Attention c’est ultra-long.
Picatau":3e08jebs a dit:
Agrafeuse, c'est aussi de l'anthropomorphisme de projeter des désirs humains concernant l'intensité des émotions... sur les anhs. Ce que je constate, c'est que les animaux dans la nature sont toujours sur le qui vive, toujours aux aguets du moindre prédateur, toujours à chercher à manger, à satisfaire leurs besoins premiers, jamais apaisés, surtout les herbivores, c'est une forme de souffrance aiguë à mon sens.
Bien sûr que c’est de l’anthropomorphisme, je le précisais d’ailleurs. Et je ne conteste pas que la vie sauvage a l’air effectivement plutôt stressante, du moins pour certains animaux. Et je ne dis pas non plus que j’ai accès au vécu subjectif des animaux, ou à leur perception du monde. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir comme toi l’impression que certains animaux dits de compagnie ont l’air tout à fait heureux.
Si tu veux, ma position actuelle est la suivante : on ne peut pas exclure à 100% l’hypothèse selon laquelle, pour certains animaux, dans certains cas, la vie sauvage est préférable à la vie près de l’humain (on parle bien sûr d’une « bonne vie » avec les humains). Je ne soutiens pas que c’est le cas. Je dis que je ne sais pas. Et comme je ne sais pas, je ne me sens pas autorisée à porter un jugement de valeur, à dire, c’est forcément mieux pour certains animaux de vivre auprès des humains.
Nem0":3e08jebs a dit:
Nous sommes tous plus ou moins "conditionnés" par un mode de vie, un environnement, une société (je suis parfaitement d'accord avec toi, Picateau), et on a du mal à imaginer "vivre autrement" à partir des conditions que l'on connaît : l'eau potable, le gaz et l'électricité, par exemple, sont des "conditions d'existence" qui nous paraissent aller de soi, et dont nous aurions du mal à nous passer parce que nous y sommes habitués. .
Complètement d’accord. Cependant. Si je rencontre une personne humaine qui vit dans un environnement sans eau ni électricité courante et qu’elle me dit que ça lui convient très bien comme cela, je ne me vois pas forcément essayer de la convaincre à tout prix du contraire. Éventuellement, je pourrais lui proposer de venir chez moi quelques jours pour voir comment c’est avec l’eau et l’électricité, ou lui raconter pourquoi en ce qui me concerne je trouve ça bien, pour qu’elle décide ensuite en connaissance de cause. Mais je ne vais pas la transplanter de force dans une vie différente, sans l’avoir consultée, ni lui prendre ses enfants en douce pour les élever chez moi car la vie y est plus agréable.
(Après, il existe aussi des cas où il faut intervenir même sans avoir recueilli le consentement de la personne. Notamment quand on estime qu’elle est en incapacité de consentir. Par exemple on ne demande pas à un petit enfant maltraité s’il est d’accord pour qu’on le place en famille d’accueil, on lui impose ce choix, au nom de son intérêt. Et dans ces situations, toute la question est de savoir si telle décision imposée est effectivement dans son intérêt, ou pas.)
J’en reviens aux animaux. Plus je réfléchis à ce problème, plus je me dis que c’est une question de critère. Sur quoi on se fonde pour dire qu’une vie auprès des humains peut être préférable ? Si on prend la santé et l’espérance de vie, alors d’accord, il est certain que près d’un humain qui prend soin de lui et le nourrit, un animal aura une meilleure vie. Mais est-ce le seul critère ? Il y a aussi, disons, toute la gamme des comportements que l’animal exprimera, ou non, selon l’environnement dans lequel il grandit. Je crois qu’au contact de l’homme, les animaux développent des comportements inédits dans la nature, et en « oublient » d’autres. Qu’est-ce qui est mieux ? Peut-on faire une hiérarchie ? Est-ce à nous de décider ?
