Appeler "Nature" tout ce qui n'est pas du fait de l'être humain, et dire "C'est parfait et c'est comme ça.", c'est tout simplement refuser de voir le problème sous prétexte qu'on ne sait pas le résoudre dans sa totalité. (Et rien dans ce texte n'affirme nulle part qu'on sait le résoudre.) Et si un jour une solution nous tombe toute cuite dans les mains (Exemple : Trouver comment faire cohabiter deux espèces précises, proies et prédateurs, sans que l'une ne mange plus l'autre, leur offrir des vies longues et agréables, et sans que ça ait aucune incidence sur les autres populations animales et végétales environnantes.), on refuse de la voir, parce qu'on a refusé de voir le problème.
Je vois toute cette réflexion, ce besoin de solidité du concept "Nature" et l'impossibilité de sa remise en question au même niveau qu'un tas d'autres tabous sur lesquels la réflexion est interdite, parce qu'on est terrorisé par les implications et dérives possibles. Et de fait, on s'interdit même de réfléchir à la raison initiale pour laquelle on a posé le tabou. C'est juste un tabou, "c'est comme ça". C'est ce qui permet à la plupart des gens de s'interdire toute réflexion sur le carnisme, le spécisme et le reste. Et de s'interdire toute réflexion sur tout ce qui implique de faire évoluer la société et la mentalité humaine, de manière générale.
Sauf que le concept de "Nature", il tombe à l'eau en 3 secondes.
1) Je fais une promenade en bateau autour d'une île quelconque. Mon fils de 3 ans tombe à l'eau. Des requins approchent. Est-ce que je laisse mon fils se faire bouffer, parce que c'est la nature, ou est-ce que je le sauve, quitte à briser la chaîne alimentaire et utiliser des outils totalement pas naturels ? (Suis-je autorisé à tuer des requins ? Est-ce que je dois trouver une méthode qui n'en tue pas ? Est-ce que même cette méthode est interdite par la Nature ?)
(Si la chaîne alimentaire homme-requin ne vous plaît pas, ça marche aussi avec les tigres, les loups, les lions, les pumas...)
Même question si c'est un humain que je ne connais pas, pour qui je n'ai pas de lien affectif.
2) C'est mon chien (qui était avec nous, mais qui d'habitude se tient super tranquille dans les ballades en bateau) qui tombe à l'eau. Même question. Si je choisis de le laisser se faire bouffer, est-ce à dire que mon chien est plus "naturel" que mon enfant ? (Ou que l'humain sans lien affectif.)
3) "L'écosystème" est constamment chamboulé par les êtres humains. Je suis un humain. Je roule en voiture, je vis dans une maison, j'achète des tas de trucs, je pollue... je défie constamment la "Nature". Et même, je la menace, la détruis et la transforme, constamment. Je n'arrête pas, je ne fais que ça. Je suis "Contre-Nature", par définition. Est-ce que je dois me suicider ? Les êtres humains qui ont moins de chance que moi, qui n'ont pas de maison, qui n'ont pas les moyens de vivre dans de bonnes conditions, soit-ils dans la Nature ou hors Nature ? Est-ce que je dois les laisser mourir de faim, de froid ou autre, pour les laisser "dans la Nature" ? Si je découvre un enfant sauvage, qui survit parce qu'il a appris à se débrouiller avec des singes, mais qui est visiblement en mauvaise santé/blessé/mourant (Il vient de se casser un bras et une jambe ?) et a visiblement besoin de soin urgent, est-ce un élément de la Nature, ou un être Contre Nature ? Doit-il être laissé à son destin naturel (mourir dans deux jours) ou doit-il être extrait de la Nature et perverti par la société humaine pour vivre 50 ans de plus ?
Est-ce que les humains doivent abandonner toute technologie, y compris la maîtrise du feu, et retourner vivre dans des grottes, par respect pour la Nature puisque c'est le seul moyen de minimiser leur impact sur elle ?
Ou au contraire, est-ce que les humains ont un passe-droit par rapport à tous les autres individus sensibles qui les autorisent à être contre-nature si ça leur apporte quelque chose, tandis que tous les autres individus des autres espèces doivent se laisser bouffer et n'ont droit à aucune aide, parce que eux font partie de la Nature ? Ou est-ce qu'il y aurait éventuellement certains individus non-humains qui auraient également ce passe-droit, à condition de vivre dans des maisons ou sous le joug des humains ? Dois-je recueillir et soigner un oisillon blessé, et ainsi défier la Nature ? Si je sauve un lapin d'un renard, est-ce que je menace la Nature, est-ce que je menace vraiment le renard en toute circonstance, est-ce que tous les lapins font partie intégrante de la Nature parfaite et finie dont rien ne s'échappe, et doivent automatiquement s'effacer devant le renard ? Mais si c'est un chien, un chat, un humain... ?
[En fait, le tabou sur la Nature fait tellement peur qu'on refuse même de comprendre ce qu'on lit.]