Ah ben justement, j'allais créer un nouveau sujet, mais j'ai vu juste à temps que la page avait disparu. Je reprends donc ici, en réponse à Frago, Jezebelle et Fuschio, pour développer ma pensée.
Bon, déjà ma position par rapport au féminisme : Je ne connais pas grand chose à l'ensemble des réflexions sur le sujet. J'ai lu quelques articles de blogs (notamment ceux de l'Elfe), et quelques textes dans les Cahiers Antispécistes qui s'y rapportent.
Vis à vis de la femme en France, je ne connais rien de manière directe puisque je ne le vis pas moi-même, mais j'ai connaissance :
- de la discrimination professionnelle (donc disparité des salaires et des niveaux de responsabilité)
- des viols, des violences, vécus par un certain nombre de femmes (et la difficulté d'en parler et de faire appeler à la justice)
- du harcèlement de rue, vécu par toutes les femmes
- de la pression sociale quant aux normes esthétiques imposées aux femmes
- des propos misogynes assez réguliers, même sur le ton de la blague (mais qui pourraient tout à fait être contrebalancés en nombre par de propos misandres de l'autre côté)
Après, on pourrait ajouter que le système patriarcal oppresse aussi les hommes en leur imposant également certains codes, mais j'ai l'impression que c'est entrer dans les détails, je n'ai personnellement pas vraiment le sentiment de vivre cette pression... Je ressens une pression sociale mais pas vraiment en direction de ma nature masculine. Je ne me sens pas oppressé par le patriarcat.
Voilà pour ma connaissance du féminisme.
Je comprends tout à fait que le "féminisme" ait eu besoin de s'appeler "féminisme", pour montrer que les femmes existaient, qu'elles avaient des droits et qu'elles les revendiquaient. Je suis certain que ça a été nécessaire, que c'est un mouvement qui a été très fortement bénéfique.
Mais il n'empêche que dans le mot "féminisme", il y a une faute de logique qui va maintenant le pousser régulièrement vers des voies sans issues, contrairement au mot "antisexisme".
Je m'explique... Déjà avec une comparaison avec l'antiracisme. Pour l'abolition de l'esclavage, et la défense des droits des noirs, soit, il a fallu des mouvements qui défendaient directement les noirs, qui montraient les injustices, et il a fallu qu'ils se défendent eux-mêmes, qu'ils montrent qu'ils n'allaient pas se laisser faire, le Black Power, tout ça... Maintenant, il y a eu quand même un niveau où la réflexion a muté, et plutôt que de laisser chaque groupe, chaque "race", défendre ses droits en tant que "race" pour se mettre au niveau des "blancs", on s'est mis à poser le fait que le mot "race" n'a pas de sens... Distinguer les "races" est absurde. Les différences physiques, et les origines culturelles, sont des choses tout à fait secondaires, non pertinentes dans la définition des droits de chacun. Donc on préfère le terme d'antiraciste. Et s'il n'y a pas de race, il n'y a aucun moyen de poser des discriminations en fonction des races. (Bien sûr, c'est la théorie, en pratique, la racisme existe toujours. Mais c'est une théorie qui pose quand même des bases solides pour lutter contre le racisme.)
De la même manière, personnellement, je trouve que le terme "animaliste" est un peu mal venu. L'homme est un animal, ok, mais dans l'esprit du non-animaliste (et peut-être de certains animalistes), c'est un combat pour les "animaux" par opposition aux hommes. Pour les bêtes, quoi. Ça ressemble donc à un combat contre les hommes. C'est pour cette raison que le terme "antispéciste" (et toute la réflexion qui l'accompagne), est quelque chose de beaucoup plus convaincant, beaucoup plus difficile à contrer rationnellement. Si les droits ne reposent plus sur l'espèce, si la barrière entre espèces n'est plus pertinente, on ne sait plus contre qui "se battre", on n'a plus la possibilité de discriminer les animaux, puisque tout le monde est animal...
Et donc, le terme "féministe" pose le même problème. Pour le macho de base, il va craindre un combat contre ses propres intérêts, un combat des femmes contre les hommes. Avec le terme "antisexiste", il est au contraire totalement perdu.
Mais en plus, il pose cette barrière entre les deux sexes directement dans l'esprit du féministe (même si l'idée du féministe n'est que de lutter pour une remise à niveau des droits des deux camps). Il AFFIRME l'existence des deux sexes, bien distincts.
Là, je dévie un peu pour envisager une autre vision, et après je reviens sur les problèmes que ça pose concrètement.
J'ai découvert ça il y a quelques semaines, la pansexualité :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pansexualit%C3%A9
En lisant une première fois, je me suis dit "C'est idiot, c'est exactement la même chose que la bisexualité, ah ah, c'est absurde, c'est n'importe quoi !" (Réaction de base du "gros con" qui découvre quelque chose qui va à l'encontre de la norme si ancrée dans son esprit, et qu'il n'arrive donc pas à comprendre... Suivez-mon regard en dehors de vegeweb...)