Prenons un exemple fictif. Soit un bébé chimpanzé né dans la nature. Il est orphelin et est en danger de mort, il faut d’urgence le nourrir. Pour ma part, j’habite dans la savane, où j’ai une belle maison, un grand terrain, ainsi que du lait maternisé et des biberons dans mes placards. Bref, j’ai tout ce qu’il faut pour recueillir le bébé chimpanzé, en prendre soin et à terme lui assurer une belle vie. Cependant, j’apprends qu’à quelques dizaines de kilomètres de chez moi vit une bande de chimpazés, parmi lesquels se trouve une femelle dont le bébé vient de mourir, et qui pourrait sans doute allaiter et élever l'orphelin. J’ai le choix entre recueillir l’orphelin et en prendre soin moi-même ou tenter le placement auprès de la femelle sauvage. Admettons que ses chances de survie soient les mêmes dans l’un et l’autre cas. Mais selon l’option choisie, le bébé deviendra soit un chimpanzé domestique, soit un chimpanzé sauvage. Ce sont deux vies différentes. Je suis sûre qu’on peut nouer avec un chimpanzé, surtout si on l’a élevé soi-même, une relation absolument fabuleuse. Mais pour autant, choisir de le recueillir plutôt que de tenter le placement, est-ce que ce ne serait pas de ma part un abus de pouvoir ? Au nom de quoi, sur quels critères je me base pour dire qu’il est mieux pour lui de devenir un animal de compagnie même le plus heureux du monde plutôt qu’un animal sauvage ?
Il va de soi qu’en l’absence de possibilité de placement auprès d’une chimpanzé sauvage, il n’y a pas photo. Parce qu’alors, dans la balance, c’est la mort Vs une bonne vie auprès des humains. Mais entre une vie sauvage et une bonne vie près des humains, spontanément, j’aurais tendance à replacer le chimpanzé dans son environnement naturel.
Ce sur quoi je voudrais revenir encore, car c’est peut-être ce qui me tient le plus à cœur dans cette histoire, c’est cette affaire de contrat, d’association, de coopération. Je suis très gênée par l’idée de libre-consentement appliqué aux animaux déjà conditionnés à vivre avec les humains. Cela ne signifie pas, j’insiste, que je suis définitivement contre la cohabitation entre humains et animaux qui ne serait pas de l’ordre du sauvetage. En fait, je n’en sais rien pour le moment, mon cerveau est un vaste champ de bataille. Cependant, je préférerais qu’on assume le fait que c’est nous, humains, qui, au moins dans l’écrasante majorité des cas, avons décidé de la mise en place et de la perpétuation de cette cohabitation.
Par exemple, si je choisis d’adopter le bébé-chimpanzé évoqué plus haut, et ce malgré l’existence d’une autre option pour lui, alors je pense que je n’ai pas le droit de dire « c’est un libre contrat de collaboration entre nous deux » mais plutôt « j’ai décidé que c’était mieux pour lui et j’ai pris la responsabilité de lui imposer ce choix ».
On pourrait faire un parallèle avec le fait de faire un enfant. Si on décide de faire un enfant, on impose à autrui de grandir dans un environnement donné, avec un mode de vie donné, bref on lui impose un conditionnement parmi des milliers d’autres conditionnements possibles, qui l’auraient fait devenir quelqu’un de tout à fait différent. Et c’est juste inévitable, car on ne peut pas consulter l’enfant encore non-né pour recueillir son consentement éclairé quant au genre de vie qu’on va lui proposer, et pour savoir s’il ne préférerait pas plutôt naître chez les Eskimos ou les Quakers. Donc il faut accepter que c’est ainsi. Mais pour moi, il est important qu’on ne fasse pas semblant que c’est un libre contrat entre l’enfant et ses parents. Parce que l’enfant, il n’a consenti à rien, du moins au départ.
En gros, l’idée d’un contrat, d’une libre association, appliquée à une situation asymétrique, c’est ça qui me gêne.
Tout cela conduit finalement, je m’en rends compte au fur et à mesure que j’écris ce post interminable, à la question des relations avec les êtres qu’on considère comme incapable de faire des choix éclairés : enfants, handicapés lourds, animaux. J’ai lu quelque part que certains auteurs proposaient l’idée d’une sorte de tutelle pour les animaux, avec une personne ou une institution chargée de veiller à leurs intérêts. Je n’y ai pas encore bien réfléchi, mais ça me paraît intéressant.
(J’ai comme la vague sensation que tout ce que je viens d’écrire doit déjà avoir été énoncé par plein de gens dont c’est le métier de réfléchir à ces questions.)