C’est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l’aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l’approche des hivers.
C’est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu’à la lumière
Dieu n’a pas laissé mûrir !
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que ton cœur aime ?
Je regarde le gazon.
Leur tombe est sur la colline,
Mon pied la sait ; la voilà !
Mais leur essence divine,
Mais eux, Seigneur, sont-ils là ?
Jusqu’à l’indien rivage
Le ramier porte un message
Qu’il rapporte à nos climats ;
La voile passe et repasse,
Mais de son étroit espace
Leur âme ne revient pas.
Ah ! quand les vents de l’automne
Sifflent dans les rameaux morts,
Quand le brin d’herbe frissonne,
Quand le pin rend ses accords,
Quand la cloche des ténèbres
Balance ses glas funèbres,
La nuit, à travers les bois,
À chaque vent qui s’élève,
À chaque flot sur la grève,
Je dis : N’es-tu pas leur voix ?
Du moins si leur voix si pure
Est trop vague pour nos sens,
Leur âme en secret murmure
De plus intimes accents ;
Au fond des cœurs qui sommeillent,
Leurs souvenirs qui s’éveillent
Se pressent de tous côtés,
Comme d’arides feuillages
Que rapportent les orages
Au tronc qui les a portés !
C’est une mère ravie
À ses enfants dispersés,
Qui leur tend de l’autre vie
Ces bras qui les ont bercés ;
Des baisers sont sur sa bouche,
Sur ce sein qui fut leur couche
Son cœur les rappelle à soi ;
Des pleurs voilent son sourire,
Et son regard semble dire :
Vous aime-t-on comme moi ?
C’est une jeune fiancée
Qui, le front ceint du bandeau,
N’emporta qu’une pensée
De sa jeunesse au tombeau ;
Triste, hélas ! dans le ciel même,
Pour revoir celui qu’elle aime
Elle revient sur ses pas,
Et lui dit : Ma tombe est verte !
Sur cette terre déserte
Qu’attends-tu ? Je n’y suis pas !
C’est un ami de l’enfance,
Qu’aux jours sombres du malheur
Nous prêta la Providence
Pour appuyer notre cœur ;
Il n’est plus ; notre âme est veuve,
Il nous suit dans notre épreuve
Et nous dit avec pitié :
Ami, si ton âme est pleine,
De ta joie ou de ta peine
Qui portera la moitié ?
C’est l’ombre pâle d’un père
Qui mourut en nous nommant ;
C’est une sœur, c’est un frère,
Qui nous devance un moment ;
Sous notre heureuse demeure,
Avec celui qui les pleure,
Hélas ! ils dormaient hier !
Et notre cœur doute encore,
Que le ver déjà dévore
Cette chair de notre chair !
L’enfant dont la mort cruelle
Vient de vider le berceau,
Qui tomba de la mamelle
Au lit glacé du tombeau ;
Tout ceux enfin dont la vie
Un jour ou l’autre ravie,
Emporte une part de nous,
Murmurent sous la poussière :
Vous qui voyez la lumière,
Vous souvenez-vous de nous ?