Et en relisant deux ou trois fois, j'ai compris que la pansexualité, c'est tout simplement une pratique concrètement bisexuelle, mais qui offre une autre approche intellectuelle des individus : Le caractère de genre ou de sexe n'est qu'accessoire, au même titre que la couleur des cheveux, la taille des oreilles, le nombre de dents... Le sexe/genre n'est pas une nature. On n'est pas "homme" ou "femme", on est soi avec des nichons, une chatte, ou une bite. Sans parler de ceux, plus rares mais qui existent, et qui possèdent tout à la fois. Or notre vision du monde est, dès la naissance mais par l'apprentissage, structurée dans cette dichotomie de manière totalement artificielle. (Et moi-même qui vous dis ça, je peux vous assurer que je suis incapable de faire abstraction de cette dichotomie. Et je suis tout à fait conscient d'avoir un tabou -personnel- à peu près inviolable sur l'homosexualité, alors qu'il serait certainement beaucoup plus logique, rationnel, juste, pour moi, d'être bisexuel. Je m'y refuse, l'idée même me dégoûte, bien que ça soit une position totalement irrationnelle et injustifiable. Mais puisque je ne fais de mal à personne, il n'y a rien qui me pousse à changer. Et d'après moi, selon la même logique, l'homosexualité souffre de la même incohérence que l'hétérosexualité.)
Et maintenant, je reviens, par des exemples, sur les problèmes que le mot "féminisme" peut poser, assez régulièrement, par rapport à "l'antisexisme". Avec le féminisme, on se bat pour accorder des droits à un groupe bien défini pour rétablir l'équilibre... Or on travaille dans un contexte où l'équilibre est déjà totalement foireux... dans un sens comme dans l'autre. Par exemple, on aura des pratiques concédées à tel groupe, mais pas à tel autre, et réciproquement. Idem, des métiers "réservés" aux femmes, et d'autres aux hommes.
Alors pour rétablir l'équilibre, on fait quoi ? Quand c'est une contrainte, on généralise la contrainte aux deux groupes ? Ou on élimine la contrainte ? Quand c'est une liberté accordée à un groupe mais pas à l'autre, on la généralise ou on l'élimine ?... Et quand une chose est vécue par certains membres du groupe comme une contrainte mais par d'autres membres du groupe comme une liberté ?... Ben, on est coincé. Certains féministes vous diront que le maquillage, l'épilation, les talons doivent disparaître, parce que ce sont des contraintes patriarcales, et d'autres vous répondront qu'elles ont le droit d'affirmer leur féminité avec ces choix esthétiques et que c'est leur liberté d'affirmer leur nature de femme plutôt que de s'écraser devant la contrainte patriarcale (l'autre contrainte patriarcale... celle qui veut que les femmes se cachent). Certains métiers sont réservés aux hommes, donc on essaie de convaincre un maximum de femmes d'y entrer, même si ce sont des métiers vraiment pourris (armée, etc.). L'inverse également.
Et puis on peut avoir envie d'éliminer certaines pratiques profondément sexistes...
Je prends l'exemple de la natation synchronisée. Je trouve ce sport naze, moche, et profondément sexiste. Ça se base sur la "beauté féminine" (de femmes à poil) et ça sert uniquement à faire plaisir à un public de mecs vicieux. Mon discours est totalement féministe.
Pourtant mon discours est aussi totalement antiféministe : Je méprise un sport dans lequel les femmes excellent, et je relègue au rang de rien ce sport féminin par rapport aux sports plus masculinisés.
Alors je fais quoi ?... Il paraît que certains hommes se lancent désormais dans la natation synchronisée... Alors, soit, si on atteint un jour la parité en convaincant les hommes que ce sport n'est pas nul, je pourrai enfin donner un avis totalement objectif ni féministe ni antiféministe. Je pourrai dire que ce sport est nul parce que c'est juste con et moche.
Je peux développer encore sur des tas de sujets...
Les blogs girly... Les blogs girly dégagent une image de femme nunuche obsédée par la mode et les achats compulsifs. Je déteste cette image sexiste. Je n'aime pas les blogs girly, donc je suis féministe.
Mais les blogs girly défendent au contraire la parité dans le milieu de la BD, ils mettent en avant la femme dans la société, l'humour féminin (que je n'arrive pas toujours à comprendre avec mon humour d'homme) donc si je suis féministe, je dois aimer les blogs girly...
(Et en pratique, il se trouve que je suis vraiment tiraillé entre ces deux opinions... Des fois, j'aime bien les blogs girly, et des fois non... Parfois, le même blog, avec juste un peu de temps entre mes deux jugements...)
Prenons encore l'exemple de la prostitution :
http://www.lemonde.fr/idees/article/200 ... _3232.html
http://www.minorites.org/index.php/2-la ... -quoi.html
Défendre la prostitution (celles qui l'ont pleinement choisi), c'est défendre le droit des femmes à disposer de leur corps comme elles l'entendent. C'est donc féministe, selon ces deux textes.
