penses-tu que le langage texto marque une réelle rupture dans l'usage de la langue, ou c'est une transformation parmi d'autres ?
Le principe du langage texto, ça m'étonnerait qu'il ait été inventé avec les téléphones portables. Il relève d'un jeu sur la langue (du moment que ladite langue a un système orthographique alphabétique) qui a sûrement été employé bien avant, ce qui a changé c'est qu'alors il n'avait probablement pas la même fonction. J'imagine que son emploi était plus marginal et plus centré sur le jeu, tout l'intérêt étant d'admirer l'astuce de l'auteur qui a su trouver les plus beaux raccourcis par exemple. Avec la généralisation de l'emploi des portables et des sms, c'est réellement devenu une pratique communicative, c'est-à-dire qu'il est attendu que cellui qui lit le message fasse abstraction de ces formes "inhabituelles" et ne tienne compte que du contenu du message. C'est peut-être aussi ce qui passe par la tête des collégiens quand ils écrivent "en langage sms" ou en écriture phonétique : peut-être ne voient-ils pas bien (à tort ou à raison) l'intérêt de mettre des années d'effort dans l'acquisition d'un système orthographique obscur au possible, et qui ne leur garantira rien en retour - ne nous mentons pas avec des histoires de "faut savoir rédiger une lettre de motivation", vous avez vu le chômage des jeunes ? Surtout quand les jeunes en question sont déjà stigmatisé-e-s à cause de leur milieu socio-culturel ou pour d'autres raisons...
Langage sms, écriture phonétique : est-ce que c'est un appauvrissement de la langue ? En soi, je dirais non. Si par exemple on décide de simplifier l'orthographe en décrétant que tous les homophones {verre, vert, vers, ver, vair} s'écrivent désormais "ver", il va falloir trouver des moyen de se faire comprendre en utilisant le contexte ou en modifiant les mots eux-mêmes, par exemple en spécifiant "ver a boir" (verre à boire). La langue est un système : enlevez une contrainte quelque part, vous en ajouterez une autre à un autre endroit.
Si appauvrissement de la langue il y a, dans quelque aspect que ce soit, je dis qu'il faut en chercher les racines au niveau social, et pas dans la langue elle-même. Quel(s) groupe(s) social/aux serai(en)t concerné(s) ? Par quel(s) mécanisme(s) ? Par exemple, il a été montré que dans les ménages plus humbles au plan financier, les parents ont tendance à s'adresser aux jeunes enfants de manière directive "mets tes chaussures, fais ci, fais pas ça..." plutôt que de faire des conversations, parce qu'ils partent du principe que ces enfants n'ont pas les capacités de comprendre un langage plus élaboré. Et par conséquence, on observe effectivement un développement plus lent du vocabulaire chez ces enfants. Je ne mets pas la faute sur les parents, je pense en fait qu'il y a une sorte de ségrégation entre riches et pauvres qui n'affecte pas seulement le logement et les biens matériels, mais aussi les représentations et les pratiques.
Qu'entends-tu par origine génétique concernant certains troubles du langages ?
Je pense par exemple au gène FOXP2 qui serait impliqué dans un certain type de dysphasie (= important trouble du développement du langage chez l'enfant autrement sain). Mais il faut aussi compter tous les syndromes génétiques avec retard mental ou TED, qui peuvent affecter la communication tout en étant parfois suffisamment "légers" pour qu'on ne s'en rende pas compte immédiatement. Et puis le bégaiement. Et la dyslexie. Un peu tout ce qu'on voit dans un cabinet d'orthophonie en fait.
Il me semble que , d'une façon générale , le vocabulaire employé en conversation courante s'appauvrit .
Chez qui ? Comment ? As-tu essayé de confirmer cette intuition en lisant des travaux de (socio-)linguistique ? Les nouvelles générations inventent sans cesse de nouveaux mots, qu'en penser ? Es-tu certain que ce que tu décries, ce n'est pas juste le déclin de l'emploi de "ton" français, celui de ta classe et de ta génération ? Et sachant que le vocabulaire n'est qu'une partie de ce qui fait la communication intéressante et enrichissante, comment exactement la baisse de celui-ci affecte-t-elle le "niveau" de celle-là ? Je ne pars pas forcément du principe que tu as tort, mais il faut absolument que tu te poses ces questions-là.
La transmission culturelle se fait de plus en plus au travers d'écrans et non de livres
En quoi ce changement de medium signifie-t-il obligatoirement appauvrissement du contenu ? Excuse-moi, mais dans une série comme Dr House (le seul exemple de série que je connaisse bien
), je trouve que suivre les dialogues demande un effort considérable, car ils sont vifs, syntaxiquement et lexicalement riches, plein de références et de sous-entendus, porteurs de questionnements personnels, sociaux et philosophiques parfois profonds. Or, est-ce seulement l'élite intellectuelle qui a regardé cette série ? Il me semble que c'était assez populaire. Par ailleurs il existe de carrément mauvais livres, bêtes comme chou, que t'as l'impression de perdre la moitié de ta population neuronale en les lisant. Mais peut-être, plutôt que du contenu, pensais-tu en termes de traitement de l'information ? On y arrive.
un manque de stimulation du cortex préfrontal dans le travail du traitement conscient des informations.
Alors là franchement je veux des sources. Et tu restes coincé sur l'idée du "manque", décidément... A mon avis on aurait un manque si on enfermait les gens (en particulier les enfants) tout seuls sans stimuli, ou avec tout le temps les mêmes. Ce qui peut arriver, je sais bien, et c'est terrible. Mais là encore, à mon avis, plutôt que d'incriminer la technologie : cherche plutôt du côté du social, regarde où se trouvent les ruptures, les ségrégations...
Et si on parlait d'une différence qualitative, plutôt que quantitative, dans l'évolution du traitement de l'information ? Alors certes, maintenant on peut trouver l'information qu'on veut en 30 sec depuis son smartphone, et ne la garder en tête que tant qu'on en a besoin, puis l'oublier allègrement, pour aller la repêcher si besoin.
So what ? T'as remaqué comment, en général, quand on fait ça, c'est parce qu'on est en train de mener plusieurs autres tâches complexes en même temps, par exemple discuter avec ses amis ? Dans une vie qui elle-même est devenue beaucoup plus mouvementée que "école - avoir le même travail pendant toute sa vie - retraite pépère" ? Tandis que la méthode "à l'ancienne" pour acquérir l'information (s'asseoir à un bureau tout seul plusieurs heures avec un bouquin), c'est bien beau, mais tu ne fais que ça.
Donc, au niveau cognitif, si la tendance se poursuit : on aurait des empans attentionnels et mnésiques plus courts, MAIS on serait meilleur-e-s en multi-tâche, pour suivre plusieurs stimuli en même temps, prendre l'information à plusieurs sources, etc. Est-ce que c'est mieux, est-ce que c'est moins bien que le mono-tâche à longue durée ? Faut voir. Il y a des avantages et des risques, voire de vrais dangers, à mon avis (ce serait intéressant d'en discuter mais ce post est déjà bien assez long). En tout cas ça me paraît bien plus réaliste et plus riche que de dire, en gros, "on devient cons parce qu'on clique au lieu de tourner des pages". Parce que sinon tu verras que chaque génération a eu son hypothèse sur ce qui causait "l'appauvrissement" intellectuel, culturel, etc, de la suivante... Même si eux n'avaient pas de jolies images de cerveaux tout colorés (= l'ultime Vérité scientifique dans les croyances d'aujourd'hui) pour se donner l'air sérieux.
Dsl pr le paV.