avec une acrimonie éloignée des propos amènes que devraient échanger les savants. On se souvient de la chanson de Guy Béart : « Le premier qui dit la vérité… » Ils reprochent à Séralini plusieurs biais expérimentaux. Ils soulignent que celui-ci n’a pas noté chaque élément du régime alimentaire de ses rats ; que son groupe témoin n’était pas assez nombreux ; qu’il avait choisi, pour ses tests, une lignée de rongeurs naturellement encline à développer des cancers en fin de vie ; et qu’il serait, ici ou là, passé trop vite de l’observation à la conclusion.
Mais ceux qui dénoncent ces manquements à la doxa scientifique ne sont pas au-dessus de tout soupçon… Si Séralini (dixit Luc Ferry) est « connu pour son engagement fanatique contre les OGM », que dire de l’éminent professeur que le même Luc Ferry présente comme « l’un de nos meilleurs spécialistes et des plus respectés pour son incontestable compétence » ? Ce génie des chromosomes s’appelle Gérard Pascal, et il a longtemps incarné l’une des têtes pensantes de The International Life Science Institute (Ilsi), l’un des principaux lobbies des multinationales spécialisées dans les biotechnologies. On peut trouver meilleur gage d’objectivité… Séralini est peut-être un « fanatique anti-OGM » (Luc Ferry), mais Gérard Pascal (répond José Bové) « est clairement identifié comme un scientifique activiste pro-OGM ».
Dira-t-on : « Un partout ? » Je ne crois pas. Gilles-Éric Séralini a, sur les pro-Monsanto, au moins un avantage : il est libre. S’il se trompe, c’est sans calcul ni conflit d’intérêt. Il n’a rien à gagner que des horions et des insultes. En aucun cas des prébendes, des postes, des sinécures ou des voyages d’étude les doigts de pied en éventail sous les palmiers…
Séralini a surtout, avec son équipe – et c’est bien ce qui met en rage Monsanto et ses sbires intellectuels –, obligé la communauté internationale à repenser complètement le problème de la toxicité des OGM. Il été le premier à réaliser des expériences de longue durée, celles que tous les esprits responsables réclament depuis des années. Il a soumis ses rats à des molécules suspectes pendant deux ans, là où (par la grâce d’un protocole inventé par eux-mêmes) les savants inféodés aux majors des biotechnologies se contentent de trois mois. Et encore : à faibles doses. Et encore : sans jamais croiser les poisons potentiels…
De nouvelles expériences auront lieu. Quel pouvoir politique, quel citoyen responsable pourrait désormais refuser qu’elles soient organisées ? Voilà pourquoi, même s’il s’était égaré, même si ses conclusions venaient à être infirmées (ce que je suis loin de croire), le chercheur indépendant et courageux de l’université de Caen mérite que l’agriculteur et le consommateur lui donnent une chaleureuse accolade en lui adressant un sonore : « Merci, monsieur Séralini ! »