Seulement, défendre la prostitution, c'est aussi défendre un métier qui a servi le patriarcat pendant des millénaires tout simplement parce qu'il est pratiqué dans son immense majorité par des femmes, que ses clients sont essentiellement des hommes, et qu'il diffuse donc l'image que les femmes ne sont que des objets sexuels à destination des hommes, qu'elles ne prennent aucun plaisir dans l'acte amoureux, ou en tout cas qu'elles n'en ont pas besoin, contrairement aux hommes qui sont continuellement dans le besoin, et que les femmes le font donc avec quiconque leur demande à condition que la compensation financière soit à hauteur. On pourra me dire que ça n'est pas comme ça que le vivent les prostituées, c'est certainement comme ça que le vivent les clients.
On a donc le choix entre réglementer ou abolir (interdire), et dans les deux cas, on ne sait toujours pas si on fait du féminisime ou de l'anti-féminisme.
D'où vient le problème ? Du fait que c'est un métier de femmes pour des hommes, simplement ça, pas d'autre chose.
Et récemment, je lisais également ce texte de Regan (
http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article54), que je résume comme ceci (peut-être à tort) :
- Les féministes doivent s'opposer au patriarcat.
- Depuis la nuit des temps, la vision occidentale est formatée par les hommes.
- Depuis la nuit des temps, la vision occidentale est spéciste.
- Donc la vision spéciste est patriarcale.
- Donc les féministes doivent s'opposer au spécisme.
Or, je ne suis pas du tout d'accord dans cette façon de penser. Si les féministes, comme n'importe qui, doivent s'opposer au spécisme, c'est parce que c'est injuste, patriarcat ou pas. Si les féministes doivent s'opposer à quelque chose, ça n'est pas la patriarcat dans son ensemble (et tout ce qu'on peut lui faire avaler), c'est ce qui est injuste vis-à-vis des femmes dans le patriarcat. Et non pas tout renier en bloc et décider que la vision attribuée aux femmes est la meilleure en tout. (Dans son texte, il considère par exemple, si j'ai bien compris, que la sensibilité doit passer avant la rationalité pour la seule et unique raison que la sensibilité est attribuée aux femmes et la rationalité aux hommes...)
Quant aux histoires de langage et de formes d'écritures... Ben si, le langage porte intrinsèquement la Nature homme/femme des individus, et il est forcé de poser à un moment où un autre des paradoxes qui forceront à choisir entre le féminin ou le masculin, et à donner le sentiment de prioriser l'un ou l'autre.
Dans "Iels", on peut reprocher le fait que ça commence par "I" qui est le début de "Ils", donc on fait passer l'homme en premier.
Dans "convaincus", on oublie les femmes.
Dans "convaincues", on oublie les hommes.
Dans "convaincu(e)s", la femme est entre parenthèse, secondaire, c'est misogyne.
Dans "convaincu-e-s", "convaincuEs", la femme est soulignée, mise en valeur, elle écrase l'homme, c'est misandre.
Sans l'existence d'un genre neutre, on n'y échappera pas...
Alors que... si on reprend tout mes exemples, et qui si on transforme dès le départ le postulat homme/femme... Si on pose qu'un enfant n'est pas "un garçon" ou "une fille", mais un enfant "avec des organes génitaux femelles/mâles, et des yeux bleux/verts/noirs, des cheveux blonds/bruns/roux...", rien ne formate plus cette dichotomie... Rien n'oblige les gens dotés des nichons, ou d'une chatte, ou ceux dotés d'une bite à porter une jupe, une robe ou un pantalon, se raser les jambes ou pas, faire tel métier ou pas, avoir tel trait de personnalité ou pas, avoir des rapports sexuels avec des gens qui ont des nichons, ou une chatte, ou une bite... Les deux groupes n'existent plus. La distinction, la discrimination, l'inégalité n'ont plus de sens, plus aucun moyen d'exister. Les modes vestimentaires ou comportementales deviennent justifiables ou ridicules en elles-mêmes, mais sans participer d'aucun sexisme (sans parler de l'homophobie qui perd tout son sens elle aussi).
C'est une réflexion que je trouve bien plus intéressante et porteuse que de débattre continuellement pour savoir quel petit changement sera plus ou moins défenseur de quels droits, en faisant parfois marche arrière à cause des paradoxes précités. Bien sûr, ce dont je parle ne peut pas être atteint d'un coup de baguette magique, et c'est clair qu'il faut continuer à défendre concrètement les droits au cas par cas, mais je pense qu'intégrer et défendre cette réflexion dans le mouvement "féministe" (et donc plutôt "antisexiste") serait largement plus profitable à long terme.
(Note pour Cépafo : Je ne suis pas plus masculiniste que féministe. Masculin et féminin m'emmerdent autant l'un que l'autre.)