Je ne sais pas trop à qui tu t’adresses Ravelle : tu réponds à des gens de Végéweb ou réagis aux échanges de Facebook ?
Parce que, comme le disait Melodie28, le débat n’est pas exactement le même : le contenu de l’article lui-même et la façon dont les intervenants des Cahiers anti-spécistes ont réagi aux critiques qui leur ont été faites.
Mais en dehors de ça, c’est rigolo parce qu’à partir des mêmes arguments que les tiens, j’aboutis à des conclusions diamétralement opposées.
Perso, je ne suis pas en désaccord avec le contenu du texte, qui est plutôt très bien d’un point de vue théorique, mais son écriture et cette interpellation dans l’espace public français en ce moment, dans cette conjoncture culturelle et politique est super mal venue.
Quand tu parles "d’exploser la tronche des antispécistes", faut voir aussi qu’à la base ce sont eux qui s’aventurent sur un terrain de lutte, l’antiracisme, qui n’est pas le leur. Je ne sais pas si c’est de la récup mais c’est au moins du parasitage. Ça en aurait moins été si le propos était directement tenu contre les racistes qui se sont acharnés sur Taubira plutôt que sur ses défenseurs (qui, comme l’article le souligne, disent la même chose de façon dialectique).
Il me semble qu’une féministe se permettant d’intervenir dans un débat contre la chasse par exemple, reprochant aux anti-spécistes de passer à côté de la "vraie" nature de la chasse, à savoir son caractère viril, se ferait gentiment (hum hum) rabrouer. Enfin, c’est hypothétique comme situation, mais cela semble assez probable et ce serait tout à fait légitime : elle s’aventurerait sur un terrain de lutte qui n’est pas le sien et qu’elle ne maîtriserait de toute évidence pas. Je ne cherche pas à faire un parallèle, mais tu as ce ressenti d'inéquité entre les légitimités des luttes parce que, de fait, l'une est quasi-invisible par rapport à l'autre. Pour parler de mouvements "importants", les féministes s'en prennent régulièrement plein la figure (souvent à juste titre) par les anti-racistes et vice versa (à juste titre aussi) (enfin en tout cas chez les intellos, j'avoue avoir ce biais dans mon parcours).
Or, les gars ici ne se sont pas contentés de souligner un spécisme généralisé au sein de la société, mais l'ont pointé du doigt à propos d'une initiative anti-raciste forte, venant de Cayenne... C'est quand même bien spécifique.
(Et, au passage, même s'ils ne sont pas anti-spécistes, dans le domaine des droits des animaux, la fondation Brigitte Bardot ne semble pas trop mal se porter... Ni Peta dans un autre registre...)
Et c’est là aussi que je ne te suis pas sur la question de la convergence des luttes. L’existence de cet article même sème la zizanie. Il me semble que la convergence des luttes ne veut pas dire de former des petits soldats aux idées identiques, une sorte d’armée de militants égalitaristes lisses et policés, mais de prendre conscience des zones d’intersection et d’adapter sa réaction de façon pragmatique. (Mais j’avoue ne pas trop connaître les théories sur l’intersection… si certains maîtrisent…)
Ici, encore une fois, ce texte, aussi vrai soit-il, est un coup d’épée dans l’eau contre le spécisme, et une attaque à l’encontre d'une initiative anti-raciste. Donc, tu parles de "terrain", mais précisément ce texte se positionne dans un espace complètement idéaliste, sans prendre en compte la réalité du terrain.
Enfin, c’est assez culotté de leur part de ne pas accepter un reproche sur l’omission du racisme dans leur texte alors qu’ils se permettent de jouer les donneurs de leçons en rappelant l’omission du spécisme dans un jugement anti-raciste. C’est le serpent qui se mord la queue : plutôt ridicule, non ? Eux, ils ont le droit de faire des rappels à l’ordre, mais lorsque des personnes de leur propre mouvement leur en font, ils se braquent et refusent toute critique en tombant dans un déni qui n’est pas à la hauteur du niveau de réflexion que l’on pourrait attendre d’eux.
Quant à la hiérarchisation des souffrances, là je préfère juste ne pas répondre. Je trouve vraiment dommage cette approche, contre-productive, et ne lui porte pas grande estime à vrai dire. (mais je t’aime bien quand même
).
Je n’ai pas suivi les personnes qui tombent dans la condamnation du mouvement dans sa globalité à partir de ce texte. Là-dessus je te rejoins. Un texte mauvais n’efface pas les autres textes et tout le boulot exécuté par ailleurs. Mais c’est assez dommage de ne pas pouvoir interroger le contenu d’un texte sans provoquer une réaction très fermée et bornée. Toi qui a suivi les échanges, tu ne crois que s’ils avaient simplement admis une maladresse ou reconnu qu’ils ne sont en aucun cas légitimes pour dire à une personne racisée ce qu’elle doit ou ne doit pas ressentir, cela n’aurait pas pris de telles proportions (toutes relatives : ça concerne combien de personnes finalement ce débat ?)
Enfin, ça me conforte dans l’idée que les discussions théoriques et idéologiques c’est bien pour s’engueuler et en soirée mais que pour ce qui est de militer, il vaut mieux faire dans les actions concrètes.
Et, au passage, j’espère bien que tu passes plus de temps avec L214 qu’OLF *touss touss*