L'émission de France 5 hier soir, consacrée au lait, était en deux parties : un reportage, suivi d’un débat. Le reportage était équilibré et honnête. En revanche, le débat s'apparentait à la grande réunion de l'Amicale du bon lait, tous les intervenants étant d’accord sur l’intérêt des laitages pour la santé, notamment osseuse. J'avais bien été invité au débat, mais je n’ai pu m'y rendre en raison d’autres engagements ce soir-là (je n’ai découvert l’émission que ce matin). J'en avais informé les organisateurs de l'émission, il leur était donc possible d'inviter un médecin ou un scientifique, sinon proche de mes positions, ou du moins qui s'interroge sur les laitages. Bon. Les "amis du lait" ont pu dérouler sans être contredits leur discours bien rodé, jusqu'à prendre des libertés avec les données scientifiques. Cela dit, les réactions de la plupart des téléspectateurs en disent long sur la valeur qu'ils accordent aux propos de ces experts !
D'abord les points positifs : il y a encore cinq ans on me riait au nez quand je parlais de cancer de la prostate lié à une forte consommation de laitages, ou d'équilibre acide-base. Il semble que ces idées aient fait leur chemin, tant mieux. Pour le reste... Je n’ai pas ici le temps de répondre à chacun des arguments parfois très bizarres, destinés à minimiser la portée des études scientifiques rapportées dans Lait, mensonges et propagande notamment sur les fractures (bien résumées dans le documentaire par le Pr Walter Willett de Harvard).
Voici cependant quelques perles ramassées au vol.
On a entendu un intervenant prétendre que les données rapportées par Willett et moi-même ne s’appliquaient pas à la situation française, car il s’agirait d’études américaines. C’est bien sûr faux : Harvard a non seulement conduit ses propres études, mais aussi publié des analyses d’études conduites ailleurs qu’aux Etats-Unis. Leurs résultats (pas de lien entre la consommation de lait et le risque de fracture) ont été confirmés par des données internationales. Enfin, si la biologie des Français est si singulière, pourquoi alors tenir compte des études conduites sur les médicaments dans d’autres pays pour donner des AMM ?
Un intervenant a critiqué le fait que je ne considère pas la densitométrie osseuse (qui cherche à évaluer la teneur en calcium d’une section d’os) comme un examen fiable pour prédire le risque individuel de fracture. Je ne suis pas le seul. Cela fait quinze ans que l’on sait, grâce à une méta-analyse de 11 études que la densité minérale osseuse « ne peut pas identifier les personnes qui auront une fracture. » (1) Cette question est au cœur de mon prochain livre. Ce pédiatre aura de quoi nourrir sa réflexion.
Un autre intervenant a assuré qu’il existe des centaines d’études prouvant qu’un pic de masse osseuse à la fin de l’adolescence diminue le risque de fracture après la ménopause. Encore faux. Pour le prouver il aurait fallu suivre pendant 30 ans au moins un groupe important de personnes pour lesquelles on disposerait d’une densitométrie osseuse, et montrer que les densités osseuses les plus élevées sont associées à un risque de fracture plus faible. Aucune étude n’a montré cela.
Un intervenant a prétendu que le calcium laitier est le mieux absorbé des aliments qui en contiennent, et c’est bien sûr faux, voir la liste des aliments et leur biodisponibilité dans mon livre.
On a entendu que sans laitages, on est carencé en calcium ! Encore un effet collatéral de la propagande laitière. Cela fait sept millions d'années que la majorité des habitants de cette planète ne consomment pas de laitages, sans manquer de calcium. Les végétariens ne manquent pas de calcium. Avec trois fois moins de calcium que nous dans leur alimentation, les petits Cambodgiens ou les petits Ghanéens ne sont pas carencés en calcium, car celui-ci est mieux absorbé. Toutes les données sont dans mon livre, il y en aura d'autres encore dans le prochain.
Un intervenant, le même, a assuré que les apports conseillés en calcium pour les Etats-Unis et le Canada venaient d’être augmentés, sous-entendu : le contraire de ce que Willett et moi préconisons. Caramba, encore faux ! Les apports conseillés (qui s’appelaient apports adéquats en 1997) ont soit été reconduits à l’identique, soit diminués. L’apport conseillé pour les hommes de 51 à 70 ans est passé de 1200 mg à 1000 mg par jour. Que faut-il en penser ? Que c’est encore trop par rapport aux 500 mg recommandés par l’OMS. Lire l’analyse des Dr Bischoff-Ferrari et Willett.
Enfin, le fameux couplet « buvez du lait contre l’ostéoporose et les fractures » a été repris en choeur. L'hymne national de la Holstein. Toutes les études indépendantes ayant évalué ces deux paramètres sont recensées dans mon livre. Aucune ne montre de protection par les laitages. Même l’Organisation mondiale de la santé, dans son questionnaire FRAX destiné à identifier les femmes à risque de fractures, ne leur pose pas la question de leur consommation de lait ou de calcium. La raison ? Les données scientifiques recueillies par l’OMS montrent que cela n’intervient pas dans le risque de fractures. Consultez le questionnaire FRAX ici.
On en reparlera avec la parution en février 2013 de Lait, Mensonges et Propagande Episode 2, mon nouveau livre-enquête entièrement consacré au marché de l'ostéoporose. Il y sera question de fractures, de laitages, de calcium, de densité osseuse et de médicaments. Je promets de nouvelles révélations sur l’ostéoporose, son dépistage et son traitement.