Grussie":2hzhyv1s a dit:
déjà positionner les souffrances comme quelque chose de secondaires par rapport à la rationnalité ça m'énerve
Je n'ai jamais dit que les souffrances étaient secondaires par rapport à la rationalité. En soi, la rationalité je m'en fiche complètement; si tous les êtres sentients pouvaient vivre dans le bonheur sans jamais chercher à faire un raisonnement qui tienne debout, la rationalité n'aurait aucun intérêt.
Ce que je dis, c'est que la souffrance dont on parle ici - la souffrance des personnes qui sont choquées par un discours, qui le ressentent comme violent, etc. - ne sont en rien un critère permettant de déterminer ce qui est juste. Je parle bien ici de la souffrance que les personnes éprouvent
du fait d'avoir entendu le discours.
On a eu des histoires de caricatures de Mahomet qui ont fait l'actualité, avec des manifestations - certaines sanglantes - contre la parution dans certains pays (le Danemark, en l'occurrence, si je me souviens bien) de telles caricatures. Il est clair que ce «blasphème» fait souffrir de nombreuses personnes musulmanes. Personnellement, je ne suis pas pour le blasphème pour le plaisir du blasphème, mais très souvent ce qui est perçu comme un blasphème, c'est la simple remise en cause des dogmes religieux de base. Dire que Dieu n'existe pas, dans de nombreux pays, ça peut valoir le lynchage public. Et ce lynchage est bel et bien le signe d'une souffrance.
Donc il ne faudrait pas dire que Dieu n'existe pas? Y compris si on pense que remettre en cause les religions est un point très important pour faire avancer l'humanité?
Aux Estivales 2013, il semble (selon ce qu'on m'a rapporté) qu'une personne, assez âgée, ait reproché à un couple de lesbiennes le fait qu'elles s'embrassaient en public. Elle aurait dit quelque chose comme «Vous n'avez pas honte, il y a des enfants tout de même.» Il me semble évident que cette personne était réellement choquée, et qu'il s'agit d'une réelle souffrance (et pas particulièrement d'une «frustration», comme
dit Emy_Spheres - encore qu'une frustration, ce soit
aussi une souffrance). Alors je n'ai pas d'exemples où la libre expression de l'homosexualité ait tué des homophobes, mais il est clair qu'elle les fait souffrir. La mobilisation d'une part importante de la population contre le mariage homosexuel témoigne aussi de la souffrance de bien des personnes face à la banalisation des relations homosexuelles; idem pour les mobilisations contre la théorie du genre.
Donc au nom de cette souffrance, il ne faudrait pas tenir de discours remettant en cause le modèle traditionnel des genres?
Je pense que
la réponse de Grussie et d'autres ne peut s'expliquer que par une volonté implicite - et parfois explicite - de n'accorder aucune importance à la souffrances des personnes qui sont dans le mauvais camp. Ce sont des connards, des dominants, des oppresseurs, qu'ils crèvent! Pourtant, une telle haine ne se justifie ni éthiquement, ni politiquement. Éthiquement, en bon utilitariste, j'estime que toute souffrance compte, quel que soit l'être qui souffre. Mais si vous n'êtes pas utilitaristes, vous pouvez simplement penser que les gens, ils ne sont pas dans le «mauvais camp» forcément par ce que ce sont des salauds nés. Beaucoup ici trouvent très facilement des excuses aux spécistes, parce que le spécisme n'est pas encore reconnu comme un mal dans la société, et donc que les gens ont été élevés dedans; ce n'est pas tellement la faute qu'ils sont spécistes. Et les gens qui sont nés dans une famille catholique bien de droite, c'est leur faute s'ils sont homophobes? Ah là, il y a un peu deux poids deux mesures; ou plus exactement, dirais-je, le signe encore une fois du fait que pour beaucoup ici qui se réclament de l'antispécisme, ben la question du spécisme c'est en fait à peu près la dernière de leurs préoccupations. Et c'est aux antispécistes qu'on reproche de faire de la hiérarchie des luttes...
Politiquement, il me semble clair que la prise en compte du point de vue de nos adversaires, de leur souffrance et de leurs besoins n'a que des bénéfices. Nous n'avons pas à les braquer plus qu'utile. C'est d'ailleurs pour ça que je suis contre les blasphèmes inutiles (je suis pour qu'ils soient autorisés, mais je les trouve critiquables). La bienveillance envers nos adversaires est, je pense, un thème capital, mais je ne vais pas le développer plus ici.
Juste noter que je suis tombé tout à l'heure sur
la vidéo d'une séquence sur Fox News - la chaîne de télé ultraréactionnaire étatsunienne - où un prêtre catholique appelait à l'interdiction d'une rencontre publique de satanistes - les satanistes en question se définissant comme une religion. Les arguments utilisés par le prêtre me rappelaient vraiment les vôtres. Le fait de «déclarer Jésus comme sans valeur» serait une «violence» contre les chrétiens, et un encouragement à la violence (cf. à partir de 1:30 environ).
Bon, je ne réponds qu'à une partie de vos messages. (Je trouve, moi, ce fil très riche, en fait, et ne souhaite pas du tout le voir bloqué.) Un point auquel je voudrais vraiment répondre, mais pas maintenant, est cette volonté systématique de disqualifier la parole de certaines personnes parce qu'elles seraient des privilégiées et de surqualifier celle d'autres parce que femmes / racisé-e-s / homo / transgenres / etc. Je trouve qu'il y a là vraiment un gros problème. Mais bon, là il faut que j'aille changer la litière des chats (animaux privilégiés).
David